Capucine Cramard, Abel Jayot, Lucas Liagre

Le 7 mai 2025, le journaliste Turcan M.Zeroualie publie dans Mediapart une enquête révélant des accusations à l’encontre du streamer Dany Caligula, mit en cause pour agression sexuelle et violences sexistes par deux de ses anciennes compagnes. A ce moment-là, le vidéaste est co-détenteur des parts de la boîte de production ZawaProd, co-créée en 2021 avec un autre streamer Raz Bickle ou « Raz404 ». Leur chaîne Twitch, qui connaît un succès florissant, s’est fait connaître en animant des lives autour de discussions politiques orientées à gauche.
À la suite de ces révélations, la communauté de viewers se divise : les uns souhaitent le départ de Dany, les autres tiennent à ce qu’il reste dans la ZawaProd (sans compter une part importante de viewers qui s’est désabonnée de la chaîne). Dans un live diffusé le 16 mai 2024, trois streamers membres de la ZawaProd, Raz, Cassandre et Wissam annoncent le retrait de Dany de l’entreprise.
La plateforme Twitch pourrait être perçue comme une forme de démocratie directe ou participative. En effet des streamers « live1», interviennent devant une communauté de viewers, communauté qui a accès à un chat leur permettant de commenter en temps réel et ainsi de créer une interaction entre le streamer et les viewers. Comme défini par Alexandre Borrel, Stéphanie Wojcik, Gaël Stephan et Elodie Berthet « l’interface de clavardage constitue aussi un espace numérique d’expression pouvant être appréhendé à l’aide des diverses problématiques qui structurent la foisonnante littérature sur les discussions politiques en ligne (…) celles-ci ont fréquemment été analysées à l’aune d’un modèle délibératif, centré sur l’étude des interactions entre participants, inspiré de l’approche de la sphère publique proposée par Jürgen Habermas ».
Ainsi, nous nous sommes demandés: Dans quelle mesure le principe de démocratie participative est-il appliqué sur la plateforme Twitch ? Pour cela nous analyserons les onze premières minutes de la rediffusion sur Youtube du live : « À propos de Dany et de notre décision suite à l’article de Mediapart » de la ZawaProd. Nous analyserons dans un premier temps les commentaires qui prennent la défense de Dany dans le feed2, puis ceux qui l’accusent dans le feed. Enfin nous terminerons par analyser le choix des commentaires qui sont lus par les streamers lors du live.
Sentiment d’injustice et affect pour une personnalité publique
Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les commentaires d’une partie de leur communauté, qui semble affectée émotionnellement par cette décision, et surtout en désaccord avec cette dernière. Car c’est aussi le propre du stream et plus largement de la médiatisation des personnalités sur internet, le principe « d’influenceur.euse.s et donc d’influencé.e.s ». Les relations parasociales (Horton et Wohl) sont renforcées par le caractère authentique et interactif du format live et le public se sent proche des personnalités qu’il suit, et intimement concerné par leurs prises de décision. Ici, on peut identifier trois groupes de commentaires, tous soutiens de Dany à différents degrés, et donc plus largement de la ZawaProd bien que certains expriment leur opposition au choix du départ de Dany. Certains s’inquiètent de l’état et l’avenir de Dany, et culpabilisent la ZawaProd et leur choix ; d’autres leur reprochent d’avoir cédé à une pression exercée par d’autres communautés d’internet et accusent plus directement ces dernières ; enfin, certains vont jusqu’à minimiser ou démentir les VSS dont Dany est accusé.
Les commentaires les plus présents sont ceux s’inquiétant directement de comment Dany se porte à l’heure actuelle “comment va Dany ?“[2:39], “cest vraiment ddur comment il va en vdv“ [3:40], et exprimant une inquiétude pour son avenir – qu’il soit professionnel ou relevant de sa santé – “faites attention à Dany surtout sa santé psy“ [2:16], “comment il va gagner sa vie ?” [3:33]. Non seulement les communautés internet créent un fort sentiment de proximité entre les influenceur.euse.s et les influencé.e.s, mais en plus Dany avait déjà abordé des sujets intimes par le passé, comme sa dépression ou son foyer familial, accroissant l’empathie qu’éprouvent plusieurs membres de leur public, ainsi que le sentiment d’injustice. Parmi ces commentaires, plusieurs se positionnent plus clairement contre la décision de la ZawaProd, adoptant une posture culpabilisante, soutenant qu’ils abandonnent ainsi leur ami “bah super un nouvel sdf dans nos rue j’espère que vous êtes content“ [1:12], “pas de famille, pas de taf, pas de diplôme. bonne chance mon pot” [2:13]. Et à cet affect à l’égard de Dany s’ajoute la promotion de la justice restaurative par la ZawaProd dans leurs revendications, qui apparaît comme un paradoxe aux yeux de ceux qui trouvent cette décision injuste pour Dany, “je trouve ça injuste et pas raccord avec votre positionnement sur la réhabilitation” [7:58].
La partie « déçue » de la communauté exprime également son désaccord en accusant un « tribunal populaire d’internet ». 4 commentaires reprennent une logique culpabilisante en leur reprochant d’avoir cédé à une sorte de pression généralisée, “j’ai la haine que vous ayez cédé” [3:57], “[…]vous vous êtes couché comme des merdes devant le tribunal populaire des gauchiste” [8:59]. Un seul de ces commentaires parle de ceux qui exerceraient cette pression, « le tribunal populaire des gauchistes », et malgré les revendications politiques clairement à gauche de la ZawaProd, ils seraient eux même victime d’une certaine gauche qui n’est pas identifiée dans le discours. Et lorsque la réaction d’autres streamers est mentionnée et remise en question par Raz, qui nomme les principaux concernés, plusieurs commentaires accablant ces derniers sont postés, leur faisant porter la responsabilité du départ de Dany “Ponce vous a enfoncé c’était abusé […]” [3:31], “s’arrêteront pas à Dany suand on voit TOUS LES STREAMERS osez ouvrir leurs gueules ” [7:20].
Enfin, une partie des commentaires s’indignant du départ de Dany expriment leur sentiment d’injustice, en affirmant que la peine serait trop lourde. Si l’ensemble des commentaires précédents, exprimant leur incompréhension, voir indignation, face à cette décision, semblent ne pas prendre en compte le point de vue des victimes, comme aveuglés par cette empathie envers leur personnalité publique, d’autres minimisent directement des violences subies par ses victimes, “C’est lui la victime dans cette histoire j’ai l’impression” [3:36], “Si il avait été condamné, je comprends. Mais là, c’est des accusations…” [5:39]. Pourtant une des premières choses qui fut précisée pendant le live par Raz, Cassandre et Wissam, est que Dany a pris cette décision avec eux, et ne s’est pas fait ostracisé contrairement au narratif sur lequel ses “défenseurs” s’appuient.
Les messages d’un “contre-public” au sein d’une communauté de soutien
Ici, nous avons regroupé les commentaires critiques à cette position de soutien de la boîte de production Zawaprod au streamer Dany Caligula. Ces critiques peuvent être divisées en trois catégories qu’il conviendra d’étudier successivement : Les messages qui soutiennent la prise de décision formelle de la ZawaProd, les messages qui soutiennent l’idée de fond transmise par ZawaProd (ces derniers sont deux types : d’un néo-féminisme assumé et de d’une position morale ancrée à gauche : le pacifisme).
Un assentiment simple à la décision de la ZawaProd :
Sans doute est-ce la catégorie la plus simple à comprendre, mais c’est également la plus importante pour comprendre le positionnement d’une partie de la communauté. Dans ce live, on lit des messages quasi-télégraphiques: “Carré” [2:18], “Logique” [2:42] , “Carré force à vous” [2:48] “bravo pour votre communiqué” [2:31]. La portée de ces messages est à nuancer, car si une partie de la communauté soutient la ZawaProd dans sa prise de décision d’arrêter de travailler avec Dany Caligula (lequel a dû revendre ses parts depuis), elle n’apprécie pas la manière dont ils continuent de défendre leur ami.
Ces messages ne s’inscrivent pas comme des messages de soutien clairs à la ZawaProd mais comme un simple acquiescement à une décision jugée normale et attendue pour l’auteur de VSS. Toutefois il est possible d’acquiescer sur la forme (ici le fait que l’équipe ait décidé de limoger leur patron) en étant déçu du fond de la défense (en l’occurrence le fait qu’ils continuent de le soutenir en mettant en doute la parole des victimes).
Des positions morales clairement assumées:
Des messages féministes en soutien aux victimes, beaucoup de messages de simple soutien à la victime présumée inondent le tchat, ainsi l’on peut lire : “un peu tôt pour parler de ça ne serait-ce que par respect pour les victimes” [4:37]; y a un respect vis-à-vis de la victime aussi” [5:32] “mais dose avec “crucifie” putain d’merde, y a une victime qui est accusé de v word” [6:00] (l’utilisateur.ice fait ici référence au terme crucifié utilisé par un des streamers pour prendre la défense de Dany Caligula comme si, par la publication de l’article de Médiapart, il avait été condamné sur la place publique). “Mais non, y a des victimes !” [6:00], “Les victimes sont indécentes, oui, oui, oui” [8:32] (on comprend ici que le mode de l’ironie permet de renforcer le soutien que l’utilisatrice leur apporte).
Ces quatre exemples permettent de comprendre que certains utilisateur.ices prennent tout bonnement la défense de la victime par conviction (sans étayer leur argument, sans doute en partant du postulat qu’il est désormais su de tous qu ’une femme victime de violences sexistes et sexuelles commence un véritable chemin de crois avant que l’accusé soit traduit en justice), ni plus ni moins qu’un : on vous croit! lancé dans le tchat pour rappeler certains messages qu’il faut, pour intégrer, marteler sans cesse. Ces messages dénotent quelque peu: leur but n’est pas de répondre, d’interagir avec les propos de ce qui est dit dans le stream mais de réaffirmer une réalité à travers de très courtes phrases, à la manière de certains slogans. C’est faire entendre la voix de celles qui, par peur, ne peuvent pas parler. Comme Nancy Fraser l’a analysé dans l’ouvrage Repenser la sphère publique (1990), des contre-publics se forment dans certaines arènes « discursives » : le tchat doit être compris comme un espace de discussion au sein duquel se forme des discours et des contre-discours. Ce contre discours minoritaire est porté par un contre-public néo-féministe tente de faire entendre sa voix.
La défense de certains principes moraux, une gauche anti-bourgeoise et pacifiste: “retourne dans le salariat quoi, il aurait pu rester producteur” [5:46] “Du passé faisons table Raz” [6:30] (ici ce sont deux exemples qui ne sont pas corrélés directement à l’affaire mais où il leur est simplement reproché d’être les gérants d’une société (Raz est l’associé de Dany). Ce qui sous-entend que sans être patron, alors rien de tout ça ne serait arrivé).
Pour ce qui relève du côté pacifiste, l’extrait choisi ne permet pas de relever des commentaires qui illustrent directement ce pacifisme. Mais cela permet surtout de soulever un débat subséquent à cette affaire: Dany s’est toujours assumé comme étant un fervent défenseur de la justice restaurative et utilise cette conviction comme moyen de défense dans cette affaire. Dans son ouvrage Par-delà le principe de répression (Flammarion, 2025) le sociologue Geoffroy De Lagasnerie interroge les tensions entre absolutisme pénal et non-violence, entre violence de la pression exercée à l’intérieur d’un système (police, justice, prison) et d’une violence précise exercée d’individu à individu. Cette tension est particulièrement visible au sein de ce débat car Dany (et plus largement l’équipe de la ZawaProd) s’est toujours positionné comme un fervent défenseur de la justice restaurative. La société de production pense botter en touche en récupérant cet argument, comme s’il demandait un geste de grâce à l’image du Pardon. Or, la justice restaurative n’intervient qu’après qu’un jugement ait été rendu. Récupérer cet argument pour faire taire les mécontentements d’un courant néo-féministe n’est pas pertinent puisque de telles revendications ne se heurtent pas à cette nouvelle forme de justice: leur but est simplement d’instaurer un système judiciaire plus efficient.
L’illusion d’une démocratie participative, le choix de lecture des commentaires
Il apparaît enfin que le choix de lectures des commentaires par les streamers n’est pas anodin, deux grandes tendances se dégagent dans leurs choix de commentaires. La première étant la lecture des commentaires « directs » c’est-à-dire les commentaires écrits et postés dans le chat par un viewer, que les membres de la ZawaProd lisent et répètent mot pour mot. Et la deuxième tendance, la lecture des commentaires « rapportés », les intervenants ne lisent pas des commentaires singuliers mais un ensemble de commentaires dégageant une idée commune.
La première lecture de commentaire survient après la lecture du communiqué dans la première partie de la vidéo, Raz, lit deux commentaires aux avis opposés : « c’est la pire décision » et « enfin fallait la faire, c’est carré », suite à quoi les deux autres intervenants Wissam et Cassandre répondent « de toute façons il va y avoir tous les avis possibles, quoi qu’il arrive ». Vont s’en suivre la lecture de quatre commentaires dans l’espace d’environ deux minutes, « Dany va assumer son discours catastrophique »(2min36), « il l’a relu, il l’a validé? »(3min00), « la chaîne de Dany n’est plus liée à zawa prod? »(3min12) et enfin « j’ai la haine que vous ayez cédé » (4min00). Pour les trois premiers commentaires, on peut les ranger dans l’ordre des questions logistiques, c’est à dire qu’ils concernent un aspect « pratique » de la chaîne ou du discours de Dany dans l’article médiapart. Les réponses des intervenants sont brèves, pas plus d’une minute, et c’est principalement Raz ainsi que Cassandre qui y répondent. Pour le dernier commentaire: « j’ai la haine que vous ayez cédé » qui n’est pas formulé sous forme de question mais plutôt comme une remarque de déception d’un viewer envers le collectif.
Suite à cela Raz va lire trois commentaires, « pas vraiment d’autres choix malheureusement » (6min46), « la zawa prod est plus importante que dany » (6min52) et enfin « il s’arrêteront pas à Dany, on voit tout les streamers oser ouvrir leurs gueules » (7min25). On peut considérer ces trois commentaires comme des sympathisants de Dany, qui semblent compatissants et prendre la défense de la ZawaProd. Les trois streamers répondent à chacun des commentaires sur le même ton, en défendant leur ancien collègue. Le dernier commentaire fait suite à la réponse des intervenants au dernier commentaire : « il s’arrêteront pas à Dany, on voit tout les streamers oser ouvrir leurs gueules », réponse dans laquelle ils accusent d’autres streamers d’utiliser cette histoire dans leurs propres intérêts et dans le but de décrédibiliser la cause politique de la chaîne. Le commentaire « Ni Burgaliss ni Viktorovich on dit ça » (11min01) qu’on peut qualifier de commentaire à visée corrective, qui vient contredire et corriger le discours des intervenants sur leurs accusations, est le dernier commentaire lu de la vidéo. Commentaire auquel Raz répondra par l’affirmative en confirmant que ces deux streamers n’ont en effet pas attaqué Dany.
Sur l’ensemble des commentaires on en dénombre dix considérés comme directs, sur les dix la totalité est lue par Raz, pour rappel figure principale de la ZawaProd. Sur les dix commentaires nous retrouvons un commentaire correctif, trois commentaires logistiques, quatre commentaires sympathisants de Dany, et deux commentaires anti-Dany. On peut s’interroger sur le caractère situé de la lecture de certains commentaires plutôt que d’autres, en effet, les streamers ne lisent que deux commentaires anti-Dany, alors qu’ils affichent une position de défense de ce dernier.
En ce qui concerne les commentaires rapportés, comme expliqué précédemment, c’est le récit par les intervenants d’un ensemble de commentaires dégageant une idée commune et non pas la lecture de commentaires singuliers. C’est-à-dire, la lecture de discours rapportés, des « on-dit », plutôt que la lecture de commentaires réels, postés par des viewers dans le chat. Le premier commentaire rapporté est amené par Raz lorsqu’il dit « les gens qui sont en colère qui disent « vous avez cédé et tout ça » moi jvous jure que je comprends de fou pourquoi vous dites ça (…) une partie des gens vous trouvez que Dany presque devrait sans foutre et revenir, je comprends pourquoi » (5min56 à 6min15). Comme vu précédemment il y a bien un commentaire disant « j’ai la haine que vous ayez cédé », mais nous n’avons pas recensé de commentaire affirmant la seconde partie, « dany presque devrait s’en foutre et revenir ». Après cela il réitère avec un nouveau commentaire rapporté en s’adressant directement aux partisans de Dany, « je comprends que vous, vous ayez le seum, mais y’a aussi énormément de gens qui trouve que c’est ce qu’il fallait faire. Mais les gens en dehors de vous, le contexte politique, les structures disponibles, la possibilité de discours politique ne permettait pas à mon avis de faire autrement » (6min24 à 6min41). En s’adressant aux sympathisants de Dany en tant que majorité, il place les spectateurs dans une position de partage d’opinion, sans que les viewers puissent questionner leurs avis et se forger une opinion propre. C’est amplifié par le fait que Raz vient placer l’avis dissonant sous couvert d’anonymat « énormément de gens », par cela, il empêche l’identification à ce discours. Enfin, c’est Wissam qui va citer un commentaire rapporté « ouais mais Dany restera votre patron, Dany restera dans la boîte » (9min51), or aucun commentaires n’affirme ça et par cette fausse lecture, cela permet à Wissam de prendre la défense de Dany en affirmant qu’il part de la ZawaProd dans le but de les protéger.
Ce que l’on voit à travers les commentaires rapportés, contrairement aux commentaires directs, et qu’ils sont plutôt accusateurs de Dany, et permettent aux streamers de prendre la défense de l’accusé en se soulevant face à une soi-disant masse accusatrice. On peut ici faire un parallèle entre cette stratégie mise en place par les streamers et la métaphore dramaturgique du monde social par le sociologue Erving Goffman : « L’acteur doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine impression ». Le choix de lectures de certains commentaires plutôt que d’autres apparaît comme une stratégie de la part des streamers pour exercer un contrôle sur l’impression de leur audience. En ne lisant que les commentaires qui partagent leurs propres avis, les streamers, empêchent ainsi les viewers de se former une opinion, on fait face à l’impossibilité d’une démocratie participative, pourtant l’une des idées premières de la plateforme twitch.
Pour conclure, il semble que le principe d’interaction entre streamers et viewers n’est pas solide et s’organise moins comme un dialogue que comme une succession de “réactions” au discours dominant prononcé par l’équipe de streamers, lesquels choisiront de lire les commentaires qui leur plaisent le plus comme on le remarque dans ce live. Ce format qui souhaite en premier lieu encourager la discussion avec les viewers, reproduit finalement un principe d’information descendante similaire aux autres médias sociaux, dans lequel l’« influenceur » mène la discussion, et sa « communauté » y assiste plus qu’elle y prend part. On peut donc se demander jusqu’à quel point le principe d’interaction entre les streamers et les viewers avec les commentaires est bilatérale. Comme on le voit, le choix de lecture des commentaires directs est clairement orienté pour ne pas montrer les avis dissonants à ceux des intervenants.
Bibliographie:
- Alexandre Borrel, Stéphanie Wojcik, Gaël Stephan et Elodie Berthet, Des modes critiques et affinitaires de participation – une typologie des commentaires et de leurs auteurs.trices sur twitch durant la campagne présidentielle française de 2022, 2023, page 231-265
- Geoffroy De Lagasnerie, Par delà le principe de répression, Grasset, janvier 2025
- Nancy Fraser, « Rethinking the Public Sphere: A Contribution to a Critique of Actually Existing Democracy », dans Craig Calhoun (dir.), Habermas and the Public Sphere, Cambridge (Mass.), p. 109-142, 1990.
- D. Horton, R. Wohl, Mass Communication and Para-Social Interaction: Observation on intimacy at a distance, Psychiatry vol.19, 1956
- Xavier Molénat, Bibliothèque idéale de la psychologie, Erving Goffman (1922-1982) La mise en scène de la vie quotidienne, 1956, pages 87-88
- Turcan, M. Zerouali. K, Violences psychologiques et sexuelles : des femmes accusent Dany Caligula, le streameur montant de la gauche française, Mediapart, 2025
1) « Les plateformes de médias sociaux telles que Facebook, Instagram, Youtube et Twitch ont popularisé le format du « live » offrant aux utilisateurs la possibilité de diffuser en direct et de regarder des diffusions en direct sur une grande variété de sujet » Live : définition – IMPAAKT impaakt.fr
2) Rappelons qu’il est tout à fait délicat de recenser les commentaires de ce live Twitch. La vidéo YouTube qui nous sert de support affiche les commentaires défilant un par un en haut de l’écran. Or, la rediffusion du live est montée, donc incomplète et certains commentaires passent à la trappe. De plus, l’écran est parfois rogné de telle sorte que le début du commentaire n’est pas lisible. Ces deux facteurs empêchent de suivre les discussions entre viewers, lorsque des commentaires se répondent entre eux. Nous nous sommes donc concentrés sur les commentaires s’adressant directement aux streamers.
Tout d’abord, merci pour cet article très intéressant et éclairant. Il montre avec précision comment Twitch et les réseaux sociaux fonctionnent comme des espaces où chaque commentaire et chaque réaction reflète des dynamiques de pouvoir et des influences émotionnelles importantes.
À travers l’exemple de la ZawaProd et de l’affaire Dany Caligula, l’article met en évidence que ces plateformes, souvent présentées comme des lieux de participation et d’expression libre, sont en réalité fortement marquées par ces dynamiques de pouvoir et d’émotions.
Nous connaissions déjà cet événement, mais votre analyse nous a permis de mieux comprendre comment les plateformes numériques influencent le débat public de manière partielle. Les réactions de la communauté sont fortement guidées par l’affect et l’empathie envers les streamers, ce qui peut parfois conduire à minimiser la parole des victimes et à transformer le débat en une prise de position émotionnelle plutôt que rationnelle. Votre article met ainsi en lumière le poids des sentiments dans la réception et l’interprétation de l’information.
Un autre point particulièrement intéressant est votre observation sur le choix des commentaires lus en direct par les streamers.
Alors que le chat regroupe une grande diversité de points de vue, seuls certains messages sont mis en avant par les streamers. Cette sélection crée une impression de discussion collective, mais il s’agit en réalité d’un échange fortement filtré.
Les avis critiques, notamment ceux qui soutiennent les victimes ou qui remettent en question la défense de Dany, apparaissent comme marginaux, non pas nécessairement parce qu’ils sont minoritaires, mais parce qu’ils sont peu visibles dans l’espace public du live.
Cette mise en avant sélective des commentaires contribue à orienter l’opinion du public et peut même freiner l’expression générale. Face à un discours dominant porté par les streamers, certains viewers peuvent hésiter à exprimer un désaccord, par peur de l’isolement ou de la confrontation. Le débat se transforme alors davantage en une succession de réactions à une parole centrale qu’en un véritable échange horizontal.
Pour compléter votre analyse, il pourrait être intéressant d’y ajouter le point de vue d’Evgeny Morozov. Comme il le souligne, les plateformes numériques donnent souvent l’impression de renforcer la démocratie alors qu’elles orientent en réalité les comportements, les prises de parole et les formes de participation. Malgré leur promesse de démocratie participative, ces plateformes produisent ainsi une expression largement encadrée et émotionnellement chargée.
Gabriella, Brittany et Laura.