La station de radio généraliste privée Sud Radio, écoutée par plus de 500 000 auditeurs, a déjà réalisé à plusieurs reprises des sujets sur la violence des jeunes. Diffusée le 25 janvier sur la chaine Youtube de la radio, l’émission les Vraies Voix aborde le lynchage de Yuriy autour du débat “Faut -il mettre fin à l’impunité des mineurs violents?”. Le 15 janvier 2021, une vidéo de surveillance circulant sur les réseaux sociaux montre le collégien Yuriy se faire agresser par une dizaine d’individus à Beaugrenelle. La piste d’un règlement de comptes entre bandes rivales est envisagée et onze personnes ont été mises en examen pour tentative d’assassinat. Présenté par Philippe Rossi, le débat dans “Les Vraies Voix” tourne autour de la violence des mineurs et la manière dont celle-ci doit être régie dans notre société, avec à l’antenne Philippe Bilger, Michel Pouzol, Caroline Pilastre et au téléphone Bruno Pomart et un auditeur.
Une expression commune dit : « Les absents ont toujours tort ». Au locuteur nous pourrions répondre « Et s’ils n’ont pas été invités ? Et d’ailleurs, qui êtes-vous pour dire ça ? ». Ce n’est plus à démontrer, pour produire une délibération fertile à la démocratie, un débat nécessite l’expression de plusieurs partis et acteurs. Nous nous demanderons si le débat de Sud Radio et ses acteurs ont une légitimité démocratique, en définissant l’idéal délibératif des Vraies Voix puis en le confrontant avec la mise en scène d’un pluralisme cadré en jeu dans celle-ci.
L’idéal délibératif du débat radiophonique des Vraies Voix
L’émission radiophonique des Vraies Voix propose un décryptage de l’actualité médiatique, ici il est question de « l’impunité des mineurs violents ». Elle est proposée par la radio nationale Sud Radio dont le positionnement éditorial est marqué par la volonté de débattre librement avec les auditeurs et de s’opposer au « politiquement correct », un positionnement en faveur de la liberté d’expression illustré par des slogans comme « Ouvrez-la! » ou « Parlons vrai ».
Cette approche éditoriale axée sur le débat public trouve ses fondements dans l’imaginaire de réappropriation sociale de la politique abordé par Pierre Rosanvallon dans son ouvrage La légitimité démocratique: impartialité, réflexivité, proximité. La vitalité démocratique citoyenne est dépendante d’expériences de participation et de délibération informelles et individualisées, auxquelles les médias participent: les Vraies Voix proposent, par le débat, une citoyenneté active et directe.
Sud Radio et le débat étudié se présentent comme accessibles et libres. L’appropriation de la politique par tous les citoyens, par « le grand public », passe par des processus d’échange d’informations et de travail de justification qui participent à ce que Pierre Rosanvallon nomme la démocratie diffuse d’interaction. Le nom même de l’émission est une déclaration de véracité qui témoignerait de sa légitimité: les voix des invités ou auditeurs sont “vraies”, l’expression directe de l’opinion publique authentique de la société. Le choix des invités illustre cette volonté d’établir des conditions de délibération démocratique participant à ce que Pierre Rosanvallon appelle le processus de « rapprochement dans la confrontation ». Dans son article « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique » Loïc Blondiaux décrit cet idéal délibératif comme la stimulation du débat démocratique par l’élargissement du spectre de la participation pour légitimer les décisions politiques. Dans le débat étudié interviennent tour à tour un ancien policier du raid engagé dans la lutte contre la délinquance, un magistrat favorable à des peines sévères, une journaliste chroniqueuse sur Sud Radio, un homme politique anciennement député socialiste, et enfin un auditeur. La représentativité et l’acceptation de la diversité des profils et arguments légitiment le débat.
Cet idéal délibératif s’exprime à travers la matérialité du dispositif: le montage avec quatre vignettes pour chaque intervenant, les uns face aux autres, témoigne de cette confrontation et d’une participation plurielle. Enfin, la question de l’accessibilité au débat est cruciale pour définir un processus démocratique: le choix de la retransmission visuelle du contenu médiatique sur Youtube permet de toucher un public différent. La plateforme vidéo, la plus visitée en France d’après Médiamétrie, permet de créer une communauté autour de la radio grâce à l’espace commentaires où les internautes continuent le débat. Dans la revue Politiques de communication, David Douyère et Pascal Ricaud décrivent Youtube comme “un espace de légitimation et de reconnaissance de pratiques et de voix, auprès de (supposés) jeunes publics, ou par de nouveaux acteurs, renouvelant les formes de communication dans l’espace public” et permet “l’expression d’idées politiques qui seraient minoritaires ou tenues à l’écart par les médias”.
La mise en scène d’un pluralisme dans un processus cadré
Selon Habermas, l’idée de sphère publique désigne le mécanisme institutionnel de rationalisation de la domination politique, rendant l’État responsable face aux citoyens. Il désigne également un idéal de discussion rationnelle ouverte à tous, dans laquelle les participants se considèrent comme pairs, sans regard sur leurs positions sociales. Malgré une approche utopique, notamment sur la question de l’accès, cette théorisation de l’espace public propice à la démocratie existe et de fait il revient aux émissions de débat de se rapprocher ou non de cet idéal. Nous aimerions ici nous pencher, à travers le prisme de cette approche, sur l’identité des six participants à ce débat, soit trois invités, un présentateur et deux intervenants, et les enjeux de ces choix de participation.
On peut d’abord remarquer qu’une faible proportion de la population est représentée dans ce débat: tous ont une catégorie socioprofessionnelle de type cadre ou cadre supérieur, excepté l’auditeur dont on ne sait rien, qu’aucune minorité n’est représentée et que l’on ne compte qu’une seule femme parmi les six participants. Sur le plan de l’accès au débat, l’émission semble donc en marge de l’idéal Habermassien. Nous pouvons par ailleurs souligner que selon Étienne Tassin le débat démocratique grec est un glissement de l’art du combat physique vers l’art du combat verbal. Aussi, l’éducation des citoyens grecs comportait des cours de rhétorique. On pourrait ainsi comprendre que la volonté de l’émission à diversifier ses intervenants n’est pas le seul facteur d’accès au débat, puisqu’il faut donc que ces intervenants soient en mesure de défendre efficacement leurs opinions. En un sens la situation semble même bloquée en faveur de classes supérieures puisque ce sont majoritairement elles qui maîtrisent cet art oratoire. D’une perspective Bourdieusienne, celui-ci est même un véritable capital culturel, héréditaire entre générations. Cela est également joignable avec l’idée de catégorisation et donc de perception qu’ont certaines classes sociales et le débat est donc dominé par une perception spécifique des classes supérieures.
Secondement ce débat ne comporte qu’une seule femme. Nancy Fraser, en s’appuyant sur des auteurs comme Joan Landes, Mary Ryan et Geoff Eley, elle fait remarquer que l’idéal Habermassien est difficilement accessible en raison de nombreuses exclusions, la principale étant celle des femmes. Pour Joan Landes l’éthos de la sphère publique républicaine s’est construit en opposition à celui de la culture de salon qui était lui, respectueux des femmes. Un discours “viril” a alors été encouragé, forgeant une construction mentale sexuée au sein de la sphère publique républicaine. Le fait est qu’au- delà de la sous-représentation des femmes dans ce débat, on peut aussi noter que le temps de parole de Caroline Pilastre est nettement inférieur à celui des intervenants hommes. Plus encore, Caroline Pilastre se fait couper la parole dès le début de son intervention.
Plutôt qu’une nouvelle voie de politisation plus démocratique, la délibération public médiatique des Vraies Voix s’apparente plus à une mise en scène qu’à un débat participatif, et s’écarte de l’idéal Habermassien. La procédure de discussion soumise à un cadrage anticipé et scénarisé se conclut sur un renforcement des points de vue de chacun: comme le décrit Loïc Blondiaux, c’est une position symbolique d’écoute plutôt qu’une participation authentique qui est inscrite dans le dispositif médiatique pré-réglé. Nous pourrions adresser au débat les arguments de l’asymétrie et de l’artificialité de Loïc Blondiaux: se font entendre des acteurs engagés, informés, d’une même tranche d’âge et catégorie sociale. Sud Radio est d’ailleurs critiquée pour ses choix d’invités et la diffusion de discours conservateurs, révélateurs d’une ligne éditoriale penchant à droite. A travers la question de l’accès à la parole publique, nous pouvons relever l’absence de ce « jeune » dont la figure est pourtant souvent citée. Les droits d’entrée dans le débat participatif restent trop forts: même si un auditeur accède à celui-ci, son intervention hors de propos et abrégée illustre bien l’exclusion dans l’espace public des groupes ne possédant par les modes de communication d’un débat médiatique.
Sud Radio se veut être une radio par et pour le “peuple” français, qui lui permette de décrypter notre société et de s’exprimer librement. Pourtant ce débat illustre la difficulté à établir un public “démocratique” dans une procédure de participation régulée par un “cadrage” avec des rôles attribués aux acteurs qui, comme le soulève Loïc Blondiaux, peuvent être eux-mêmes instrumentalisés par ces formes de démocraties et dépossédés de capacité de résistance contre le dispositif. La question posée, “Faut-il mettre fin à l’impunité des mineurs violents” en est le premier exemple: l’impunité, établie comme véritable et existante devient difficilement contestable et cette question fermée pourrait alors s’apparenter à une question rhétorique.
Pour une analyse de l’espace commentaire propre à la vidéo du débat, nous vous renvoyons a l’article réalisé par nos collègues : https://des-hauts-et-debats.fr/lespace-commentaire-youtube-table-de-discussion-ou-degradation-du-debat-public-le-cas-de-laffaire-yuriy-sur-sud-radio/
Bibliographie :
- Douyère, D. & Ricaud, P. (2019). Présentation du dossier: Youtube, un espace d’expression politique ?. Politiques de communication, 2(2), p.15-30.
- Fraser, N., & Valenta, M. (2001). Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement. Hermès, n° 31(3), p 125.
- Tassin, É. (2013). Les gloires ordinaires. Cahiers Sens public, n° 15-16(1),p 23.
- Rosanvallon, P. (2008). La Légitimité démocratique – Impartialité, réflexivité, proximité (Les Livres du nouveau monde) (French Edition) (SEUIL éd.). SEUIL.
- Blondiaux, L. (2007). La démocratie participative, sous conditions et malgré tout: Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique. Mouvements, 2(2), p.118-129.
auteur.trice.s :
Noémie Bakri – Marta Tanese – Adrien Fagot
Tout d’abord, nous tenons à vous dire que ce fut un plaisir de vous lire. Le débat que vous avez choisi d’analyser et de commenter découle d’un fait de société qui a interpellé une grande partie des français et qui a mis en lumière de nombreux enjeux. Entre consternation, horreur, récupération politique, l’affaire Yuriy a eu un grand écho dans l’espace public et l’idée d’analyser un débat qui traite de cette dernière était très pertinente. Votre analyse était particulièrement claire et la mise en relation des théories scientifiques directement avec le débat permettait une compréhension globale de la problématique, de la position mais également des limites du débat et de ses problématiques qui méritaient d’être mises en avant. De plus, l’analyse du nom de l’émission, bien que personnelle, faisait sens et donnait une indication sur la volonté supposée de la chaîne.
Cependant, nous avons quelques critiques à vous soumettre, des points que nous aimerions éclaircir avec vous ainsi que quelques interrogations.
Dans un premier temps, votre analyse audiovisuelle ne contient pas d’analyse centrée sur le champ lexical ou les mots utilisés par les différents intervenants. Pourtant de telles indications auraient permis d’appuyer votre argument sur le fait que la vision du débat était biaisée et vous auriez également pu relever que certains mots utilisés par le présentateur témoignaient déjà d’une certaine prise de position de la chaîne de radio sur ce sujet.
Puis, vous avez justement exprimé la réalité peu démocratique du débat et votre premier argument en ce sens était que les absents n’étaient pas invités ce qui remettait en cause le caractère démocratique du débat. Cependant de quel absent vouliez-vous parler ? Des mineurs violents ou d’autres intervenants qui auraient pu être invités et représenter une parole contraire à celle des intervenants présents sur le plateau. Si le mot “absent” faisait référence aux mineurs violents, leur donner la parole avant la fin de l’instruction judiciaire ne serait-il pas mal venu? Par ailleurs serait-ce pas hors de propos de parler d’impunité des mineurs violents en invitant ces mêmes personnes présumées coupables à venir débattre ? Et si les mineurs violents ne pouvaient pas être présents pour débattre, dans ce cas, quels partis et acteurs aurait-il été judicieux d’inviter pour rendre ce débat démocratique ?
De plus, selon votre article : “les “Vrais Voix proposent, par le débat, une citoyenneté active et directe”. Mais cette phrase fait-elle référence à la volonté de la chaîne ou bien à ce que le débat vous inspire après votre vision de ce dernier ? Car étant donné qu’il n’y a qu’un seul auditeur qui intervient lors de ce débat, la représentation de la citoyenneté active et directe du débat semble peu efficiente.
Concernant le nom de l’émission et votre interprétation de ce dernier “Les Vrais Voix”, pensez-vous que la radio a la prétention de penser que les opinions qu’elles défendent sont vraies ? Etant donné que le débat est censé représenter un pluralisme d’opinion cette affirmation se trouve faussée puisque autant d’opinions ne peuvent pas toutes s’avérer vraies. Ou sinon les « Vraies Voix » ne définissent pas une réelle opinion avérée mais seulement la voix du « peuple » ce qui collerait avec la ligne éditoriale que la chaîne tente de défendre bien qu’on se rende compte dans le débat que cette démocratie voulue n’est pas atteinte.
Vous avez avancé une critique selon laquelle le débat serait non-démocratique, compte tenu du fait que les intervenants appartiennent à la même catégorie socio-professionnelle. Mais alors, votre théorie concernant Youtube ne fait pas écho au fait que étant donné que les intervenants invités font partie de la même CSP, ils ont plus de chances de voir leur propre point de vue représenté dans l’espace médiatique. Ils n’incarnent donc pas ces voix minoritaires à l’écart des médias dont parlent David Douyère et Pascal Ricaud.
Quant à votre argumentation face aux facteurs d’accès au débat, elle semble assez généraliste. En effet, le passage au sujet de l’art oratoire est amené d’une manière qui pourrait porter à confusion. A sa lecture, il est possible d’interpréter que vous partez du principe que certaines catégories sociales ne maîtrisent pas forcément cet art oratoire donc cela reviendrait à justifier le manque de représentation de ces classes sociales au sein de ce débat. Or il est possible de trouver un intervenant de cette classe sociale maîtrisant cet art et pouvant intervenir, ce que Sud Radio aurait pu faire pour suivre leur ligne éditoriale et tenter un débat plus démocratique. Une autre formulation de cet argument aurait sûrement évité le contresens ou la compréhension inverse à l’idée que vous vouliez sûrement amener.
Nous avons également relevé votre analyse très intéressante du traitement de la seule femme intervenante sur le plateau de ce débat. En effet, le “maninterrupting” dont elle a été victime dès sa première intervention ne pouvait pas être mis de côté. Cette action nous pousse à mentionner la plateforme Les Expertes qui a été spécialement créée pour les journalistes et qui regroupe seulement les femmes expertes dans certains domaines étant donné leur manque de représentation sur les plateaux télévisés ou en radio. Ce sont le type de comportements que vous avez bien relevé et cette absence de femmes dans ces contextes qui a poussé à monter ce projet et votre mise en relation de cet élément avec la théorie de Nancy Fraser était très enrichissant puisque cette dernière se prêtait vraiment à cette problématique.
Par ailleurs, votre article, bien que très complet semblait peu se baser sur les arguments des intervenants puisqu’ils n’ont pas réellement été abordés. Pourtant il aurait pu être pertinent de les analyser brièvement étant donné que le débat devait donner la possibilité aux différents intervenants de faire part aux auditeurs de leur opinion.
Enfin, votre conclusion s’avère très juste et l’analyse du titre du débat nous permet de comprendre que la chaîne tend déjà, de par le titre qu’elle a choisi de lui donner, de montrer que la question qui est posée est d’ores et déjà définitive et que les réponses devront surement faire état d’une soi disant impunité des mineurs, présentée comme véridique par les fameuses Vrais Voix.
Nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez à ce commentaire.
Le groupe audiovisuel de l’équipe 3 (Lucas Sanou, Daniela Duque Ramos, Onella Neredias)
Merci pour votre commentaire très riche.
Tout d’abord vous avez relevé l’absence de l’analyse du champs lexical et des arguments des intervenants, c’est effectivement un choix que nous avons fait: nous avons favorisé l’analyse du rôle du débat dans l’espace public, via l’angle précis de la question démocratique car celui-ci nous a semblé plus intéressant pour étudier les enjeux relevant de la thématique de l’espace public traités dans l’année. En effet les questions de l’accès à l’espace médiatique, et leurs liens avec celles de l’accès à l’espace public de manière plus général, sont des questions sociales actuelles et essentielles en industries culturelles comme en communication de manière plus générale.
Nous avions cependant relevé un biais dans certains usages sémiotiques: ceux relevant de la figure du “délinquant”. Le jeune subit de multiples stéréotypes dans sa représentation médiatique. Tout d’abord dans sa désignation le mot jeune est réducteur, sémiotiquement le jeune renvoie à une image d’un individu inexpérimenté, qui n’a encore aucune légitimité intellectuelle. De plus, dans sa désignation la jeunesse ne désigne pas une tranche d’âge définis mais un englobement de générations qui reste flou et réducteur. Ce traitement négatif des jeunes se fait aussi par le biais des sujets traités par les médias. Souvent en lien à des sujets sur la violence, la drogue, le harcèlement ou encore la pornographie, la parole de ce dernier quand on lui accorde est toujours supplanté par celle d’un adulte, étant souvent ceux de la police, de l’éducation ou encore la politique qui sont des formes d’autorités. Cela entraîne une infantilisation des jeunes mais aussi une infériorisation de leur discours. La mise en scène de la délinquance et plus particulièrement celle des plus jeunes ont également joué un rôle dans les campagnes pour l’élection et surtout lors des émeutes de banlieue en 2005, où la figure du jeune de banlieue a été omniprésente. Sachant que le traitement des jeunes dans les médias influence l’opinion publique, mêlé au racisme on assiste à une éthnicisation de la délinquance comme nous l’explique Gérard Mauger et qui a pour cause de former des discours moraux à l’encontre “des parents (souvent immigrés) d’enfants « trop nombreux», « laissés sans surveillance ». Progressivement on assiste dans les médias à deux figures médiatiques des jeunes, celle des jeunes dangereux issus de l’immigration et des quartiers populaires, en lien avec l’illégalité et qui faudrait plutôt punir et celle des jeunes fragiles, souvent en lien avec l’addiction qu’il faudrait protéger. Cette stéréotypisation de leur profil a entraîné la création de termes médiatiques inéxats sociologiquement, démographiquement, porteurs d’une symbolique idéologique, associés à la délinquance, aux clans violents.
Concernant votre questionnement sur la signification du titre “les vraies voix”, l’émission par le choix de ce nom propose la défense d’un pluralisme d’opinions : elle appose ces voix selon un principe de reconnaissance de ce pluralisme, bien que cette reconnaissance puisse être discutée ( comme nous l’avons fait au cours de notre analyse ). Ainsi il ne s’agit pas de singulariser une « voix » en la présentant comme véridique mais au contraire de composer un patchwork de voix, et ainsi présenter par la forme du débat une vérité complexe, celle de la diversité d’opinions et de réalités. Le pluriel de l’expression des « Vrais Voix » illustre la volonté de l’émission de se faire le théâtre d’un véritable débat démocratique et ainsi d’acquérir une forme de légitimité (plus que de véracité comme exprimée dans le titre) citoyenne.
Lorsque nous présentions les Vrais Voix comme prestataires d’un débat où la citoyenneté est active et directe, il s’agit donc de l’ambition présentée et déclarée par la chaîne de radio. Cependant cette volonté n’exclut pas un échec de la visée du débat : en effet, l’appel à un unique auditeur comme vous le relevez révèle le déséquilibre entre la parole citoyenne et « professionnelle ». La représentation de la citoyenneté active et directe présentée par le nom de l’émission et le fonctionnement d’appel s’arrêtent à une prétention démagogue sans chercher véritablement à établir une « voix » plurielle et diverse.
Au sujet de votre remarque sur Youtube, comme l’explique David Douyère et Pascal Ricaud, cette plateforme est un espace public pour les voix minoritaires qui comprend également les minorités politiques. En effet, lors du débat la chroniqueuse Caroline Pilastre adresse des arguments prônant un carcéralisme à l’encontre des mineurs, elle sous-entend qu’il n’est pas normal que les mineurs ne purgent que la moitié des peines de celle d’un adulte. Cela nous semble être une opinion encore minoritaire et c’est pour cela que nous avons utilisé ce qualificatif, en particulier pour cette idée et non pour son idéologie néolibérale qui serait un retrait de l’État dans le domaine économique et un renforcement sécuritaire.
En ce qui concerne votre remarque au sujet des “absents au débats”, il ne s’agit pas des mineurs violents spécifiquement. Selon nous, les absents sont les personnes appartenant à la classe sociale touchée par ces violences. Touchée par la violence, dans le sens où celle-ci apparaît au sein de ces sphères sociales. Le fond de notre pensée est qu’il aurait été intéressant qu’une personne vivant la réalité propre à cet environnement puisse participer au débat. Mieux encore, qu’un “mineur violent” s’exprime. Cependant c’est très idéaliste que de penser possible un débat entre les trois invité à Sud Radio et des mineurs violents.
En effet, vous l’aviez bien interprété durant votre lecture de notre article, l’art oratoire n’est pas accessible à tous (dans une mesure immédiate). Évidemment cela n’est pas une généralité, mais une tendance qui tend à s’accentuer en fonction de la position sociale. Les variables du capital scolaire et du capital culturel sont beaucoup plus faibles dans les classes populaires. Comme vous l’avez mentionné, certaines personnes seraient malgré tout capables de mener le débat. Cependant, ces personnes ne disposent alors plus des caractéristiques des classes populaires. En fait, la réalité d’une personne ayant grandi dans un milieu défavorisé avant d’être diplômée à l’université (par exemple) sera différente de la réalité d’une personne ayant grandi dans des conditions similaires mais sans jamais être diplômée. C’est en ce sens que l’art oratoire n’est pas accessible à tous. Les classes sociales les plus défavorisées n’ont pas accès à l’art oratoire. Le porte à faux des moyens de communication pourrait d’ailleurs atteindre son paroxysme dans un dialogue entre des personnes de type CSP+ (comme les invités de l’émission) et les mineurs violents (dont il est question).
Merci pour votre lecture.