Des hauts et débats - Master Industries Culturelles - Université Paris 8

Analyse des commentaires

Par Maude R, Vanessa A.

Utilisation des données personnelles des utilisateurs à des fins économiques, influence politique et lieux de liberté d’expression sans limite pouvant s’avérer dangereux… Les controverses autour des GAFA se multiplient simultanément à leur montée en puissance. Alors que le débat sur leur réglementation est actuellement un enjeu mondial, la réflexion s’est accélérée dès le début du mois de janvier 2021 après que la plateforme Twitter ait pris la décision de supprimer des Tweets puis de suspendre définitivement le compte de Donald Trump, 45ème Président des Etats-Unis. Cette décision, qui fait suite à l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump quelques jours plus tôt, est justifiée par la plateforme par un risque de débordements mais a tout de même été à l’origine de nombreux débats. Dans la continuité de l’analyse audiovisuelle du débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? » dans l’émission Le Débat diffusée sur France 24 le 12 janvier 2021, nous analyserons ici les commentaires publiés sous la vidéo YouTube de l’émission afin de déterminer si ce lieu d’échange peut constituer une extension du périmètre du débat. 

Les réseaux sociaux : espaces de pleine liberté d’expression ?

Le paradoxe du débat télévisé et des réactions sur Twitter

Alors que le débat que nous étudions s’interroge sur la place et l’influence des réseaux sociaux dans notre société et met en avant leur immense puissance mais aussi le danger qu’ils représentent, nous nous trouvons cependant face à un paradoxe. En effet, si l’on s’intéresse aux réactions que l’émission du 12 janvier 2021 a suscitées, notamment sur Twitter dont il est principalement question, on remarque un taux d’engagement très faible voir même nul. Comme de nombreuses émissions, Le Débat de France 24 détient son propre compte Twitter. A l’occasion de chacun de ses débats, l’émission poste un ou plusieurs tweets à ce sujet sur son compte, créant plus ou moins de réactions de la part des internautes. En ce qui concerne le débat « Les réseaux sociaux, un acteur politique ? », seulement un tweet a été posté donnant lieu à trois « Likes » et une seule réponse. En consultant les hashtags #DébatF24, #France24 et #Ledébat au moment de la diffusion de l’émission et quelques jours après, on peut par ailleurs constater qu’aucun engagement n’a eu lieu non plus. 

 

 

C’est d’ailleurs en raison de ce manque d’engagement sur Twitter que nous avons fait le choix d’analyser les réactions du public à ce débat au travers des commentaires postés sous la vidéo YouTube diffusée sur la chaîne de France 24, soit le lieu où il y a eu le plus de réactions. Au 14 février 2021, soit 1 mois après la publication de la vidéo, cette dernière répertoriait 23 884 vues, 224 « Likes », 27 « Dislikes » et 66 Commentaires dont 10 donnant lieu à une ou plusieurs réponses.

La question de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux dans les commentaires

Si l’objet du débat télévisé est en particulier la suspension de Donald Trump par Twitter pour ses propos et, de ce fait, l’influence des GAFA sur la société et la politique, la question de la liberté d’expression sur les plateformes est également un enjeu majeur sur le plateau. En analysant les commentaires YouTube grâce à l’outil AnaText qui permet d’extraire les fréquences des mots du texte, on peut a priori penser que la notion de liberté d’expression y est tout autant mise en avant.

On remarque en effet que parmi les Lemmes revenant le plus fréquemment, le mot « liberté » est le second mot le plus récurrent dans l’ensemble des commentaires en étant cité 14 fois. Se trouve en sixième position le mot « expression » répété à 9 reprises. Néanmoins, en analysant plus précisément le contenu de l’ensemble des commentaires, on constate que cet enjeu n’est évoqué qu’à peu de reprises. Parmi l’ensemble des commentaires publiés, la question de la liberté d’expression n’est abordée que dans 28% des commentaires.

Positionnement concernant la censure de Donald Trump par Twitter

La censure du compte de Donald Trump par Twitter pouvant être considérée comme entrave à la liberté d’expression, c’est cet enjeu qui divise principalement les internautes en commentaires : a l’instar des intervenants présents dans l’émission. Tout comme dans le débat télévisé, on remarque qu’il peut être difficile pour les individus de prendre clairement partie. Ainsi, malgré de vives critiques à l’encontre des GAFA, de Donald Trump ou encore du gouvernement, on s’aperçoit que dans 46% des commentaires (soit près de la moitié) l’internaute n’aborde pas précisément sa position. Parmi ceux qui se positionnent, on peut voir cependant que la majorité (36%) est contre la censure, contre seulement 23% en faveur de cette dernière. 

Une critique des GAFA, de Donald Trump et de l’Etat 

Les GAFA  comme acteur politique 

Si l’on en croit le raisonnement d’auteurs tels qu’Hannah Arendt ou encore Jürgen Habermas qui ont étudié la notion d’espace public et dont les travaux nous aident à réfléchir sur le rôle des plateformes numériques, on peut considérer ces dernières comme de véritables acteurs politiques. D’après l’ouvrage L’Espace Public d’Habermas publié en 1978, on peut penser qu’en raison du développement des plateformes numériques il émerge un pouvoir détaché de la rationalité donnant naissance à une gouvernance de ces plateformes. Influencant les individus, leurs avis et leur manière de penser, les plateformes peuvent de ce fait s’avérer être une menace pour la démocratie.

 

Cette crainte de la domination des plateformes, aussi appelée « oligarchie digitale » est en effet belle et bien visible dans les commentaires de la vidéo YouTube où les « GAFA », « géants du web » ou encore « géants du numérique » sont les principaux acteurs incriminés et critiqués. Si certains commentaires dénoncent les GAFA comme étant « un Etat à part entière » échappant à la législation du gouvernement, ce qui est également remis en question par les commentateurs est leur légitimité quant à la censure des individus, et leur réglementation arbitraire.

Le gouvernement et Trump au second plan

Si près de la moitié des commentaires YouTube mettent en lumière une crainte envers les GAFA et une remise en question de leur influence et de leur pouvoir, l’autre moitié des commentaires se divise entre deux autres protagonistes étant également des menaces. A savoir, le gouvernement dans 24% des commentaires, et Donald Trump lui-même dans 23% des cas.

En ce qui concerne le gouvernement, il ressort notamment que ce dernier manque de fermeté face aux plateformes et les laisse faire, pouvant même parfois en tirer profit. Si l’on se réfère à l’ouvrage What is Web 2.0 de Tim O’Reilly publié en 2009, on peut penser ce rapport de l’Etat aux plateformes en termes de domination. En effet, le manque d’action du gouvernement face aux GAFA dénoncé dans les commentaires YouTube pourrait ainsi être justifié, selon O’Reilly, par un important pouvoir des plateformes pouvant mettre l’Etat en difficulté. 

Donald Trump, quant à lui, semble être le moins incriminé dans les commentaires. Au travers de notre analyse AnaText, on remarque pourtant que le mot « Trump » est le second nom le plus fréquent, mentionné 15 fois. Ceci peut s’expliquer par le fait que si dans 23% des commentaires il est vivement critiqué – notamment pour son comportement, ses nombreux débordements sur les réseaux sociaux et le danger que cela peut représenter – il est également soutenu par certains commentateurs. En effet, on remarque que dans 10% des commentaires, les auteurs prennent la défense de l’ancien Président des Etats-Unis. 

La comparaison de la situation au reste du monde 

 Quel que soit le protagoniste incriminé dans les commentaires, on remarque qu’à plusieurs reprises cette situation de censure est rapportée à différents pays du monde, voire même au monde entier. Alors que notre analyse AnaText démontre que le mot « Monde » est le nom le plus fréquent, mentionné 16 fois, nous pouvons voir dans notre analyse de contenu que les commentaires comparent principalement la situation à la France ou au monde entier et moindrement à d’autres pays tels que les pays du Maghreb, l’Allemagne, ou encore la Libye. 

 

Cette comparaison à la France pourrait éventuellement s’expliquer par le fait que la majorité des auteurs des commentaires semblent être francophones, à l’instar du public habituel de l’émission Le Débat de France 24. Les éléments qui sont mis en comparaison sont notamment les différents gouvernements et leurs actions ou encore l’impact, l’utilisation et la réglementation des plateformes dans le monde. Au travers de ces commentaires, on dénonce parfois également la responsabilité des GAFA dans certains événements tels que des attentats ou des révolutions.

Un débat fébrile dans les commentaires

Peu de véritables interactions   

Si les plateformes numériques semblent parfois s’inscrire dans le prolongement de l’espace public en sens où elles peuvent constituer une extension au débat, il semblerait que cela ne soit pas véritablement le cas dans le cadre de cette émission. En effet, parmi les 66 commentaires de cette vidéo, seuls 10 d’entre eux donnent lieu à une ou plusieurs réponses et seulement 8 rendent comptent d’un échange pertinent. On observe principalement dans ces réponses soit une contradiction ou une critique, soit une validation du propos tenu par l’auteur du commentaire à qui est adressée la réponse.

Ainsi, bien que la majorité des commentaires publiés sous la vidéo de l’émission soient pertinents et que certains commentateurs se répondent entre eux, la plateforme YouTube ne semble pas être un espace qui se prête réellement aux échanges et au dialogue entre les individus. D’après l’article “La dégradation du débat public: le forum de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde »” de Maud Vincent, malgré qu’il n’y ait pas de véritable violence dans les commentaires, il semblerait que nous faisions face ici à un espace public dégradé. En effet, si les échanges sont rares, on observe néanmoins une certaine opposition dans les réponses mais aussi, un manque de dialogue et peu d’argumentation, synonymes de cette dégradation du débat.

Les commentaires : un lieu d’expression de soi ? 

Comme évoqué précédemment, les commentaires publiés sous la vidéo de l’émission ne permettent pas réellement d’étendre le périmètre du débat. En revanche, on peut constater que ces derniers sont très personnels. En effet, au travers des commentaires qu’ils laissent, il semblerait que les auteurs cherchent simplement à exprimer leur opinion, n’attendant pas nécessairement de réponse à leur propos. Les commentaires pourraient ainsi constituer une certaine forme d’affirmation identitaire de l’auteur, probablement en quête de valorisation de sa personnalité par ses pairs dans un but de construction de soi. Comme nous l’expliquent Laurence Allard et Frédéric Vandenberghe, dans leur article EXPRESS YOURSELF ! LES PAGES PERSO : Entre légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer, à l’instar des pages personnelles, YouTube pourrait ici servir dispositif de figuration de soi médiaté au travers duquel les individus s’exposent aux autres en vue d’une reconnaissance « peer to peer » de leur authenticité réflexive.

Bibliographie

  • Habermas, Jürgen. L’espace public : Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris, Payot, 1978.
  • O’Reilly, Tim. What Is Web 2.0 : Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software, 2009. 
  • Vincent, Maud. « La dégradation du débat public : le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde » », Hermès, La Revue, vol. 47, no. 1, 2007, pp. 99-106.
  • Allard, Laurence, et Frédéric Vandenberghe. « Express yourself ! Les pages perso. Entre légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive peer to peer », Réseaux, vol. no 117, no. 1, 2003, pp. 191-219.
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