Des hauts et débats - Master Industries Culturelles - Université Paris 8

Ambre  BENNANI ZEROUAL, Lili-Rose LAGABE et Luna MOREL

Le GP Explorer est un événement de course automobile de F4 organisé par le créateur de contenu Squeezie et constitue aujourd’hui un exemple dont le monde du numérique s’implante dans les pratiques culturelles et sportives. Lors de cette course, Squeezie invite d’autres créateurs de contenus et chaque participant partage son parcours, ses craintes, ses progrès et ses réussites sur les différents réseaux sociaux, ce qui le transforme en une aventure humaine et collective qui attire leurs millions d’abonnés et des milliers de spectateurs à chaque édition. Le GP Explorer a prouvé qu’il pouvait rassembler très largement, que ce soit sur place ou bien encore en ligne où il bat des records d’audience sur Twitch, pour le GP explorer 3, plus de 1,4 millions de personnes ont suivi l’événement sur Twitch selon le média France Bleu. Cela témoigne donc non seulement de l’évolution du paysage médiatique, mais aussi de la montée en légitimité et en reconnaissance de la culture internet dans notre société actuelle. Cependant, comme tout événement sur internet, le GP Explorer a été suivi sur un grand nombre de réseaux sociaux, notamment celui que nous avons choisi pour cet article, X. Les internautes réagissent en direct en twittant leurs diverses réactions au sujet de l’événement. Ce qui a notamment été le cas suite à l’accident entre Manon Lanza et Maxime Biaggi. Nous allons notamment analyser le tweet du compte Breakflip posté le 06/10/2025, qui a été vu 954 000 fois, republié 154 fois et a reçu 62 commentaires. Ce tweet nous montre l’influence et l’ampleur que les réseaux sociaux créent autour de l’événement, qui s’est notamment retrouvé dans les hashtags les plus utilisés au moment des divers GP. Breakflip, le compte sur lequel nous avons choisi le tweet et ses réponses, se définit comme « L’actu gaming, esport et influence ! » mais n’est pas considéré comme un média officiel. Il est suivi par 8 390 personnes sur X. Breakflip publie fréquemment de manière anonyme, plusieurs fois par semaine, sur diverses actualités autour du sport, des jeux vidéo et d’événements d’internet, comme cela a été le cas du GP Explorer.

Le GP2 : un évènement sportif qui a fait polémique Le déroulement des faits autour du GP 2


La seconde édition du GP Explorer a eu lieu en septembre 2023. Lors de celle-ci, l’influenceuse Manon Lanza a eu un accident avec le streameur Maxime Biaggi en voulant le doubler de trop près lors d’un virage. Manon a été extraite de son véhicule et transportée à l’hôpital pour des examens, où les médecins ont diagnostiqué un choc thoracique et une hernie cervicale. Quant à Maxime, il lui a rapidement exprimé son soutien, affirmant que l’essentiel était que tout le monde aille bien. Suite à cette collision, les deux participants ont été disqualifiés de la course, ce qui a amené à un énervement des fans de Maxime Biaggi sur les réseaux sociaux comme X. Certains fans ont notamment posté des messages contenant des propos misogynes et haineux, ce qui a amené à un cyberharcèlement visant Manon Lanza. Certains internautes lui reprochent notamment d’être responsable de l’accident en utilisant des stéréotypes misogynes. Ce cyberharcèlement massif a choqué, et les autres pilotes et créateurs de contenu présents à l’événement ont publiquement défendu Manon. Cependant, ces prises de position des créateurs de contenus n’ont pas ralenti la vague de messages haineux et sexistes qui visaient Manon Lanza.

 Le rôle du post Instagram de Manon dans la relance de la polémique


En octobre 2025 a eu lieu la troisième et dernière édition du GP Explorer. Lors de cette édition, Manon Lanza n’a pas été rappelée, à l’inverse de Maxime Biaggi qui a pu participer, a fait une très belle course et est arrivé 3e. Beaucoup d’internautes ont vu ce résultat comme la « revanche de Biaggi ». De plus, dans les jours suivant la fin du GP Explorer 3, Manon Lanza a posté sur son compte Instagram un post dans lequel elle expliquait son ressenti sur les événements du GP2 ainsi que sur le cyberharcèlement qu’elle reçoit depuis. Suite à cela, Manon Lanza a reçu une vague de soutien, notamment concernant son cyberharcèlement, mais aussi une nouvelle vague de harcèlement sexiste. Certains internautes l’accusent d’avoir fait exprès de poster pour recevoir de l’attention, et lui reprochent entre autres de vouloir « gâcher » la victoire de Maxime Biaggi ainsi que de vouloir se « venger » de Squeezie qui, selon elle, ne l’aurait pas assez soutenue. Elle y dit notamment : « Je suis partie aux urgences et c’est lui (Maxime Biaggi) qu’on a plaint et moi qu’on a insulté ». De par le très grand nombre de commentaires laissés sous son poste, Manon a supprimé et désactivé  les commentaires de celui-ci. Ce post de Manon Lanza a donc relancé la polémique autour de l’accident du GP Explorer 2 en remettant les événements passés au cœur de l’actualité et en recréant une source de débat entre les internautes soutenant Manon et ceux qui propagent des propos insultants et sexistes.

Le GP Explorer : un révélateur du cyberharcèlement croissant visant les femmes influenceuses, l’exemple de Manon Lanza 

Des critiques ancrées dans des logiques sexistes (analyse du vocabulaire employé)

 Aujourd’hui les manières de communiquer ont évolué. Les réseaux sociaux permettent à tous ceux qui souhaitent publier du contenu, de commenter des posts. 

D’après le chapitre 3 une Tendance de Fond provenant du livre La Marque c’est Moi de Marie Beauchesne, sur les réseaux sociaux «Il n’est pas question de neutralité, de bien ou de mal, mais de champ des possibles. Communiquer plus rapidement, à plus large échelle, à plus de monde est possible grâce aux nouvelles technologies et au digital » 

Twitter est un réseau social particulièrement virulent, très peu censuré où chacun peut s’exprimer de la manière qu’il souhaite envers tout le monde. Les utilisateurs peuvent commenter les publications et créer un profil anonyme ou fictif. Marie Beauchesne va plus loin en affirmant que « nous sommes tous influenceurs, par la possibilité de créer de l’information ou d’amplifier un mouvement existant qui sera à son tour relayé par des plateformes à plus large audience. » L’accident de Manon Lanza au GP explorer 2 à créer deux grandes vagues de « buzz ». Nous avons choisi d’analyser la  deuxième, qui est apparue, cette année, le jour de la finale du GP3 suite au post de Manon Lanza dénonçant le cyber-harcèlement qu’elle subit depuis 1 an. Nous avons choisi d’analyser un seul tweet publié par Breakflip, un compte certifié afin de pouvoir analyser toutes les réponses. En analysant les tweets, la première chose qui nous a interpellés est la virulence des propos, marqués par un usage fréquent d’insultes et, surtout, par des arguments stéréotypés, manichéens et patriarcaux. Parmi les 40 tweets analysés, 10 contiennent des arguments clairement sexistes.

Plusieurs utilisateurs emploient des surnoms péjoratifs pour s’adresser à Manon Lanza. 

@A écrit : « passe à autre chose soeurette », tandis que @colonel_zuizui commenté : « Faudrait assumer ses fautes ma petite dame ».

On observe également de nombreux reproches l’accusant de se victimiser et de “pleurnicher”. 

@B écrit ainsi : « Ouin ouin ouin », et 

@C affirme : « qu’elle fait de la merde, n’assure pas et joue la victime !! ». De son côté, 

@D commente : « ça fait genre ouin ouin marre du harcèlement ouin et un an après ça relance le sujet sans aucune foutue raison, juste pour gratter un peu de fame. C’est d’une tristesse mdr ».

Enfin, @E va plus loin en employant une insulte à connotation sexiste tout en affirmant la supériorité du masculin sur le féminin. Il écrit d’abord : « on s’en bat les couilles », puis qualifie Manon Lanza en ajoutant : « qu’elles arrêtent de pleurnicher cinq minutes ». 

@F va plus loin en commentant son post au pluriel : « Elles ne font que chialer et se victimiser… et s’étonnent que les gens ne les supportent pas », qualifiant ainsi toutes les femmes.

Un sexisme clairement banalisant suscitant très peu de réactions, ni de réponses.

Un débat a particulièrement retenu notre attention dans les commentaires : 

@G

c’est ça d’avoir voulu donné du buzz a une femme les gas c’est pas étonnant elle as juste vue une possibilité a mètre tout la faute sur des homme elle le saisie c’est aussi simple

réponses : 

@H

T’es un abruti ou quoi

@I

« Ultra kc » t’es plutôt un ultra fils de pute, il est toujours temps de fermer sa gueule et d’aller se faire enculer Dylan

@J

Y’a plus de fautes que de mots

@K

Tant la forme que le fond pu la merde dans ton message, dinguerie d’être si con (c’est un fait a ce niveau là, même pas une insulte)

@L

Maman doit être heureuse d’avoir un pareil rejeton…

@M

Ferme ta gueule t’as 12 ans t’as l’intelligence d’un parpaing et t’ose ouvrir ta gorge c’est trop grave

@N

Salle merde

@O

« gas » « elle as » « a mètre » gros… Va falloir faire un effort…

@P

Mdrr dylan

@Q

Enlève ce kc l’attardé

@R

Mon dieu prend pas la parole quand tu sais pas écrire comme ça on sait déjà t’es un teubé sa mère pourquoi tu t’affiches je capte pas

@S

Pour les abrutis de twitter ont toujours KC dans leur pseudo ?

Ici, @G publie un commentaire clairement sexiste adressé à Manon. Les réponses qu’il reçoit ne contiennent pas d’arguments pour contrer le sexisme, mais se limitent à des insultes. Sous ce post, Twitter apparaît comme une vitrine de harcèlement banalisé, où le sexisme est relayé avec une inquiétante normalité. Aucun commentaire n’est constructif et il n’existe aucun véritable fond, que ce soit dans les publications visant Manon Lanza ou dans les réponses échangées entre utilisateurs.

  Des commentaires principalement postés par des hommes ou des profils anonymes

La majorité des commentaires proviennent de comptes anonymes dont les pseudonymes ne permettent en aucun cas d’identifier les utilisateurs. En 2020, dans un article nommé La régulation des contenus sur Internet à l’heure des « fake news » et des discours de haine, Romain Badouard souligne que « publier des commentaires tout en demeurant anonyme peut favoriser des discussions impolies, des insultes et des menaces, ainsi qu’une escalade de propos violents. Ces prises de parole, qualifiées d’“inciviles”, contribuent à dégrader la qualité des débats citoyens en ligne ».

C’est le cas dans ce tweet où la majorité des profils sont anonymes, les pseudos rendent impossible l’identification des personnes et les photos de profil ne montrent aucun visage et ne révèlent aucune identité.

Lorsque des prénoms ou des photos sont visibles, on constate qu’il s’agit majoritairement d’hommes. Les tweets ouvertement sexistes que nous avons analysés ci-dessus ont d’ailleurs été exclusivement publiés par des profils anonymes ou par des utilisateurs masculins. Aucun profil identifiable comme féminin n’apparaît dans l’ensemble des tweets à connotation sexistes.

Des débats faussés et des prises de position biaisées

Des réactions enfermées dans des bulles informationnelles 

Nous pouvons assister à de nombreux tweets sexistes de la part des utilisateurs d’ X. Cependant, nous avons pu lire des tweets de soutien à Manon Lanza notamment lorsqu’on recherche le #Manon.

Nous observons sur ce tweet que le soutien est fait par une femme comme la plupart des tweets de soutien. On peut donc se demander si les algorithmes ont un impact sur la selection des tweets qu’on peut voir ? Dans l’étude de Grison, T., Julliard, V., Alié, F., & Ecrement, V. (2023), les auteurs montre que les algorithmes de modération peuvent affecter différemment les communautés, en censurant certains mots ou en rendant certaines voix moins visibles. Nous pouvons donc faire un lien avec la sélection des tweets du hashtag #Manon. Comme les militants LGBT ou TDS qui interrogent la manière dont les plateformes choisissent ce qui est montré ou ce qui est caché, ici les tweets de soutien et les tweets sexistes masqués dans ce hashtag. Nous pouvons aussi observer l’utilisation des emojis. Ici,  l’emoji coeur vient appuyer le propos du tweet, afin d’observer directement à quoi il fait allusion et que c’est un message de soutien. Les émoticônes sont utilisés pour exprimer des émotions mais ils peuvent avoir un sens polysémique. Cependant, ils peuvent aussi être utilisés pour transmettre des messages grossiers et pour échapper à la censure sur les réseaux sociaux.

Des vagues de critiques qui étouffent la possibilité de soutien ou de dialogue

Face à la vague de critiques contenant des propos sexistes et misogynes, on peut parler d’ « incivilité »., comme le montre Dupré, D., & Gramaccia, G. (2020). «L’incivisme» regroupe l’ensemble des comportements qui perturbent le bon déroulement du débat démocratique dans l’espace public numérique (sites de presse, blogs, réseaux sociaux, etc.). Dans ce cas, la plateforme X. Cette notion inclut notamment les propos stéréotypés, les insultes ou les menaces ciblées, visant à dévaloriser ou exclure certains internautes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur origine ethnique, et d’autres caractéristiques personnelles. Cette incivilité, exposé publiquement, peux légitimer, rendre acceptable et encourage le lynchage de Manon Lanza. Nous pouvons donc voir que le nombre de tweets sexistes est donc encouragé à l’instar de ceux de soutien. En effet, les commentaires sexistes sont ensuite relayés de nombreuses fois et laisse place à des débats avec des personnes plutôt en accord et en désaccord dans l’espace commentaires de tweets. On peut voir un effet de bulle informationnelle, qui va donc mettre en avant certains tweets plutôt que d’autres. On peut largement observer que la plupart de tweets que nous avons relevés était du même avis.

Pour conclure, l’accident de Manon Lanza et Maxime Biaggi a révélé un sexisme et un cyberharcèlement largement banalisés. Twitter apparaît comme un espace particulièrement virulent, où la modération reste limitée et où les échanges dégénèrent facilement.

Les débats laissent peu de place au fond ou à des arguments construits ; les prises de position les plus visibles reposent majoritairement sur des propos sexistes.

Bibliographie : 

Dupré, D., & Gramaccia, G. (2020). Violences de genre et discours post-féministes sur Twitter. Le cas de l’affaire Orelsan. Les Enjeux de l’information et de La Communication, N° 21/1(1), 91–112.https://doi.org/10.3917/enic.028.0091

Grison, T., Julliard, V., Alié, F., & Ecrement, V. (2023). La modération abusive sur Twitter. Réseaux, N° 237(1), 119–149. https://doi.org/10.3917/res.237.0119

Marie Beauchesne, La Marque c’est Moi, pages 69 à 94 chapitre 3 “une tendance de fond”

Romain Badouard, La régulation des contenus sur Internet à l’heure des « fake news » et des discours de haine 

Yu, M. (2021). Les spécificités des émoticônes chinoises. La Linguistique, Vol. 57(2), 165–187. https://doi.org/10.3917/ling.572.0165

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