“Quelle époque !” est une émission diffusée sur France 2 depuis octobre 2022 présentée par Léa Salamé accompagnée par Christophe Dechavanne et Philippe Caverivière notamment pour des chroniques. Cette émission est diffusée tous les samedis soirs à partir de 23h30. “Quelle époque !” est un talk show comportant notamment au cœur de son émission un débat politique. Ce soir-là, Gabriel Attal était l’invité politique du soir dans le cadre d’un débat. Après son entretien, suivi un débat sur le planning familial avec comme invité Dora Moutot, blogueuse et militante féministe et Marie Cau, première Maire transgenre dans le nord de la France. Durant cette émission, nous avons pu assister à des échanges violents entre les différents intervenants, sans pour autant avoir l’impression d’assister à un débat. Cette impression s’est également fait ressentir dans les réactions qu’a pu procurer cette émission, notamment chez les usagers de Twitter.
Dora Moutot vs. Marie Cau : Une victime et des bourreaux ?
Ce débat s’articule autour d’une série de questions réelles concernant le transgendérisme.
Sur Twitter, la plupart des gens ont reconnu la valeur du débat, exprimant leur soutien et leur appréciation pour Marie Cau en particulier.
Du côté de la Twittosphère, les commentaires ont été largement en faveur de Marie Cau. Son “courage” a été souligné. Du côté de Dora Moutot, les critiques furent beaucoup plus acerbes. Son “agressivité” a été soulignée par la plupart des internautes. Mais la militante féministe ne fût pas la seule protagoniste vivement critiquée durant la séquence. Le ministre du parti “Renaissance” a été aussi conspué par la twittosphère notamment sur sa non implication au débat. En effet, une internaute rappela que le ministre des actions et des comptes publics était homosexuel et que le combat LGBT le concernait directement. Sa non participation au débat a été fortement vilipendée. A contrario, l’intervention de l’humoriste Jérémy Ferrari fût massivement saluée. L’humoriste a notamment souligné l’ “agressivité” et l’ “excitation” de la militante féministe. Globalement, la teneur du débat a été jugée insuffisante pour la plupart des internautes, que ce soit chez Dora Moutot ou Marie Cau. La twittosphère a notamment rapporté des “invectives” ne faisant pas avancer le débat notamment par rapport la “misogynie” du côté de chez Dora Moutot et à la “transphobie” et les référencements à la “fachosphère” chez Marie Cau, ce qui s’approche du point Godwin¹ étant une manière de clore le débat en disqualifiant l’adversaire avec des références au nazisme.
Dora Moutot vs. Marie Cau : Une psychologisation du débat ?
Les propos de Dora Moutot ont suscité le courroux des internautes. Elle aurait mélangé des questions individuelles comme par exemple la criminalité ou encore le viol avec la question du changement de sexe et a tenté d’attiser une guerre des sexes et la haine des personnes transgenres. Son attitude ainsi que son discours auraient choqué voire “offensé” les internautes ainsi que des individus sur le plateau de “Quelle Époque !” notamment son opposante Marie Cau. D’ailleurs, dans un article de Laurence Kaufmann s’intitulant Sur The fall of the public (Les tyrannies de l’intimité) de Richard Sennett, l’autrice nous explique que les médias ont renforcé la psychologisation de phénomènes sociaux. L’exemple de Marie Cau est marquant puisqu’avant le débat la maire promouvait son ouvrage s’intitulant Madame Le Maire : Liberté, Egalité, Transidentité sur son expérience personnelle à Roubaix. Elle base son expérience individuelle dans le cadre d’un débat portant sur un sujet de société étant la transidentité.
L’attitude des gens serait plus conciliante à l’égard de Marie Cau “lorsqu’un homme effetue une opération de transition, il est une femme,” et les préoccupations de Dora Moutot à l’égard des transgenres sont clairement ancrées dans des émotions subjectives plutôt que dans des faits objectifs : elle qualifie son opinion de “personnel” et ne présente pas suffisamment de données factuelles pour étayer son discours, de sorte que la plupart des gens sont outrés par les propos de la blogeuse : lorsque le débat se transforme en élucubrations.
D’autres commentaires ont critiqués l’attitude désobligeante de Dora Moutot et ont soulevé des spéculations : s’agissait-il d’un “pseudo-débat” pour provoquer l’opinion publique, car l’intention du changement conceptuel était assez évidente : ce qui avait commencé comme une discussion sur le papier a fini par un débat binaire : “pour ou contre les trans ?”. Il était clair que Dora Moutot est une opposante conservatrice, et la probabilité que les responsables de l’émission l’aient ignorée reste mince, mais l’émission a quand même invité l’intervenante pour débattre face à Marie Cau, et ce de manière violente et grossière. Cependant, lors de l’émission de la semaine suivante² avec comme invitée Caroline Fourest journaliste, essayiste militant pour le féminisme et le droit des homosexuels notamment, Léa Salamé est revenue sur le débat en stipulant que le “montage du débat” s’est effectuée de manière fluide et que les deux intervenantes ont accepté facilement l’invitation.
Par ailleurs, la plupart des commentaires restent mesurés et bien qu’irrités par les arguments de Dora Moutot, ils ne visent que la réalité de son approche de la question et ne portent pas sur Dora Moutot à titre individuel (goûts, émotions, religion, intérêts).
² https://www.france.tv/france-2/quelle-epoque/4207834-emission-du-samedi-22-octobre-2022.html (Extrait entre 39:23 à 51:10)
Dora Moutot vs. Marie Cau : Débat public ou communautaire ?
Néanmoins, cette attitude plutôt mesurée n’enlève rien à la fragmentation de l’espace public et à la polarisation constante de la société. On est dans une balkanisation du débat public. Si les médias (l’émission Quelle Époque !) sont eux-mêmes un gardien (notion “gate keeper” by Kurt Lewin), lorsqu’ils passent au crible des informations filtrées, ils passent en fait au crible les personnes suivant ces informations : qui suit la discussion sur les transgenres et tweete ses propres commentaires ? La communauté LGBT et les groupes d’intérêts connexes, sont les plus concernés et les plus actifs dans ces discussions.
Nous avons recensé 15 comptes Twitter actifs et il est intéressant de noter que leurs tweets quotidiens et la présentation d’eux-mêmes sur leur page d’accueil témoignent principalement de leur intérêt pour les questions LGBT, en particulier la publication et le retweet fréquents de messages sur la défense des LGBT.
Les commentaires Twitters, une extension du débat ?
En plus de s’intéresser aux tweets comportant le #QuelleEpoque, nous nous sommes également penchés sur les tweets en réaction directe avec les tweets postés par la production de l’émission sur le compte officiel @QuellEpoqueOff. Il s’agit de 4 tweets publiés le 16 octobre dans la nuit vers 1 heure du matin. Chacun des tweets étaient enrichis d’un extrait du débat, avec une citation provenant directement des propos tenus par les invités, résumant ainsi l’idée principale évoquée dans chaque extrait.
Les 4 tweets comptabilisent 11 988 likes, 1843 commentaires et 3 518 ReTweets. Étonnamment, le tweet ayant obtenu le plus de réactions est le dernier tweet publié durant l’émission. Il s’agit d’un extrait de l’émission où Jeremy Ferrari s’exprime, s’adressant à Dora Moutot, lui reprochant de “ne pas avoir d’argument”, et qu’il n’y avait “que de la haine et de l’agressivité” dans les propos de Dora Moutot. Ce tweet a obtenu 596 commentaires, 2 067 Retweets et 9 200 likes.
Parmi les 1843 commentaires, nous remarquons que les avis sont tranchés, d’un côté ceux qui soutiennent Marie Cau et de l’autre ceux qui soutiennent Dora Moutot. Beaucoup se reposent sur la biologie et l’anatomie pour justifier les propos de Dora Moutot, Ceux qui soutiennent Marie Cau dénoncent la violence des propos énoncés par Dora Moutot qu’ils considèrent transphobes.
Parmi les 596 commentaires concernant l’extrait pendant lequel Jeremy Ferrari s’exprime, les commentaires se tournent davantage vers l’humoriste en le félicitant et le remerciant, avec l’utilisation d’émoticonnes applaudissant, mais nous trouvons également beaucoup de commentaires en désaccord avec ses propos, délégitimant les propos de Jeremy Ferrari, en disant que ce n’est pas son combat, ou encore qu’il accuse Dora Moutot d’être violent et haineuse tout en l’étant lui même à son encontre etc.
Lorsque nous nous attardons sur les différents profils présents dans les commentaires, nous nous rendons compte que des profils se dessinent. Du côté des utilisateurs qui sont en accord avec Dora Moutot, on retrouve le plus souvent des hommes (en tout cas, c’est ce que nous supposons, en nous appuyant sur les photos de profils et les pseudonymes) et nous pouvons voir sur plusieurs de ces profils qu’ils affichent un drapeau français, indiquant une position droitière et revendiquant un nationalisme affirmé.
Pour ce qui est des utilisateurs en accord avec Marie Cau, on retrouve principalement des drapeaux LGBTQI+ et des drapeaux représentant la communauté transgenre dans les pseudonymes des utilisateurs.
Donc, nous remarquons avec les exemples des défenseurs que ce soit Dora Moutot ou encore Marie Cau que Twitter constitue un instrument d’ « affirmation de soi » comme l’écrit Arnaud Mercier.
Si les tweets officiels produisent des réactions venant de la part des utilisateurs Twitter, cela n’entraîne pas pour autant une continuité du débat dans les commentaires comme nous pourrions l’imaginer. En effet, parmi les 1843 commentaires parcourus, il est très rare de voir un tweet obtenir une réponse d’un autre utilisateur. Chacun propose une réaction à chaud concernant l’extrait visionné, mais les utilisateurs ne semblent pas forcément s’intéresser aux autres commentaires. Cela ressemble plus à une simple expression d’un avis personnel et subjectif. Excepté pour le tweet de quelle époque concernant l’extrait de l’échange entre Jérémy Ferrari et Dora Moutot où il semble y avoir un peu plus de réactions. En revanche nous ne pouvons parler d’échange car ces réactions ne sont pas suivies d’une réponse venant du commentaire original.
Conclusion
L’analyse ci-dessus nous permet de conclure que les médias, détenant le plus de pouvoir dans l’espace public, filtrent les informations ainsi que les personnes qui les suivent. L’utilisation de “filtrer” ici dérive de la notion de “bulle de filtre”. Selon Pariser, la bulle de filtres désigne à la fois le filtrage de l’information qui parvient à l’internaute par différents filtres ; et l’état d’« isolement intellectuel » et culturel dans lequel il se retrouve quand les informations qu’il recherche sur Internet résultent d’une personnalisation mise en place à son insu. Selon cette théorie,des algorithmes sélectionnent « discrètement » les contenus visibles par chaque internaute, en s’appuyant sur différentes données collectées sur lui. Ainsi, lorsque nous constatons que les commentaires sur Twitter sont tous en faveur de Marie Cau et hostile à Dora Moutot, il est légitime de soupçonner une non représentation de ce que le public pense réellement dans son ensemble : en fait, les conservateurs partageant le point de vue de Dora Moutot ne s’intéressent pas forcément à la question et ne partageront pas leurs opinions, cela signifie que l’espace public n’est pas aussi objectif que nous le pensons. Ce débat sur le transgendérisme est suffisamment spécifique pour que le débat attire réellement les parties prenantes et que la discussion sur Twitter à propos du débat ne puisse pas couvrir entièrement ce que le public pense réellement (parce que l’algorithme n’est pas aléatoire, mais délibéré).
L’espace public n’est donc pas aussi objectif et représentatif de la réalité que nous le pensons, même si tous les commentaires semblent parfaitement rationnels. Au lieu d’accroître la communication et l’interaction entre des personnes ayant des points de vue contradictoires, des cultures et milieux sociaux différents comme prévu, les réseaux sociaux en tant qu’espace public ont en fait créé un « espace public » parallèle où chacun ne cesse de légitimer son propre point de vue (Julia Christ). Néanmoins, nous ne pouvons pas sous-estimer la valeur de l’utilisation de l’espace public sur Twitter pour élargir l’espace public audiovisuel, car l’impact du débat peut attirer l’attention d’un public plus large sur la question et donner un sens au débat. Si lorsque nous regardons les tweets à la une via le tweet deck mis en place, les tweets en faveur de Marie Cau semblent être le plus mis en avant, il ne faut tout de même pas penser qu’il n’existe pas une polarisation du public sur Twitter. Cette polarisation semble se manifester le plus directement sous les tweets officiels postés par le compte twitter de l’émission. C’est là que nous pouvons voir une volonté venant de l’émission de polariser le public, notamment grâce aux extraits de l’émission qu’ils choisissent de publier sur Twitter. C’est ici que nous pouvons y voir les internautes se positionner en faveur de Marie Cau ou de Dora Moutot. En revanche, ce n’est pas parce qu’il y a des prises de position que nous pouvons y trouver des échanges entre les différentes opinions et la présence d’un vrai débat.
Djibril Hellou, Marie Pichonnier–Martin, Yuan Zhou
Bibliographie
CHRIST, Julia. De l’intime au public : Habermas à l’épreuve des réseaux sociaux
KAUFMANN, Laurence. « Sur Les tyrannies de l’intimité : The Fall of the Public Man de Richard Sennett », Questions de communication, vol. 36, no. 2, 2019, pp. 281-308.
MERCIER, Arnaud. « Twitter, espace politique, espace polémique. L’exemple des tweet-campagnes municipales en France (janvier-mars 2014) », Les Cahiers du numérique, vol. 11, no. 4, 2015, pp. 145-168.
Méthodologie
Pour rédiger notre article, nous nous sommes concentrés sur l’analyse des tweets traitant de l’émission du 15 octobre qui s’est finie dans la nuit du 16 octobre 2022. Pour cela nous avons utilisé l’outil de veille TweetDeck pour créer une recherche ciblée : “(#QuelleEpoque) lang:fr until:2022-10-17 since:2022-10-15” en regardant les tweets à la une, qui semblent les plus intéressants car ayant le plus souvent le plus de réactions. Nous nous sommes également intéressés aux commentaires trouvés sous les tweets officiels postés par le compte de l’émission Quelle époque! (@QuelleEpoqueOff) car les commentaires semblaient assez bien refléter les différents profils et points de vues qui se sont formés sur ce débat.
Nous avons également pris un échantillon de 15 profils, 10 trouvés sur le tweet deck mis en place et 5 trouvés sous les tweets officiels de l’émission. Cet échantillon a été créé à partir de profils sur lesquels nous sommes tombés arbitrairement, qui nous avaient interpellés et semblés intéressants.
Les profils et tweets cités dans l’article ont été anonymisé.
Nous tenons à vous remercier pour cet article bien construit, séparant de manière claire les principaux axes d’analyse autour de la prise de parole des internautes au sujet de cette émission. Les références utilisées dans votre étude sont, d’après nous, pertinentes, notamment sur les bulles de filtrage qui interfèrent dans ce type de discussion en ligne. Afin d’améliorer la compréhension du sujet pour vos futurs lecteur.rice.s, nous avons recensé quelques points qui nous paraissent importants d’ajouter sur ce faux débat autour de la transidentité que certains médias et personnes alimentent, à tort.
Tout d’abord, certains termes employés au sein de votre article ne représentent pas bien la communauté transgenre. En effet il y a quelques mots à éviter et notamment le mot transsexuel.le car cette notion n’inclue pas toutes les personnes appartenant à cette communauté et est de plus en plus bannie au sein de celle-ci. C’est notamment le cas dans la phrase suivante : “la question du changement de sexe et a tenté d’attiser une guerre des sexes et la haine des personnes transgenres”. Or, il nous parait important de souligner qu’une personne trans ne change pas obligatoirement de sexe, et cela la réduit rapidement à un aspect biologique et médical.
Par ailleurs, quand vous dressez le profil des internautes ayant critiqué l’émission, cela nous paraît être un raccourci d’une image qu’on se fait des personnes transphobes. Les comptes avec les drapeaux français sont souvent des groupes que nous ne devrions pas prendre en termes d’individualité, car ils font souvent partie de groupe de “flooder”. D’ailleurs, on remarque que beaucoup de leurs commentaires ont un but de “flood”. Le “flood” ou le “flooding” sont deux termes employés dans le langage informatisé pour définir cette action qui consiste à surcharger de messages une boîte mail, un forum, ou un profil sur un réseau social, dans un but malveillant, jusqu’à parfois rendre le compte inutilisable.
Par rapport au travail de veille, il est compliqué en effet de réussir à atteindre des tweets d’internautes “discret·es” qui peuvent être invisibilisé·es face à des profils plus actifs. D’après vos analyses, nous avons l’impression que vous vous êtes principalement intéressé·es aux tweets avec le plus d’engagement ou suscitant le plus d’interactions, ce qui fait défaut à certain·es internautes ayant des angles d’approches intéressants. Vous avez mentionné seulement Tweetdeck comme source de veille, avez-vous songé à croiser les résultats avec ceux d’une autre plateforme comme celle de l’INA pour avoir un corpus plus large ? Il nous semble que cette dernière ressource, de part son fonctionnement, donne à voir des tweets moins référencés et tout autant intéressants.
Le fait d’opposer pour cette émission deux personnes réellement en contradiction sur un sujet comme celui-ci pose question. De fait, il est compliqué de ne pas toucher à l’intégrité des premier·es concerné·es. En effet, les arguments contre la transidentité sont justifiés par des notions de biologie. C’est notamment ce que vous avez observé sur Twitter. Faire un débat dans une émission publique sur un tel sujet est problématique selon nous car il manque de considération de la construction identitaire que cela demande. Même si une tentative de débat a eu lieu dans cette émission, nous pensons qu’il aurait fallu souligner le fait que la transidentité ne doit pas en être un en tant que tel. En revanche, elle peut être un sujet de discussion afin d’apporter des éléments de compréhension pour le public et celle-ci doit être réalisée par des personnes ayant les connaissances pour en parler.
Pour autant, encore une fois, nous tenons à souligner votre démarche sur ce travail d’analyse qui n’était pas chose facile.
Louise, Lucie, Anaë
Tout d’abord nous vous remercions beaucoup pour vos commentaires réfléchis, qui nous donnent de nouvelles perspectives de réflexion.
Nous tenons en premier lieu à préciser que le terme transsexuel n’a pas été utilisé une seule fois dans notre article et que nous sommes totalement d’accord avec le fait que c’est un terme qui n’inclue pas toutes les personnes de la communauté. Ensuite, ces propos sont ceux de Dora Moutot et des personnes la soutenant, que nous avons rapporté, d’où la confusion de penser que nous affirmons qu’une personne transgenre et la question d’un changement de sexe sont intrasèquement liées. Nous reconnaissons que nous aurions dû préciser davantage cela pour éviter toute confusion. En effet, la vision de Dora Moutot sur le transgenre et sa définition est en fait très réduite, elle parle d’un aspect psychologique des personnes trangenres invalidant leur identité en affirmant que ce ne sont que des sentiments sans réelles importances. De plus, elle insiste fortement sur le côté anatomique et biologique. Ensuite les commentaires sur Twitter en faveur de Dora Moutot suggèrent que seules les personnes ayant subi une opération chirurgicale sont réellement transgenres. Le point de vue de Dora Moutot est intrinsèquement problématique en termes de définition. Nous reconnaissons que nous aurions dû mieux tourner notre phrase pour éviter cette confusion. Et nous voulons rappeler que l’orientation principale de cet article est de présenter et d’analyser les commentaires sur le débat et les opinions et attitudes des internautes, plutôt que de fournir une opinion ou une réponse à la question.
Deuxièmement, lorsque nous analysons ces commentaires, la diversité des commentateurs est en effet une question majeure. Mais il fallait également réussir à dessiner des profils parmi tous ces commentaires, ce que nous avons tenté de faire. De ce fait, lorsque nous disons que beaucoup des commentaires transphobes venaient de profils arborant des drapeaux français, c’est parce que ce sont les profils qui sont le plus revenus dans nos recherches. Cela n’enlève pas le fait qu’il y avait également des commentaires en faveur de Dora Moutot venant d’utilisateurs n’ayant pas ce type de profils. Simplement que c’est ce type de profil qui est revenu le plus dans nos recherches. Tout comme pour les tweets supportant Marie Cau: bien que dans les profils, nous trouvons une majorité de profils ouvertement LGBT arborant dans leur bio et username un drapeau LGBT, cela ne veut pas dire qu’il n’y avait que ce type de profil qui supportait Marie Cau.
En revanche, il est vrai que nous ne savions pas que des comptes avec un drapeau français pouvaient faire partie d’un groupe de flooder. Si nous nous étions mieux renseignés, nous aurions pu faire en sorte de mieux différencier les différents types de profils qui se dessinent du côté des supporters de Dora Moutot. Nous vous remercions pour cet éclaircissement. Toutefois, cela ne signifie pas que ces profils et leurs déclarations sont dénuées de sens, car l’opinion publique peut non seulement mettre en évidence le caractère inapproprié de certaines déclarations, mais aussi avoir un impact considérable en attirant l’attention d’un plus grand nombre de personnes, au départ, non informées sur la question, pouvant amener encore plus de personnes à se positionner, notamment pour la protection et la lutte en faveur des droits des personnes transgenres.
Ensuite, l’INA a fait partie de notre outil de suivi, grâce auquel nous avons recueilli des commentaires à partir d’une certaine période de temps après la publication de l’émission. En outre, le corpus est en fait très ambitieux et il est impossible de prendre en compte chaque commentaire, mais plutôt de le filtrer dans une certaine mesure. Lorsque nous procédons à la sélection, notre objectif est de présenter autant de points de vue et d’attitudes différents que possible et de les utiliser pour étayer notre analyse, de sorte que nous filtrons les commentaires en fonction de leur contenu plutôt que de la quantité d’interactions. Mais comme vous le dites, il est vrai que concernant les tweets trouvés grâce à la veille documentaire sur TweetDeck nous nous sommes principalement intéressés aux tweets ayant obtenu plus d’engagement que la plupart des tweets parce qu’ils sont plus susceptibles d’être vus et d’avoir un impact, et d’autre part, le contenu avec plus d’interactions représente les pensées de plus de personnes et est donc plus pertinent et plus précieux pour l’analyse que les autres commentaires. En revanche, lors de l’analyse des tweets postés sous les tweets officiels provenant de l’émission, il n’y avait pratiquement aucun tweet avec beaucoup d’engagement ou d’interaction. Il était rare de voir des engagements ou des intéractions avec d’autres tweets à l’inverse du TweetDeck. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés également à ces tweets là, dans le but d’avoir une opinion de tweets qui seraient passés inaperçus si nous n’avions regardé que les tweets provenant du TweetDeck.
Après, nous reconnaissons également la nécessité que ces échanges soient menés par des professionnels. Ces programmes sont en effet très influents et les professionnels sont mieux à même de populariser la bonne façon d’aborder la question auprès du public, plutôt que d’avoir deux personnes aux points de vue opposés qui se disputent pour attirer l’attention. C’est là qu’il faudrait responsabiliser l’émission qui choisit ses invités et qui cherche à polariser systématiquement les publics, notamment avec les extraits choisis publiés sur les réseaux sociaux.
Enfin, nous vous remercions à nouveau pour vos commentaires approfondis, qui nous ont permis de mieux réfléchir aux problèmes et aux lacunes de notre processus de travail et de nous apporter de nouveaux enjeux à analyser.
Yuhan, Marie