Le jeudi 19 octobre 2023, l’émission de radio quotidienne “Pascal Praud et vous”[1], diffusée sur Europe 1, revenait sur le dépôt de plainte de Karim Benzema à l’encontre de Gérald Darmanin, suite aux propos de ce dernier qui avait accusé le sportif d’être en “lien notoire” avec les Frères musulmans, une organisation panislamiste considérée comme terroriste dans de nombreux pays du monde.
Une émission symbolique d’un changement de politique majeur chez Europe 1
Diffusée quotidiennement du lundi au vendredi, l’émission éponyme “Pascal Praud et vous” met en scène le journaliste et chroniqueur débattant de sujets d’actualité avec différents invités. Les auditeurs peuvent appeler afin de prendre part au débat en direct. L’accent est mis sur le débat participatif, il s’agit de permettre à des personnes ne s’exprimant ordinairement pas publiquement, de prendre la parole et d’être entendus par les nombreux auditeurs d’une radio française populaire. Dans le même temps, l’objectif de l’émission est d’apporter une parole qui se veut la plus directe possible (“une émission sans concession”, décrit la page web de la radio). L’émission mise sur un discours à chaud des intervenants, qui ne sont pas des experts des problématiques abordées mais qui vont ainsi apporter un regard nouveau sur ces dernières.
La création de “Pascal Praud et vous” s’inscrit dans un contexte de changement de logique marketing chez Europe 1. La radio, appartenant au groupe Lagardère, est en cours de rachat par Vivendi (détenu par Vincent Bolloré), d’où le transfert de Pascal Praud, figure de proue de CNEWS, chez Europe 1. L’émission représente bien la volonté de changement apportée à Europe 1, qui ne souhaite plus être une chaîne généraliste : “Vivendi doit proposer un projet global, et changer la logique marketing en inventant un format unique qu’on n’écoute pas ailleurs” selon un expert de la radio, anonyme, dans un article du Point[2]. En effet, il semblerait que le groupe appartenant à V. Bolloré souhaiterait faire prendre à Europe 1 le même chemin que celui de sa chaîne d’information en continu, en en faisant un média d’opinion tranchée. Cette stratégie nouvelle s’explique par la perte d’audiences d’Europe 1 au bénéfice des stations concurrentes (France Inter, RTL), ainsi que par le bond, à l’inverse, des audiences de la chaîne CNEWS qui a réalisé son record en septembre 2023[3]. A travers ce choix d’un traitement de l’information polémique et spontané, c’est tout naturellement que le sujet récurrent du moment, le conflit israélo-palestinien, domine les débats de l’émission. Il est en effet omniprésent : 11 émissions sur 32 à ce propos entre le 16 et le 26 octobre 2023.
Au jour de la diffusion de l’émission du 19 octobre 2023, cela fait 12 jours que l’attaque du Hamas contre l’Etat d’Israël a été perpétrée. Le débat public est alors focalisé sur le positionnement des personnalités publiques à propos du conflit, et questionné dans les médias et sur les réseaux sociaux. En effet, beaucoup de ces dernières se sont exprimées sur leurs réseaux avec des messages de soutien aux victimes civiles israéliennes et palestiniennes.
Un débat difficile et houleux…
Pour aborder le sujet de la polémique liée aux propos du Ministre de l’Intérieur, Pascal Praud accueille deux intervenants : Salem dans un premier temps, puis Sabine. La première moitié du débat s’effectue entre le journaliste et le premier intervenant, avant que Sabine n’exprime son point de vue. Salem s’insurge des accusations portées par Gérald Darmanin, à qui il reproche à travers ses propos de déchoir Benzema de sa nationalité et de son attachement à la France, alors que ce dernier est “né à Bron, c’est un vrai lyonnais pure souche.” (2:37). Pascal Praud ne rebondit pas sur les mots de Darmanin en eux-mêmes, mais plutôt sur l’attitude du footballeur et sa prise de position qu’il trouve sélective. Il sous-entend un “deux poids, deux mesures” de la part de Benzema, qui a exprimé sa compassion envers les victimes des bombardements israéliens, mais pas envers celles des attaques portées par le Hamas. Salem reproche aux médias et à une partie de l’opinion publique de toujours essayer de créer la polémique autour du footballeur, et est intimement persuadé que Benzema ressent une profonde compassion envers les victimes israéliennes.
Le débat accueille ensuite Sabine. Celle-ci est choquée que Salem ait fait référence au second prénom de Darmanin – Moussa – qui sous-entend selon elle une accusation de trahison faite à une communauté à laquelle il appartiendrait de par ses origines (“je comprends très bien que vous reprochez à Darmanin, à notre ministre de l’intérieur, de s’appeler Oussama et d’avoir la réaction qu’il a donc déjà ça me choque”, 8:57). De plus, elle reconnaît bien le droit à Benzema de pratiquer sa religion librement (“Il a le droit de faire un islam très rigoriste” 10:00) et de dire ce qu’il souhaite mais lui reproche une compassion sélective (“d’autre part je suis désolée mais Karim Benzema il a tweeté bien après les actes terroristes du Hamas sur des Juifs”, 9:16), ainsi qu’une impression renvoyée de mépris de la France, à qui il doit, selon elle, une grande partie de la réussite de sa carrière. Salem exprime son profond désaccord face à ces propos. D’après lui, sous-entendre que Benzema devrait quelque chose à la France serait une manière de le considérer, non pas comme un Français comme les autres, mais comme “un Algérien à qui l’on aurait donné des papiers”. Praud le coupe en indiquant qu’il trouve ce raisonnement teinté de naïveté (“là-dessus, il y a une part de naïveté”, 12:30). Le débat entre les deux hommes dérive ensuite plus globalement sur le sujet des prises de paroles des personnalités publiques. Salem juge que la polémique Benzema est le symbole du fait que ces personnalités n’osent plus rien dire car on leur reproche leurs prises de positions en permanence. Pascal Praud considère de son côté qu’aujourd’hui on a l’impression que chacun prend la parole uniquement lorsqu’il s’agit de défendre sa communauté. Il y voit le symbole d’un changement de modèle où l’on passerait d’un modèle historique d’assimilation à un modèle anglo-saxon de communautés (“nous avons des communautés qui pensent parfois différemment”, 13:50 et “Nous ne sommes pas l’Angleterre” 14:00). Le débat se termine par un échange musclé entre Salem et Pascal Praud, Salem appuyant l’idée que cette polémique traduisait une non-reconnaissance de la nationalité française aux personnes faisant partie de la communauté maghrébine, et exprimant un ras-le-bol face à ces polémiques incessantes. Le journaliste montre son désaccord, mais termine le débat en reconnaissant une responsabilité française quant à certaines tensions latentes, en faisant référence notamment à la Guerre d’Algérie (“La France, notamment en Algérie, n’est pas exempte de tout reproche” 19:00).
…qui interroge sur la perspective d’espace public qu’il propose
Ainsi, tout le long du débat, de nombreuses opinions différentes ont pu être librement exprimées, et portées sur l’espace public, à l’instar de la vision arendtienne de cet espace. La philosophe allemande considérait ce dernier comme un lieu d’action[4] où les citoyens se rencontraient en tant qu’acteurs politiques égaux pour discuter et ainsi donner de la visibilité à leurs opinions. Malgré les désaccords et l’animation parfois difficile du débat, on trouve dans cette émission une forme de reconnaissance de la diversité et de la singularité de chaque opinion. Des opinions contradictoires ont ainsi pu être exprimées et le sujet débattu. Il existe une forme de “table commune” à travers cette émission de radio.
Néanmoins, si l’on s’inscrit dans la perspective plus large d’espace public apportée par Nancy Fraser[5] qui reconnaît également l’importance de l’espace public pour la démocratie, mais souligne que l’accès égal à ce dernier est un prérequis pour une démocratie véritablement égalitaire, notre vision de fond de cette émission peut changer. Tout d’abord, il convient de reconnaître que les échanges entre les deux intervenants, Salem et Sabine, sont courtois et respectueux malgré les désaccords, et sont bien encadrés par le journaliste. Il tente de donner la parole équitablement et met un point d’honneur à ce que chaque intervention ne soit pas interrompue. Il laisse également un mot de la fin aux deux individus. Ici, le débat est donc inclusif dans le sens où il a bien permis à des intervenants venant d’endroits différents, de milieux différents et d’origines différentes de confronter leurs points de vue. On suppose ainsi une égalité d’accès à cet espace public. Cependant l’égalité de traitement peut être questionnée et l’impartialité de l’animateur remise en question. En tant que personnalité médiatique influente, Pascal Praud est connu dernièrement pour ses prises de position politiques et ses participations à des débats houleux (son intervention sur CNews au sujet des punaises de lit avait déclenché une polémique). Beaucoup lui reprochent de nuire à l’intégrité du journalisme à cause de son manque de déontologie. Le journaliste ne se contente pas de poser des questions, de donner et de répartir la parole entre les intervenants mais prend part à la discussion en exprimant ses opinions. Il fait sentir son agacement face aux propos de Salem, et contredit ce dernier. On constate même une certaine condescendance à l’égard des intervenants (par exemple avec cette déclaration à la 19ème minute de l’émission : “Salem il commence sa phrase à la tour Eiffel et il la termine au péage de Dourdan”, ou encore par sa tendance à juger l’opinion du même intervenant de “naïve”.). De plus, Pascal Praud n’hésite pas à brutalement couper l’argumentaire de Salem (par la publicité tout d’abord, ce qui peut se concevoir, mais de façon plus contestable par la suite, lorsqu’il lui reproche de se répéter dans ses paroles “ça fait dix minutes que vous dites la même chose”, 12min 25s). On remarque qu’il n’adopte pas le même comportement et la même manière de répondre lorsque Sabine intervient, permettant ainsi à l’auditeur de déduire qu’il est, du moins partiellement, en accord avec les propos de l’intervenante. Cette attitude ne se limite pas à la parole, mais également à tout ce qui relève du langage non-verbal. L’émission étant ensuite publiée par Europe 1 sur Youtube, on peut observer plusieurs gestes trahissant l’agacement du journaliste (haussements de sourcil ou regards dubitatifs en régies par exemple). Le désaccord entre Salem et Pascal Praud semble donc avoir empêché ce dernier de traiter le débat de manière impartiale, notamment en termes d’accès à la parole.
En définitive, nous sommes ici face à un débat très intéressant, en ce qu’il laisse s’exprimer plusieurs opinions divergentes au sein de l’espace public, à l’image de l’idéal de “table commune” souhaité par Arendt. Néanmoins, sa direction souvent houleuse, ainsi que les multiples ingérences de P. Praud qui ont mis à mal l’intégrité des échanges, et donc mis en doute un égal traitement des opinions. Si l’on se fonde sur la vision de l’espace public de N. Fraser, nous ne serions donc pas ici face à un débat démocratique véritablement égalitaire.
[1]Émission : Pascal Praud et vous par Pascal Praud – replay | page 7. (s. d.). Europe 1. https://www.europe1.fr/emissions/pascal-praud-et-vous/7
[2]Ubertalli, O. (2023, 20 avril). Audiences radio : France Inter en tête, RTL recule, Europe 1 stoppe l’hémorragie. Le Point. https://www.lepoint.fr/economie/audiences-radio-france-inter-en-tete-rtl-recule-europe-1-stoppe-l-hemorragie-20-04-2023-2517100_28.php
[3] Imbert, E. (2023, 3 octobre). RECORD | la rentrée réussie de CNews, qui enregistre son meilleur score d&rsquo ; audience. Forbes France. https://www.forbes.fr/business/record-la-rentree-reussie-de-cnews-qui-enregistre-son-meilleur-score-daudience/
[4]ARENDT Hannah, Condition de l’homme moderne, Paris, 1è éd.1958, Calmann-Lévy Pocket, 1983. (chapitre 2 : Le domaine public et le domaine privé, extraits)
[5]FRASER Nancy , « Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement » Hermès 21, 2001 p.125-154.
Quel bel article fort bien construit et d’une admirable clarté ! Vous nous offrez une description du débat précise, et extrêmement compréhensible – offrant une vision poussée des enjeux mis en avant durant les échanges. Votre remise en contexte de l’émission est, par ailleurs, très appréciable puisqu’elle permet une meilleure appréhension du cadre tout en nous permettant, à nous lecteurs, d’identifier les rouages qui mettent en place ce débat houleux. De plus, votre analyse au-delà des mots, de ce langage non verbal, est tout à fait essentielle et bienvenue.
Toutefois, certains points de votre analyse nous semblent incomplets, voire peu convaincants. Nous souhaiterions donc vous les exposer.
Il nous paraît tout d’abord important de discuter des intervenants. En effet, vous écrivez que Salem et Sabine proviennent « d’endroits différents, de milieux différents et d’origines différentes ». Pourtant, nous ne savons que peu de choses sur eux, ce qui empêche d’établir leur profil sociologique, en particulier concernant leur milieu / niveau de vie. Il est ainsi difficile d’affirmer que le débat est « inclusif ». De plus, il serait intéressant de savoir comment les intervenants sont choisis par l’émission, car ce choix pose question. Pour défendre Karim Benzema, l’émission a donné la parole à un homme musulman, d’origine maghrébine, venant de la même région que le sportif, et qui semble être un fan de celui-ci puisqu’il le qualifie d’ « icône ». Ainsi, le point de vue de Salem, bien qu’intéressant, peut sembler biaisé, ce qui le rend facilement attaquable. Pascal Praud étant, comme vous l’avez expliqué, manifestement opposé au discours de Salem, une question peut être posée: ne pensez-vous pas que le choix de cet intervenant, qui s’identifie beaucoup au sportif, aurait pu être délibéré ? Si c’était le cas, cela remettrait beaucoup en question l’idée d’un accès égal au débat.
Comme vous l’avez dit, l’égalité du débat est très questionnable. Néanmoins, ce point méritait selon nous d’être étudié de manière plus approfondie. Vous expliquez que le chroniqueur « tente de donner la parole équitablement et met un point d’honneur à ce que chaque intervention ne soit pas interrompue ». Pourtant, les temps de parole sont vraisemblablement inégaux puisque Salem a parlé pendant environ 4 minutes 20, et Sabine pendant 2 minutes 30. Peut-être auriez-vous également pu insister davantage sur l’attitude de Pascal Praud qui n’hésite pas à interrompre les intervenants, et à monopoliser la parole. Le chroniqueur parle en effet pendant environ six minutes et trente secondes (sans compter l’introduction de l’émission et les présentations des intervenants), ce qui correspond au temps de parole accordé aux deux intervenants réunis.
De plus, il ne cesse d’interrompre ces derniers, comme vous l’avez dit de façon très juste. Vous affirmez néanmoins que Sabine n’a pas subi le même traitement que Salem. Pourtant, elle a été coupée une première fois par la publicité, puis une deuxième fois par Pascal Praud lui-même.
Les interventions de Pascal Praud sont d’autant plus dérangeantes qu’elles s’attaquent aux propos des intervenants, et qu’il prend position au sein du débat de manière évidente.
Finalement, le débat ne semble pas être celui de Salem et Sabine mais plutôt celui de Salem et du chroniqueur, qui adopte à différentes reprises un ton autoritaire voire paternaliste avec l’intervenant (« la pub va arriver, ça vous apprendra »). Le débat est alors loin d’être égalitaire, puisqu’il est largement dominé par Pascal Praud qui fait parler et taire les intervenants tel qu’il le souhaite. L’équité que vous semblez relever semble d’autant plus absente, que le volume du micro de Pascal Praud est bien plus élevé que celui des intervenants, ce qui rend inaudibles leurs propos lorsque le chroniqueur parle en même temps qu’eux.
Ainsi, contrairement à ce que vous avancez, l’idéal d’Arendt ne semble pas être respecté. La théoricienne politique prônait en effet un lieu de discussion et de persuasion, et non pas un lieu d’obéissance ou de censure. De plus, comme vous l’avez souligné, l’espace public tel que décrit par Arendt suppose des individus se considérant eux-même comme étant égaux, ce qui n’est ici pas le cas puisque Pascal Praud se présente comme supérieur hiérarchiquement aux intervenants. Votre utilisation de la théorie de N. Fraser est toutefois très intéressante.
Enfin, en dépit des nombreuses critiques possibles à l’égard de Pascal Praud, votre analyse semble omettre de nombreux points. Comme dit auparavant, il nous aurait semblé pertinent de critiquer plus abondamment les écarts que celui-ci se permet alors que, par sa position, il est censé coordonner le débat et doit permettre l’égalité dans la prise de parole des différents intervenants.
Par ailleurs, votre article, bien qu’il nous donne un bref aperçu du contexte dans lequel prend part cette émission, ne prend pas le temps d’analyser les sous-entendus de Pascal Praud. En effet, vous nous dîtes que ce dernier “montre son désaccord” sans pour autant creuser cette prise de position. Le chroniqueur s’indigne brusquement contre Salem et se défend de n’être point raciste, alors que l’intervenant n’a pas utilisé ce mot : il dit “J’ai 59 ans, il n’y a pas une personne qui a porté un jour une plainte contre moi pour des propos racistes”. Cette remarque ne tombe pas de nulle part et peut largement être mise en parallèle avec le scandale survenu deux semaines plus tôt sur ses propos vis-à-vis des punaises de lit. D’autant plus que ces fameux propos lui ont valu un dépôt de plainte à l’Arcom par le député LFI Aurélien Saintoul : plainte qui contredit ce qu’avance Pascal Praud sur Europe 1. Ainsi, très clairement, Pascal Praud profite, en tant que chroniqueur, de cette tribune afin de se défendre – sans que cela n’ait aucun lien avec le débat. Il aurait été intéressant de pousser l’analyse sur ce point puisque cela remet en question l’intégrité des propos tenus par Pascal Praud.
Malgré tout, votre article est clair et bien construit. Nous vous remercions encore pour le traitement minutieux et précis que vous avez accordé à ce sujet des plus intéressants.
Eva, Lorella et Toméo,
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire notre article et de nous laisser un commentaire aussi bien argumenté. Merci également d’y avoir exprimé vos opinions de manière franche et sans langue de bois. Nous allons vous répondre point par point.
Quant au sujet de l’inclusivité du débat, il est vrai qu’hormis le prénom et l’origine géographique des intervenants (Sabine vient de Paris et Salem de la région lyonnaise), nous ne savons pas grand-chose de plus sur eux. Néanmoins, il paraît difficile de questionner l’inclusivité factuelle du débat, étant donné que nous sommes ici face à deux personnes de genres différents, ne venant pas des mêmes régions et surtout n’ayant pas la même opinion sur le sujet. On peut donc, de prime abord, supposer que le choix effectué pour sélectionner les invités s’est voulu inclusif, aussi bien en termes d’identité qu’en termes d’avis exprimé. Cependant, votre réflexion qui suit et qui questionne comment les individus sont choisis pour l’émission est très pertinente. Vous avez tout à fait raison de souligner que le choix de Salem a pu être effectué avec l’idée sous-jacente de choisir une personne à laquelle P. Praud pourrait s’attaquer et opposer son argumentaire (peut-être avec l’objectif d’avoir un débat tendu et donc de générer de l’audience par la suite, servant ainsi de tribune idéale au journaliste ?). Si l’on se place de ce point de vue là, il est alors possible que l’inclusivité de ce débat soit douteuse. En effet, l’émission a pu chercher à tout prix un invité ayant le profil de Salem, dans le but d’offrir une position attaquable à Pascal Praud, faisant peut-être barrage à d’autres profils d’individus et d’opinions jugés moins intéressant pour cette tribune du présentateur.
Nous voyons justement que nous nous rejoignons quant à la question du comportement plus que discutable de ce dernier. Tout d’abord, vous avez raison pour ce qui est de son attitude vis-à-vis de Sabine ; celle-ci est autant coupée que Salem. Nous mettions juste en lumière l’idée que le présentateur semblait plus agressif à l’encontre des propos tenus par ce dernier, mais il est vrai que Sabine peine également à développer son argumentaire, à cause des multiples interruptions. Il est aussi pertinent de remarquer que celle-ci n’a que très peu de temps de parole comparé à Salem, ce qui va d’ailleurs dans le sens de l’idée de l’exclusivité du débat (les arguments de Sabine étant certainement jugés moins “intéressants”, de par leur convergence avec ceux de P. Praud). Vous remettez en question ensuite plus globalement notre analyse du débat, notamment quant à la référence à la “table commune” de l’idéal arendtien. Tout d’abord, il est difficile de nous reprocher de ne pas avoir assez mis en lumière le comportement problématique du présentateur, nous l’avons fait durant une grande partie de notre article (d’où l’utilisation de N. Fraser que vous avez peu relevé), allant même jusqu’à interpréter son langage non-verbal ! Nous concluons même sur l’idée que ce débat n’est pas égalitaire. Certes, nous n’avons pas analysé dans le détails tous les sous-entendus du journaliste, et vous avez raison de l’avoir fait, car ceux-ci trahissent bien une attitude problématique de sa part. Il est vrai que ce dernier, à travers sa référence à la question du racisme, semble utiliser le débat comme une tribune pour se défendre contre les accusations d’extrémisme dont il fait l’objet, alors que ceci n’a pas lieu d’être en l’occurrence.
Pour ce qui est de la question de l’application du concept arendtien, il est vrai que cet idéal ne semble pas totalement présent ici. Nous sommes tout à fait d’accord pour dire que P. Praud adopte une attitude méprisante et irrespectueuse envers les invités, et que ce comportement nuit grandement au débat et remet en cause son caractère sain ; et nous avons longuement exprimé ceci. Néanmoins, il serait également faux de dire que des points de vue différents n’ont pas pu être exprimés, notamment ceux de Salem. Bien que maintes fois interrompu, ce dernier dispose d’un important temps de parole et coupe également les autres, notamment Sabine à un moment. Il semble, certes, censuré par P. Praud, mais ne se laisse pas faire et n’est certainement pas en position “d’obéissance”. C’est pour cela que nous avions jugé pertinent d’évoquer les théories d’H. Arendt, mais que nous avons également souhaité y intégrer celles de Fraser, car ces dernières permettent bien d’affirmer l’idée, et nous sommes parfaitement d’accord avec vous pour le dire, que ce débat n’est pas organisé dans de bonnes conditions et que le présentateur adopte une posture éminemment critiquable, qui se doit d’être questionnée.