Des hauts et débats - Master Industries Culturelles - Université Paris 8

Un article écrit par Clara Leblanc, Iris Gratiet et Sarah Mubanga Beya

La question de la constitutionnalisation de l’IVG suscite des débats passionnés au sein de l’espace médiatique, notamment depuis que le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé un projet de loi constitutionnelle destinée à protéger le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le 8 mars 2023. Quelques mois avant, le 20 octobre 2022, lors d’un débat sur le programme « Bonjour chez vous » de la chaîne Public Sénat, les deux sénatrices, Mélanie Vogel, du parti EELV, et Agnès Canayer, des Républicains, débattent sur le sujet. Dans ce débat, deux visions s’opposent : d’un côté, la sénatrice Mélanie Vogel soutient la constitutionnalisation de l’IVG comme une mesure visant à garantir les droits des femmes et à assurer l’accès à des services d’avortement sûrs et légaux. De l’autre, Agnès Canayer s’oppose à cette mesure, arguant que le texte proposé a été “mal rédigé”, et en ajoutant qu’elle estime que la constitutionnalisation de l’IVG n’est pas la solution idéale pour garantir la sécurité des femmes. 

Ce débat a été publié le 20 octobre 2022, par le compte officiel de Public Sénat, dans sa totalité (19:35 minutes) sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=Cckf6nkNiWg). Dans cet article, nous analyserons les réactions des internautes/auditeurs vis à vis de la vidéo YouTube, mais aussi par rapport à deux extraits publiés par Mélanie Vogel sur ses réseaux sociaux, l’un sur X, et l’autre sur Instagram. À la différence de Agnès Canayer qui n’a pas publié d’extrait de cette vidéo sur ses réseaux sociaux personnels.
En effet nous avons remarqué que Agnès Canayer utilise ses réseaux sociaux à des fins personnels à la différence de Mélanie Vogel qui utilise ses comptes X et Instagram comme moyen d’extension de sa parole politique. De ce fait, elle n’a pas le même impact à travers ce moyen de communication, Mélanie Vogel l’utilise comme une force envers sa communauté alors que Agnès Canayer ne l’utilise pas. Nous avons récolté au total 48 commentaires, ce qui est peu mais nous supposons que la chaîne de télévision Public Sénat n’est pas aussi connue que d’autres chaînes telles que CNews, BFMTV ou encore LCI, : 18 sur YouTube, 6 sur l’extrait publié par Mélanie Vogel sur Instagram, et 25 sur l’extrait publié sur X. Notons que l’émission «Bonjour chez vous » est diffusée à 7h30 du lundi au vendredi, ce qui contribue certainement à un nombre faible de réactions des internautes. De plus, cela nous permet d’analyser plus en profondeur chaque commentaire fait sur les publications. Nous tenons par ailleurs à préciser que les internautes ont été anonymisés dans le cadre de notre étude.

Des espaces commentaires différents selon les plateformes

Sur Instagram, Mélanie Vogel a publié un extrait de ce débat accompagné de la légende suivante : « Je suis convaincue que nous arriverons à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Et 50 ans plus tard, celles et ceux qui y ont voté contre hier applaudiront tandis qu’ils seront occupés à freiner d’autres progrès ». (instagram.com/p/Cj8XlrjIrAy/)

Nous avons analysé les commentaires disponibles allant du plus récent au plus ancien. Sous le post Instagram de Mélanie Vogel, les 6 commentaires sont tous favorables et viennent soutenir la sénatrice : ils s’expriment d’ailleurs par des emojis cœurs rouges, cœurs dans les yeux, applaudissements. S’ajoute à cela un commentaire tel que “La best” suivi d’un émoji cœur violet, ou encore “courage pour l’AN” (Assemblée Nationale). Tous ces commentaires ont été publiés soit à la même date à laquelle le post a été publié, soit au cours de la semaine de cette même date. Il n’y a par ailleurs aucun échange entre les 6 utilisatrices ni aucunes interactions telles que des likes à des commentaires Les pseudonymes des 6 utilisatrices ayant commenté sont tous genrés au féminin. 

Concernant YouTube, nous avons également analysé les commentaires disponibles allant du plus récents ou plus anciens. Neuf commentaires sont initialement postés sous la vidéo YouTube, les neuf autres sont des réponses à ces derniers. 

Notre premier constat fût que la majorité des neuf commentaires initiaux sont contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG : six expriment une opinion défavorable contre quatre, exposant un avis favorable. Notre deuxième constat fût que les internautes interagissent entre eux en se répondant mutuellement à leurs commentaires initialement publiés. 

De ce fait, la personne 2 commente de façon défavorable : “Bien sûr que non, si nous voulons rester des Êtres humains et non des bêtes !” 

La personne 3 émet un avis favorable : “Évidemment qu’il le faut”, elle reçoit une réponse de la personne 2 ré-utilisant son premier argument “Bien sûr que non, si nous voulons rester des Êtres humains et non des bêtes !”.

Personne 4 : “Vieillir est un naufrage y’a trop de vieux boomer haineux en France” reçoit une réponse de personne 3 : “Ben, je ne te parle pas de l’Église Catholique qui a plus de 2000 ans et qui voue une haine irrémédiable à la nature humaine”

Personne 8 est défavorable : “Surtout pas !  L’IVG est un crime !” réponse de personne 3 “Pas du tout : c’est un progrès”

Enfin, le commentaire de la personne 5 : “Bravo au sénat d’interdire cette horreur” a suscité 5 j’aime et 6 réponses de la part des autres utilisateurs, dont une de la personne 3 ”C’est pas plus une horreur qu’écraser un cafard”, et deux de la personne 2 répondant à un autre utilisateur : “On parle de crime abjecte !” suivi de “Bien sûr que non, si nous voulons rester des Êtres humains et non des bêtes !”

Sur Twitter (https://twitter.com/Melanie_Vogel_/status/1583139677602603008), la publication de Mélanie Vogel, reprenant le même extrait vidéo de l’émission ainsi que la même légende qui ont été mis en ligne sur Instagram, comporte au total 149 mentions « j’aime », 31 retweets et 25 commentaires. Sur ces 25 commentaires nous avons remarqué qu’il n’y en a que deux qui montrent leur accord avec les propos de la sénatrice, le premier contient trois émoticônes en forme de cœur violet et le second exprime son soutien : « Vous y parviendrez car vous allez [dans] le sens de l’histoire et Simone Veil vous aurait approuvé ».

Le reste des commentaires sous ce tweet se trouvent être en désaccord avec l’idée de constitutionnaliser le droit à l’IVG, voire en désaccord complet avec le droit à l’IVG en lui-même. Certains internautes tiennent parfois même des propos choquants voire violents :

Personne A : « @PDiocesains vous pouvez envoyer un exorciste à notre pauvre Mél ? Ça semble grave, c’est frénétique »

Personne B : « C’est toi qui aurais dû être avortée »

Personne C : « Tuer des bébés dans le ventre des femmes c’est ça tes valeurs ? L’eugénisme, c’est ça ton combat ? Je suis sûre que tu n’as pas d’enfant et que tu n’en auras jamais #ProLife »

Il est également possible d’assister à un débat entre deux internautes, l’un contre le droit à l’IVG et l’autre qui est pour sous le commentaire suivant, qui a été posté par l’internautes en opposition : « Dans 50 ans l’avortement sera interdit depuis longtemps pour l’honneur de notre humanité face au cauchemar actuel de la #CultureDeMort ». Au cours de leur échange, les deux internautes échangent leurs points de vue tout en y ajoutant des images ou encore des liens hypertextes menant à des sites ou des articles à propos de l’état d’un embryon de 9 et 12 semaines.

Tous ces commentaires publiés sur X ont également été publiés soit à la même date que la publication soit au cours de la même semaine. Nous avons par ailleurs pu constater, en raison de leur photo de profil ainsi que de leur nom d’utilisateur, que les deux commentaires en accord avec la constitutionnalisation du droit à l’IVG proviennent de femmes. Les autres commentaires en opposition à cette constitutionnalisation ont majoritairement été publiés par des hommes.

Suite à l’observation et l’analyse des commentaires de ce débat publié sur les comptes de Mélanie Vogel (Instagram et X) et de Public Sénat (YouTube) sur les trois différentes plateformes numériques, nous pouvons donc constater quelques différences. 

En effet, sur Instagram les commentaires s’avèrent être tous positifs, ils montrent un accord avec l’idée d’intégrer le droit à l’IVG au sein de la Constitution et soutiennent les propos de Mélanie Vogel. Nous pouvons également supposer que cette présence de commentaires uniquement positifs est liée au fait que sur Instagram, les internautes ayant commenté la publication sont en fait abonnés au compte de Mélanie Vogel. De plus, Agnès Canayer, la sénatrice qui faisait face à Mélanie Vogel lors de ce débat, n’a pas posté le moindre contenu à propos de sa présence lors de cette émission et lorsque nous voyons son compte Instagram nous comprenons pourquoi : ce dernier a un usage purement personnel et non politique et professionnel comme sur celui de Mélanie Vogel.

Sur YouTube, la vidéo est publiée dans son entièreté sur la chaîne de Public Sénat et nous avons pu constater une que l’espace commentaires est sujet à des opinions plus divergentes mais également à des échanges plus actifs entre les internautes, même si ces derniers ne partagent pas tous les mêmes points de vue. En ce qui concerne Twitter, les commentaires s’opposant à la constitutionnalisation de l’IVG se trouvent être majoritaires et sont souvent accompagnés de mots quelque peu violents à l’encontre de la sénatrice Mélanie Vogel. Cette animosité présente est bien connue sur la plateforme et se trouve être peu régulée. En effet, si les commentaires que nous avons évoqués plus haut avaient été publiés sous la vidéo YouTube de Public Sénat ou encore sous la publication Instagram de Mélanie Vogel, il n’aurait pas été étonnant de les voir être supprimés.

Les débats en ligne : différents des débats publics

Par ailleurs, l’observation et l’analyse de ces espaces commentaires nous a amené à un autre constat étant que les débats en ligne ne ressemblent pas aux débats publics que nous voyons à la télévision. Ce point de vue, nous le partageons avec Patrice Flichy qui l’expose au sein de son article intitulé Internet et le débat démocratique. L’auteur ajoute également que bien que les interlocuteurs soient sur un pied d’égalité, leurs échanges se trouvent rarement argumentés et laissent place à plusieurs opinions rigides.  Au sein des commentaires publiés sur les différentes plateformes il est en effet possible de se rendre compte de ce manque d’arguments. Lorsque les internautes répondent à des commentaires, ces derniers ne suscitent pas, ou rarement, de réponses très construites et quand un échange s’installe, comme celui sur X cité plus haut, les opinions restent tout de même fermées et l’argumentation est absente, ce qui est contraire aux attentes d’un débat public.

BIBLIOGRAPHIE

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