Analyse des commentaires
Par Maude R, Vanessa A.
Utilisation des données personnelles des utilisateurs à des fins économiques, influence politique et lieux de liberté d’expression sans limite pouvant s’avérer dangereux… Les controverses autour des GAFA se multiplient simultanément à leur montée en puissance. Alors que le débat sur leur réglementation est actuellement un enjeu mondial, la réflexion s’est accélérée dès le début du mois de janvier 2021 après que la plateforme Twitter ait pris la décision de supprimer des Tweets puis de suspendre définitivement le compte de Donald Trump, 45ème Président des Etats-Unis. Cette décision, qui fait suite à l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump quelques jours plus tôt, est justifiée par la plateforme par un risque de débordements mais a tout de même été à l’origine de nombreux débats. Dans la continuité de l’analyse audiovisuelle du débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? » dans l’émission Le Débat diffusée sur France 24 le 12 janvier 2021, nous analyserons ici les commentaires publiés sous la vidéo YouTube de l’émission afin de déterminer si ce lieu d’échange peut constituer une extension du périmètre du débat.
Les réseaux sociaux : espaces de pleine liberté d’expression ?
Le paradoxe du débat télévisé et des réactions sur Twitter
Alors que le débat que nous étudions s’interroge sur la place et l’influence des réseaux sociaux dans notre société et met en avant leur immense puissance mais aussi le danger qu’ils représentent, nous nous trouvons cependant face à un paradoxe. En effet, si l’on s’intéresse aux réactions que l’émission du 12 janvier 2021 a suscitées, notamment sur Twitter dont il est principalement question, on remarque un taux d’engagement très faible voir même nul. Comme de nombreuses émissions, Le Débat de France 24 détient son propre compte Twitter. A l’occasion de chacun de ses débats, l’émission poste un ou plusieurs tweets à ce sujet sur son compte, créant plus ou moins de réactions de la part des internautes. En ce qui concerne le débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? », seulement un tweet a été posté donnant lieu à trois « Likes » et une seule réponse. En consultant les hashtags #DébatF24, #France24 et #Ledébat au moment de la diffusion de l’émission et quelques jours après, on peut par ailleurs constater qu’aucun engagement n’a eu lieu non plus.
C’est d’ailleurs en raison de ce manque d’engagement sur Twitter que nous avons fait le choix d’analyser les réactions du public à ce débat au travers des commentaires postés sous la vidéo YouTube diffusée sur la chaîne de France 24, soit le lieu où il y a eu le plus de réactions. Au 14 février 2021, soit 1 mois après la publication de la vidéo, cette dernière répertoriait 23 884 vues, 224 « Likes », 27 « Dislikes » et 66 Commentaires dont 10 donnant lieu à une ou plusieurs réponses.
La question de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux dans les commentaires
Si l’objet du débat télévisé est en particulier la suspension de Donald Trump par Twitter pour ses propos et, de ce fait, l’influence des GAFA sur la société et la politique, la question de la liberté d’expression sur les plateformes est également un enjeu majeur sur le plateau. En analysant les commentaires YouTube grâce à l’outil AnaText qui permet d’extraire les fréquences des mots du texte, on peut a priori penser que la notion de liberté d’expression y est tout autant mise en avant.
On remarque en effet que parmi les Lemmes revenant le plus fréquemment, le mot « liberté » est le second mot le plus récurrent dans l’ensemble des commentaires en étant cité 14 fois. Se trouve en sixième position le mot « expression » répété à 9 reprises. Néanmoins, en analysant plus précisément le contenu de l’ensemble des commentaires, on constate que cet enjeu n’est évoqué qu’à peu de reprises. Parmi l’ensemble des commentaires publiés, la question de la liberté d’expression n’est abordée que dans 28% des commentaires.
Positionnement concernant la censure de Donald Trump par Twitter
La censure du compte de Donald Trump par Twitter pouvant être considérée comme entrave à la liberté d’expression, c’est cet enjeu qui divise principalement les internautes en commentaires : a l’instar des intervenants présents dans l’émission. Tout comme dans le débat télévisé, on remarque qu’il peut être difficile pour les individus de prendre clairement partie. Ainsi, malgré de vives critiques à l’encontre des GAFA, de Donald Trump ou encore du gouvernement, on s’aperçoit que dans 46% des commentaires (soit près de la moitié) l’internaute n’aborde pas précisément sa position. Parmi ceux qui se positionnent, on peut voir cependant que la majorité (36%) est contre la censure, contre seulement 23% en faveur de cette dernière.
Une critique des GAFA, de Donald Trump et de l’Etat
Les GAFA comme acteur politique
Si l’on en croit le raisonnement d’auteurs tels qu’Hannah Arendt ou encore Jürgen Habermas qui ont étudié la notion d’espace public et dont les travaux nous aident à réfléchir sur le rôle des plateformes numériques, on peut considérer ces dernières comme de véritables acteurs politiques. D’après l’ouvrage L’Espace Public d’Habermas publié en 1978, on peut penser qu’en raison du développement des plateformes numériques il émerge un pouvoir détaché de la rationalité donnant naissance à une gouvernance de ces plateformes. Influencant les individus, leurs avis et leur manière de penser, les plateformes peuvent de ce fait s’avérer être une menace pour la démocratie.
Cette crainte de la domination des plateformes, aussi appelée « oligarchie digitale » est en effet belle et bien visible dans les commentaires de la vidéo YouTube où les « GAFA », « géants du web » ou encore « géants du numérique » sont les principaux acteurs incriminés et critiqués. Si certains commentaires dénoncent les GAFA comme étant « un Etat à part entière » échappant à la législation du gouvernement, ce qui est également remis en question par les commentateurs est leur légitimité quant à la censure des individus, et leur réglementation arbitraire.
Le gouvernement et Trump au second plan
Si près de la moitié des commentaires YouTube mettent en lumière une crainte envers les GAFA et une remise en question de leur influence et de leur pouvoir, l’autre moitié des commentaires se divise entre deux autres protagonistes étant également des menaces. A savoir, le gouvernement dans 24% des commentaires, et Donald Trump lui-même dans 23% des cas.
En ce qui concerne le gouvernement, il ressort notamment que ce dernier manque de fermeté face aux plateformes et les laisse faire, pouvant même parfois en tirer profit. Si l’on se réfère à l’ouvrage What is Web 2.0 de Tim O’Reilly publié en 2009, on peut penser ce rapport de l’Etat aux plateformes en termes de domination. En effet, le manque d’action du gouvernement face aux GAFA dénoncé dans les commentaires YouTube pourrait ainsi être justifié, selon O’Reilly, par un important pouvoir des plateformes pouvant mettre l’Etat en difficulté.
Donald Trump, quant à lui, semble être le moins incriminé dans les commentaires. Au travers de notre analyse AnaText, on remarque pourtant que le mot « Trump » est le second nom le plus fréquent, mentionné 15 fois. Ceci peut s’expliquer par le fait que si dans 23% des commentaires il est vivement critiqué – notamment pour son comportement, ses nombreux débordements sur les réseaux sociaux et le danger que cela peut représenter – il est également soutenu par certains commentateurs. En effet, on remarque que dans 10% des commentaires, les auteurs prennent la défense de l’ancien Président des Etats-Unis.
La comparaison de la situation au reste du monde
Quel que soit le protagoniste incriminé dans les commentaires, on remarque qu’à plusieurs reprises cette situation de censure est rapportée à différents pays du monde, voire même au monde entier. Alors que notre analyse AnaText démontre que le mot « Monde » est le nom le plus fréquent, mentionné 16 fois, nous pouvons voir dans notre analyse de contenu que les commentaires comparent principalement la situation à la France ou au monde entier et moindrement à d’autres pays tels que les pays du Maghreb, l’Allemagne, ou encore la Libye.
Cette comparaison à la France pourrait éventuellement s’expliquer par le fait que la majorité des auteurs des commentaires semblent être francophones, à l’instar du public habituel de l’émission Le Débat de France 24. Les éléments qui sont mis en comparaison sont notamment les différents gouvernements et leurs actions ou encore l’impact, l’utilisation et la réglementation des plateformes dans le monde. Au travers de ces commentaires, on dénonce parfois également la responsabilité des GAFA dans certains événements tels que des attentats ou des révolutions.
Un débat fébrile dans les commentaires
Peu de véritables interactions
Si les plateformes numériques semblent parfois s’inscrire dans le prolongement de l’espace public en sens où elles peuvent constituer une extension au débat, il semblerait que cela ne soit pas véritablement le cas dans le cadre de cette émission. En effet, parmi les 66 commentaires de cette vidéo, seuls 10 d’entre eux donnent lieu à une ou plusieurs réponses et seulement 8 rendent comptent d’un échange pertinent. On observe principalement dans ces réponses soit une contradiction ou une critique, soit une validation du propos tenu par l’auteur du commentaire à qui est adressée la réponse.
Ainsi, bien que la majorité des commentaires publiés sous la vidéo de l’émission soient pertinents et que certains commentateurs se répondent entre eux, la plateforme YouTube ne semble pas être un espace qui se prête réellement aux échanges et au dialogue entre les individus. D’après l’article “La dégradation du débat public: le forum de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde »” de Maud Vincent, malgré qu’il n’y ait pas de véritable violence dans les commentaires, il semblerait que nous faisions face ici à un espace public dégradé. En effet, si les échanges sont rares, on observe néanmoins une certaine opposition dans les réponses mais aussi, un manque de dialogue et peu d’argumentation, synonymes de cette dégradation du débat.
Les commentaires : un lieu d’expression de soi ?
Comme évoqué précédemment, les commentaires publiés sous la vidéo de l’émission ne permettent pas réellement d’étendre le périmètre du débat. En revanche, on peut constater que ces derniers sont très personnels. En effet, au travers des commentaires qu’ils laissent, il semblerait que les auteurs cherchent simplement à exprimer leur opinion, n’attendant pas nécessairement de réponse à leur propos. Les commentaires pourraient ainsi constituer une certaine forme d’affirmation identitaire de l’auteur, probablement en quête de valorisation de sa personnalité par ses pairs dans un but de construction de soi. Comme nous l’expliquent Laurence Allard et Frédéric Vandenberghe, dans leur article EXPRESS YOURSELF ! LES PAGES PERSO : Entre légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer, à l’instar des pages personnelles, YouTube pourrait ici servir dispositif de figuration de soi médiaté au travers duquel les individus s’exposent aux autres en vue d’une reconnaissance « peer to peer » de leur authenticité réflexive.
Bibliographie
- Habermas, Jürgen. L’espace public : Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris, Payot, 1978.
- O’Reilly, Tim. What Is Web 2.0 : Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software, 2009.
- Vincent, Maud. « La dégradation du débat public : le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde » », Hermès, La Revue, vol. 47, no. 1, 2007, pp. 99-106.
- Allard, Laurence, et Frédéric Vandenberghe. « Express yourself ! Les pages perso. Entre légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer », Réseaux, vol. no 117, no. 1, 2003, pp. 191-219.
Il est vrai que la suspension du compte de Donald Trump pose des questions d’éthique et de légitimité. Je trouve que Twitter a eu en partie raison de suspendre son compte (ou pouvons-nous parler de censure ?), pour la simple raison que cette plateforme a une charte d’utilisation, avec des règles à respecter et qu’elle ne fait qu’appliquer sa politique.
Pourtant de là à suspendre le compte d’un président est un geste fort (dans le sens de son impact plus que dans sa réalisation) quand nous savons que de nombreux utilisateurs se servent de Twitter dans le seul but de cracher leur venin (discours haineux et racistes), diffuser des messages de propagande etc. Je pense aux climato-sceptiques, aux platistes ou les terroristes. Le panel est assez large je vous l’accorde cependant n’existe-t-il pas un « deux poids, deux mesures » dont Trump a fait les frais?
Cette suspension de compte – ce qui voudrait dire qu’il n’a pas été supprimé il me semble – montre, je trouve, la preuve concrète du pouvoir des plateformes digitales. A condition d’être quelqu’un de très influent ou une personnalité publique. Il ne faut pas oublier que chaque utilisateur génère des revenues, par ses données et par l’affichage des publicités, donc elle n’aurait pas intérêt à perdre des utilisateurs aussi actifs que Trump.
Ce qui est vraiment étonnant dans cette histoire, c’est que le degré de liberté d’expression l’est beaucoup plus qu’en France. Alors comment se fait-il que Twitter, d’origine américaine, n’ai pas tout simplement « laissé couler » les discours de ce président?
Comme le montre très bien votre analyse de commentaires, je suis étonné que la question de la liberté d’expression ait été si peu mentionné par les internautes. Comme vous l’avez dit à propos de Twitter, mais cela est au tout aussi vrai sur Youtube, l’engagement des internautes est faible. Cela laisse croire qu’il y ai une sorte d’accord tacite entre les personnes sur la légitimité qu’a eu la plateforme sur cette suspension, alors pourquoi devraient-ils commenter ? Il apparait que je me trompe puisque finalement, la faute est rejetée sur le côté arbitraire de la décision et des GAFA plus généralement. La méfiance envers les GAFA est tout à fait légitime.
En dehors du sujet de la liberté d’expression, il faut rappeler que son appel à l’insurrection, via la retransmission télévisuelle, son discours a été prolongé par ses tweet; Twitter ne pouvait sûrement pas accepter cela mais quand il s’agit de personnes politiques, a-t-elle le droit d’agir unilatéralement ?
Il est vrai que la suspension du compte de Donald Trump pose des questions d’éthique et de légitimité. Je trouve que Twitter a eu en partie raison de suspendre son compte (ou pouvons-nous parler de censure ?), pour la simple raison que cette plateforme a une charte d’utilisation, avec des règles à respecter et qu’elle ne fait qu’appliquer sa politique. Pourtant de là à suspendre le compte d’un président est un geste fort (dans le sens de son impact plus que dans sa réalisation) quand nous savons que de nombreux utilisateurs se servent de Twitter dans le seul but de cracher leur venin (discours haineux et racistes), diffuser des messages de propagande etc. Je pense aux climato-sceptiques, aux platistes ou encore Daech. Le panel est assez large je vous l’accorde cependant n’existe-t-il pas un « deux poids, deux mesures » dont Trump a fait les frais? Cette suspension de compte – ce qui voudrait dire qu’il n’a pas été supprimé il me semble – montre, je trouve, la preuve concrète du pouvoir des plateformes digitales. A condition d’être quelqu’un de très influent ou une personnalité publique. Il ne faut pas oublier que chaque utilisateur génère des revenues, par ses données et par l’affichage des publicités.
Ce qui est vraiment étonnant dans cette histoire, c’est que le degré de liberté d’expression l’est beaucoup plus qu’en France. Alors comment se fait-il que Twitter, d’origine américaine, n’ai pas tout simplement « laissé couler » les discours de ce président?
Comme le montre très bien votre analyse de commentaires, je suis étonné que la question que le thème de la liberté d’expression ait été si peu mentionné par les internautes. Comme vous l’avez dit à propos de Twitter, mais cela est au tout aussi vrai sur Youtube, l’engagement des internautes est faible. Cela laisse croire qu’il y ai une sorte d’accord tacite entre les personnes sur la légitimité qu’a eu la plateforme sur cette suspension, alors pourquoi devraient-ils commenter ? Il se peut que je me trompe puisque très vite le débat dérive sur la puissance de GAFA et la méfiance que cela engendre.
En dehors de la liberté d’expression, son appel à l’insurrection, via la retransmission télévisuelle, il faut noter que son discours a été prolongé par ses tweet; Twitter ne pouvait sûrement pas accepter cela mais quand il s’agit de personnes politiques, a-t-elle le droit d’agir unilatéralement ?
Bonjour,
Tout d’abord nous voudrions vous remercier pour la qualité de votre article. Celui-ci analyse avec une clarté particulière les réactions que suscitent ce débat qui questionne les réseaux sociaux et leur positionnement comme acteur politique, tout en cristallisant la réflexion autour de la censure de Donald Trump sur Twitter et le pouvoir des GAFA vis-à-vis de leur contrôle du discours sur les espaces numériques.
Nous aimerions coupler votre analyse avec des points qui nous semblent importants.
Tout d’abord, nous aurions souhaité des précisions concernant l’utilisation de la notion “d’extension du périmètre du débat” et ce qu’il recoupe en termes de relation à l’espace public. Aussi, en quel sens cela est-il mis en opposition à “un espace d’expression de soi” ? Ensuite, votre article mentionne que la plateforme Twitter sollicite un taux d’engagement très faible voire nul sur la vidéo du débat. Quelle serait votre hypothèse et votre interprétation sur cette constatation, étant donné que le débat de l’émission pose son regard sur cette même plateforme ?
D’autre part, la partie qui relate la question sur la liberté d’expression nous permet, grâce à une analyse des commentaires, de pouvoir constater que ces termes sont inhérents au débat et ont une place centrale dans l’espace commentaire Youtube. Cependant, vous évoquez l’idée qu’en menant une analyse plus précise du contenu, le constat apparaît que cet enjeu est finalement peu évoqué. Ainsi, que cherchiez vous à démontrer avec cette analyse lexicométrique et comment vous la rattacheriez à votre questionnement initial sur la définition de l’espace commentaire Youtube ?
Concernant le diagramme au sujet du « positionnement des commentateurs sur le sujet de la censure”, pourriez-vous expliciter sur quels critères vous vous êtes appuyés afin de dégager clairement les tendances affirmatives ou négatives et de déduire ces prises de positions.
Ensuite, le rapprochement des GAFA, de Donald Trump et de l’Etat dans la seconde partie de votre article est particulièrement intéressant dans la mesure où il nous pousse à nous questionner sur l’origine de ce lien. Les réactions sur les réseaux sociaux quant à ce rapprochement témoignent majoritairement d’une idée de” menace pour la démocratie”.
En lien avec la dimension politique des acteurs comme les GAFA, vous mentionnez par ailleurs Habermas. Pourriez-vous nous préciser quel concept de ce théoricien vous a permis d’éclairer votre sujet et d’arriver à la conclusion que les plateformes peuvent être une menace pour la démocratie ? Vous évoquez également le fait que les internautes sont divisés sur la question de la censure mais qu’il est difficile pour eux de prendre partie. Bien que le débat ne semble pas aller plus loin que les limites posées au départ, ne serait-ce pas justement le fait qu’ils soient divisés et donc qu’ils prennent clairement partie qui conduit à cette limite ?
Dans votre dernière grande partie, vous assimiler les commentaires à un lieu d’expression de soi en appuyant le fait que les commentateurs sont là pour exprimer leurs opinions personnelles sans forcément attendre un quelconque retour. En ce sens, les internautes seraient là en grande partie pour affirmer leurs valeurs individuelles, et non pour argumenter ou échanger.
Notre équipe ayant également analysé les réactions à un débat sur Youtube, nous l’avons de même grandement constaté. Bien que Youtube soit un lieu d’expression d’opinions diverses qui permet “d’agrandir le périmètre du débat”, il est difficile de parler de débat au regard du peu d’interactions et de volonté sincère d’échanger de façon constructive dans les quelques interactions qui existent. Il est intéressant de voir que cette dynamique dans les commentaires peut s’appliquer à des contenus de formes et thématiques très différentes.
Par ailleurs, vous évoquez aussi dans cette partie le concept de “dégradation du débat public” issu d’un article de Maud Vincent analysant des forums de discussions. En effet, celle-ci explicite l’idée que les forums sont un lieu d’expression de points de vues et non d’échange, avec la visée expressive qui domine et peu de prise en compte de la parole d’autrui. Il semble que cet aspect-là se soit bien dégagé de votre analyse. Néanmoins, elle insiste avant tout, quand elle parle de dégradation du débat, sur la dimension pulsionnelle qui se traduit par des cris de colère, des prises à parti violentes, mais aussi une certaine forme de radicalité des opinions et des traces d’impolitesse dans les échanges. Elle fait véritablement écho à l’image d’un défouloir et d’un espace d’indignation peu conforme. Avez-vous pu constater ce type de dynamiques ? Qu’en pensez-vous ?
Enfin, et c’est une question que nous nous sommes aussi posée : un débat qui n’en est pas vraiment un est-il forcément une dégradation du débat public ?
En vous remerciant,
Très cordialement,
L’équipe 2 (Alice Thfoin, Ambre Mestaoui, Estelle Magnieux)
Chère équipe 2,
Nous vous remercions pour ce commentaire pertinent et serions ravies de répondre à l’ensemble de vos interrogations.
Comme vous avez pu le remarquer dans notre article, nous n’avons constaté qu’un très faible taux d’engagement relatif au débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? » sur le réseau social Twitter. Si cela peut sembler surprenant notamment au regard du nombre d’abonnés au compte officiel de l’émission (@DebatF24) qui s’élève à ce jour à plus de 57000 personnes et d’autant plus lorsque l’objet du débat traite de cette même plateforme, on peut néanmoins affirmer que ce n’est pas un cas isolé. En effet, si l’on s’intéresse aux différents tweets d’annonce du débat à venir ou en cours postés sur le compte @DebatF24, on peut remarquer que ces derniers n’engendrent en général qu’un faible taux de réactions. Si certains tweets peuvent parfois atteindre une vingtaine, voir une trentaine de « Likes » et/ou de « Retweets », ces cas de figure se font particulièrement rares et ne génèrent pas non plus un grand nombre de commentaires. Le tweet relatif à notre débat s’inscrit donc dans la majorité de tweets du compte @DebatF24 qui ne suscitent que très peu de réactions. De plus, si l’on se réfère aux hashtags #DebatF24, #France24 et #Ledébat, on peut également mettre en exergue le fait que ces derniers sont principalement utilisés par le compte officiel de l’émission dans les tweets d’annonce d’un débat, qui sont parfois repris par certains utilisateurs sans modifications pour promouvoir également l’émission. Cependant, ces derniers ne sont pas réellement utilisés pour se référer au débat et créer une éventuelle interaction.
Par conséquent, notre hypothèse est que le faible taux d’engagement sur le tweet relatif au débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? » se justifie par un faible taux d’engagement général des utilisateurs de Twitter, non seulement sur le compte @DebatF24 mais également sur l’ensemble des hashtags qui y sont liés.
Ce constat nous amène désormais à l’explication de notre méthodologie de travail en sens où c’est en partant de ce constat initial que nous avons choisi de nous intéresser à l’analyse des commentaires de la vidéo YouTube. Contrairement à Twitter, la plateforme Youtube semble plus propice à l’engagement des internautes : probablement en raison du rapport différent à l’anonymat que vous mentionnez dans votre analyse des commentaires du débat « Faut-il mettre fin à l’impunité des mineurs violents ? » chez Sud Radio !
Ainsi, notre analyse l’ensemble des 66 commentaires présents sous la vidéo du débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? » s’est construite en trois temps. Tout d’abord, une analyse lexicométrique afin de déterminer quels sont les termes qui reviennent le plus souvent grâce à l’outil AnaText. Nous avons ensuite réalisé une analyse plus précise du contenu des commentaires qui a consisté à lire l’ensemble, les répertorier dans un tableau Excel, ne garder que les plus pertinents, puis répertorier chacun d’entre eux selon les propos tenus dans les catégories suivantes :
– Pour la censure
– Contre la censure
– Incriminant les GAFA
– Incriminant Trump
– Prenant la défense de Trump
– Responsabilité du gouvernement
– Évocation de la liberté d’expression
Il est vrai que dans cette partie de notre analyse, il était nécessaire que les propos tenus dans les commentaires soient relativement clairs et orientés mais grâce à la diversité des catégories dans lesquelles pouvait s’inscrire un commentaire. Ainsi, nous avons pu produire nos graphiques. Enfin, nous avons tenté de déterminer le profil et le comportement de chaque commentateur : sa manière de répondre, son origine, son sexe, son degré d’anonymat… En reliant ces différentes analyses, nous avons pu avoir une vision relativement précise du positionnement des commentateurs et de leurs opinions, ainsi que des sujets les plus abordés. La contradiction que vous relevez entre l’analyse lexicométrique et l’analyse du contenu au sujet de la liberté d’expression peut donc s’expliquer par le fait que, bien que cette question ne soit véritablement mentionnée que dans 28% des commentaires, il n’en demeure pas moins qu’il s’agisse là de l’un des sujets qui soit le plus souvent évoqué. La question de la liberté d’expression étant l’un des enjeux majeurs du débat télévisé auquel se réfèrent les commentaires, il nous a semblé pertinent d’étudier l’avis des commentateurs à ce sujet. D’autant plus que ces derniers sont les principaux concernés par cette question, affirmant eux même leur propre liberté d’expression en faisant la démarche d’utiliser l’espace commentaire YouTube afin d’y exprimer leurs opinions personnelles.
S’agissant par ailleurs de la menace que pourraient représenter les plateformes pour la démocratie, nous construisons ici notre raisonnement sur la notion « d’agir communicationnel » d’Habermas. D’après ce concept, pour qu’une démocratie soit non plus seulement représentative mais délibérative, cette dernière doit reposer sur un principe de rationalité. Or, aujourd’hui la gouvernance des plateformes, qui ont émergé dans un intérêt principalement capitaliste semble faire émerger un pouvoir éloigné de toute rationalité. Ainsi, ne reposant pas sur le principe de discussion rationnelle, c’est en ce sens que les plateformes peuvent s’avérer être une menace pour la démocratie.
Pour terminer, revenons-en aux limites et à l’extension du débat. Nous avons effectivement fait référence à l’analyse de Maud Vincent pour justifier un débat dégradé en sens où il n’y a que peu de dialogue et d’argumentation. Néanmoins, comme mentionné dans l’article, bien qu’il puisse y avoir de vives oppositions et critiques entre les individus, nous n’avons pas constaté de véritable violence. Nous avons cependant effectivement pu constater une certaine dynamique « pulsionnelle » de la part des utilisateurs qui ne commentent pas véritablement pour débattre mais pour exprimer leur opinion. Par conséquent, l’espace commentaire YouTube ne se prêtant pas réellement à l’ouverture du débat mais plus à l’expression de soi, il s’agirait là d’un espace public dégradé. Ceci nous amène désormais à penser la notion « d’expression de soi » et de voir de quelle manière cette dernière entre en opposition avec celle « d’extension du périmètre du débat ». Tenant compte du fait que l’on peut considérer les plateformes comme étant un prolongement de l’espace public, il va de soi de penser que ces dernières sont un espace d’expression propice au déroulement d’un débat. On peut donc à priori penser que bien que le débat de l’émission soit clôturé, il peut néanmoins se prolonger grâce à l’espace de commentaire YouTube. En ce sens, ce dernier pourrait être considéré comme un espace d’extension du périmètre du débat. Or, nous avons prouvé grâce à cette analyse que cet espace public n’est pas véritablement propice à l’ouverture du débat mais davantage à une expression de soi. Ainsi, il peut sembler évident de penser que si à l’espace de commentaire YouTube est un lieu d’expression de soi, il ne peut être un lieu de débat. Vient ainsi notre réponse à votre dernière question : d’après nous et selon les références sur lesquelles nous nous sommes appuyées, il semblerait effectivement que lorsque l’espace public ne puisse pas se prêter à un débat rationnel ce dernier soit dégradé.
Nous espérons avoir pu éclaircir vos quelques interrogations !
Bien cordialement,
Maude Rebreyend et Vanessa Arias