En étudiant les réactions suscitées par « Touche pas à mon poste ! » sur les réseaux sociaux à la suite à la cérémonie des César le 28 février, il s’est dégagé que le débat s’était en réalité étalé sur trois jours. Le lundi 2 mars, « TPMP » revenait sur la légitimité des prix accordés, sur le départ d’Adèle Haenel et le cachet de Florence Foresti ; le mardi 3 mars, sur les réactions au débat de la veille puis sur les soutiens à Roman Polanski ; et enfin le mercredi 4 mars, sur un éventuel retrait dudit César polémique et sur le besoin – ou non – de séparer l’homme de l’artiste. De fait, nous avons décidé d’étudier la viralité des réactions autour du hashtag #TPMP et des tweets de la production, entre le 2 mars et le 4 mars 2020. Nous nous sommes focalisés sur Twitter car « TPMP » fut l’une des premières émissions françaises à s’en saisir, dès 2012, afin de maximiser les interactions avec son audience.
Cependant, nous allons voir que l’espace créé par TPMP sur ce réseau est un lieu d’expression mais pas d’échanges. En effet, les tweets incitent à des monologues interactifs plus qu’à des échanges conversationnels : le but est d’exprimer une position. Avec l’essor des émissions qui mêlent la sphère privée et la sphère publique, il est intéressant de constater qu’Internet suit cette tendance des médias et interconnecte les discours. Les tweets analysés mettent avant l’expérience personnelle dans une dimension pulsionnelle qui devient « la norme comportementale et langagière ». Afin d’être pertinent dans l’analyse tout en palliant les limitations techniques de Twitter, l’échantillon utilisée pour l’étude se concentre sur les tweets émis par le compte @TPMP (géré par H2O Productions) et les réponses directes sous ces derniers.
Les tweets de TPMP : la création d’un espace discursif unilatéral polarisé
La production de TPMP cherche à faire réagir plutôt qu’à faire réfléchir.
Ainsi sur les 39 Tweets postés par la production durant l’émission du 4 mars 2020, 36 étaient enrichis : 12 avec vidéos, 9 avec des GIF, 8 avec des images et 7 avec des sondages. Ces derniers permettent d’observer un phénomène très intéressant : les questions posées, souvent complexes et à nuancer, sont systématiquement fermées et ne proposent qu’un choix binaire : OUI/ NON.
Les sujets des tweets publiés par TPMP sont inégalement répartis.
Le 2 mars, la remise du César à Polanski fait l’objet d’un seul tweet posté par TPMP et fait rapidement place à Florence Foresti à qui la production a dédié les tweets suivants . C’est dans ce tweet que le mot pédophile sera le plus employé (18 fois), et que 35 commentaires des internautes sous ce tweet évoqueront les condamnations de Polanski. Le lendemain, « cérémonie », « César » ou « Foresti » ne sont plus mentionnés par la production : l’épine dorsale du sujet ne sera par la suite abordée qu’en étant associée à d’autres.
Le premier soir du 2 mars, les échanges entre les internautes sous les tweets de TPMP sont peu nombreux et superficiels.
L’analyse numérique de ce débat sur Twitter se base sur les tweets émis par la production de TPMP et sur les commentaires des internautes sous ces tweets là. Nous avons analysé les réactions des internautes sous ces tweets comme nous l’avons détaillé dans la méthodologie en bas de cet article, et établi un échantillon de 9 personnes. Nous nous sommes basés principalement sur cet échantillon là pour analyser les réponses des internautes aux tweets lors de la soirée du 2 mars. Nous avons donc réalisé des graphiques pour permettre une meilleure lisibilité de l’article.Pour plus de détails sur ce graphique, nous vous invitons à lire la méthodologie en bas de cet article.
Nous avons donc remarqué que les tweets postés par TPMP ont généré peu d’échanges entre les internautes. En effet le 2 mars, dans les commentaires en réponse au tweets émis par TPMP sur le sondage » Est ce que la remise du césar à Polanski est une provocation? », on a sélectionné deux jeunes femmes au profil similaire qui interagissent avec d’autres pour définir la notion de viol. Nous les avons remarqué car elles sont presque les seules à avoir répondu aux commentaires des internautes sous ce tweet, et à réagir en utilisant des arguments pour appuyer leur position concernant la gravité du viol : elles y joignent d’ailleurs une capture d’écran sur la définition. Ces jeunes femmes, qui ce soir-là commentaient les émissions de télé-réalité, ont ensuite fait une brève apparition pour soutenir Florence Foresti, mais ne sont pas des habituées de TPMP. Si l’on se réfère aux graphiques ci-dessous, elles font partie des 22% à aborder le sujet du viol mais en utilisant un langage familier, comme 33% de l’échantillon. A part ces quelques exceptions, les commentaires des internautes en général répondent directement à l’émission, comme si la question leur était personnellement posée.
Les prises de paroles des internautes dans les commentaires se basent sur un champ sémantique commun, que les chroniqueurs de TPMP utilisent aussi dans l’émission de TPMP .
Les commentaires du 2 mars sous les 4 tweets de TPMP publiés en direct de l’émission et qui ont généré le plus d’audience ce soir là, comportent des termes récurrents qui font écho à ceux employés dans le débat. Au total, dans les commentaires des internautes en réponses à ces 4 tweets émis par TPMP, nous avons relevé au total le terme « hypocrite » 38 fois, la « honte » 44 fois, et le mot « Bravo » utilisé dans la majorité des 155 commentaires soutenant Florence Foresti. Cependant, ils sont utilisés pour justifier des prises de position opposées, l’hypocrisie tour à tour attribuée pour qualifier les chroniqueurs, puis juger les César ou encore commenter le comportement de Foresti. La standardisation de l’écriture proposée par Twitter ainsi que l’utilisation d’un même vocabulaire pour le sujet de Polanski et Foresti les amènent sur le même plan. Il est difficile de définir clairement des prises de positions lorsque les tweets postés clivent le débat, qu’ils sont publiés en l’espace de quelques minutes et qu’ils utilisent le même champ sémantique. Ceux qui soutiennent Florence Foresti se dessinent facilement, mais du reste se trouvent des prises de paroles désorganisées plutôt qu’un lieu de discussion constructives.
L’exaltation des sentiments des internautes dans leurs réponses aux tweets de TPMP: de la compassion à la violence
Les internautes semblent partager le même code de proximité lorsqu’ils réagissent aux tweets de l’émission
L’analyse numérique de ce débat prend en compte l’analyse des réactions des internautes aux tweets émis par TPMP. En nous basant sur l’échantillon de profils que nous avons évoqué et que nous détaillons dans la méthodologie, et en exploitant tous les commentaires qui répondent à ces tweets publiés entre le 2 mars et le 4 mars pendant l’émission, nous avons dégagé plusieurs traits communs.
Nous avons remarqué que dans les réponses aux tweets de TPMP entre le 2 et le 4 mars, les internautes marquent leur soutien en appelant et tutoyant directement “Isa” ou “Isabelle”, et expriment leur mépris avec « cette femme » ou « elle ». Idem avec Raymond, à qui les gens s’adressent directement ; nous avons relevé 23 interpellations directes au chroniqueur le 2 mars sous les 4 tweets postés par TPMP pendant l’émission.
Le 3 mars, 74.8% des 187 retweets du tweet de TPMP, qui met en avant l’expérience epresonnelle d’Isabelle Morini-Bosc, soutiennent Isabelle : “aimer”, “courage”, « bravo», en mots récurrents. Parler de son expérience personnelle pendant l’émission invite les internautes dans le “pathos” et l’expression des sentiments plutôt que de faire appel à la raison. D’ailleurs, les réponses à ces tweets du 3 mars sont homogénéisés, tant dans le discours que dans les profils, qui semblent majoritairement féminins. Le soir du 3 mars, on note que 27 réponses des internautes aux tweets de TPMP, mentionnent de la déception : comme dans l’émission, on appelle aux sentiments plutôt qu’à des arguments et cela vient renforcer le cadre d’un débat polarisé.
Des attaques « ad hominem » dans les réponses des internautes suite aux sondages publiées par TPMP
Pour reprendre les termes employés dans l’étude de Virginie Julliard sur la théorie du genre, on note sous le tweet de TPMP sur la révélation du salaire de Florence Foresti le 2 mars, 138 réactions violentes « ad hominem » des internautes adressées aux protagonistes de l’émission. 56 réponses à ce tweet sont des insultes adressées à Cyril Hanouna, dans un langage ordurier et du champ lexical fécal, dont 1 antisémite.
Sous les 4 tweets émis par TPMP le 2 mars, 32 commentaires lui demandent de révéler son propre salaire, et 6 intègrent des articles en lien pour appuyer les propos. Plus généralement, sur cette même base des 4 tweet émis par TPMP le 2 mars le comportement de l’équipe sur le plateau ont généré 77 commentaires les accusant de « jaloux », contre 52 portant sur le choc du montant de son salaire. Le nombre d’accusations et de commentaires virulents est exalté par la plateforme, mais semble puiser leurs sources dans les arguments amenés dans l’émission. Si la violence sur Twitter est connue, on note l’absence de modération des discussions de la part de TPMP qui laisse libre cours à tous les propos. Le champ lexical de la violence utilisé par l’émission semble avoir donné le ton et exacerbé les réactions : la parole est un pugilat qui ne prend pas en compte celle de l’autre.
Comme dans l’émission de TPMP, l’expérience personnelle permet de légitimer un débat aux allures de tribunal.
Le montant du cachet de Florence Foresti et le savoir-être dans le monde du travail sont les mobiles principaux pour lui reprocher son absence à la fin de la cérémonie. La formulation « elle aurait dû » « il fallait » a été principalement utilisée dans ce but (58 commentaires). Sur le tweet du milieu, un habitué de TPMP, actif sur les sondages et en accord avec l’émission. Les arguments avancés font appel à la perception subjective de chacun, et si certains sont pertinents, ils sont sous couverts d’un jugement individuel plus qu’une prise de position organisée. Pour soutenir l’humoriste, les formulations d’empathie sont récurrentes « j’aurais fait pareil, je comprends » : on retrouvera les même les lendemain adressé à Isabelle Morini-Bosc
Conclusion
Les réactions générées le 4 mars sont particulièrement intéressantes car elles mettent en exergue la saturation d’une partie des téléspectateurs. Plusieurs soulignent la tournure excessive que prend l’émission – « saoulant », « gonflant » – et la volonté de la production d’entretenir son propre buzz.
Le terme « anxiogène » revient également à de multiples reprises, d’autant que la première partie de l’émission est consacrée à la Covid-19. Nous sommes moins de deux semaines avant le premier confinement et la maladie commence à prendre d’importantes proportions en France. « TPMP » semble ici s’être pris à son propre piège, à force de vouloir étirer les débats sur un sujet sensible, bien loin de l’analyse médias et s’attaquant frontalement à des sujets de société — et ce malgré une communauté très forte autour de l’animateur.
> ALLER PLUS LOIN : Lire l’analyse audiovisuelle de l’émission
Méthodologie
Comme évoqué dans l’introduction, nous nous sommes concentrées sur l’analyse des tweets postés par le compte Twitter officiel de l’émission pendant les émissions, géré par la production, et des réponses sous ces derniers. L’étude porte sur la période du 2 au 4 mars 2020.
Pour cela, nous avons notamment utilisé l’outil de veille TweetDeck à travers l’usage de recherches ciblées, telles que « (from:TPMP OR to:TPMP) since:2020-03-02 until:2020-03-03 », en nous répartissant chacun une des trois soirées.
Sur la soirée du 2 mars par exemple, quatre tweets de @TPMP se distinguaient par leur grand nombre de réactions : nous avons donc exploité les 1623 commentaires émis sous ces derniers, ainsi que les 516 retweet sur la révélation du salaire de Florence Foresti, totalisant 2139 réactions. À partir de ces 2139 réactions sur ce soir là, nous avons sélectionné neuf profils différents (cf. graphiques) qui réagissaient aux posts. Soit ils nous ont interpellés par la virulence de leur propos, soit par le nombre de réactions, soit parce qu’ils utilisaient du langage familier, ou encore parce qu’ils avaient des arguments qui s’appuyaient sur des faits, et pas seulement des ressentis. Ce panel comporte donc une palette de profils variés.
Sur les 9 profils établis, nous avons donc relevé que 6 d’entres eux sont des femmes, 3 sont des hommes; ce paramètre ne semble pas rentrer en compte lorsque le sujet va aborder le salaire de Florence Foresti et donc de défendre l’inégalité de salaire homme-femmes.
Concernant le choix des photos de profils, nous avons remarqué que 4 sur 9 mettent une photo d’eux, tandis que 5 mettent une photo animalière, une photo de paysage ou pas de photo du tout. Cette barrière de l’anonymat a joué un rôle dans l’expression des positions. En effet, sur cet échantillon, plus de la moitié (67%) utilisent du langage familier voire vulgaire, tandis que seulement 33% ont recours à un langage courant.
A propos du contenu des tweets, on constate que sur ces 9 profils, 56% répondent aux sondages émis par TPMP le 2 mars comme si on leur parlait directement. C’est nettement supérieur aux 11% qui utilisent des arguments, ou les 22% qui abordent le sujet du viol, qui constitue l’épine dorsale du sujet.
Enfin, nous avons analysé le paramètre de la fréquence de prise de parole de ces 9 profils. Nous avons donc remarqué qu’ils se divisaient en 3 catégories : ceux qui répondent fréquemment aux tweets émis par la production de TPMP, ceux qui n’ont participé qu’autour de ce débat sur Polanski, et ceux qui répondent ponctuellement, au même titre qu’à d’autres émissions. On peut donc en déduire que l’échantillon que nous avons sélectionné est varié, et nous avons déduit que les personnes qui utilisaient un langage familier, avec une photo de profil animalière/paysage, étaient des abonnés de TPMP qui répondaient donc fréquemment, prenaient position en interpellant les chroniqueurs et répondant comme si on leur parlait directement.
Les personnes dont on voit les photos de profils utilisent des arguments, le langage courant utilisé dérape en en langage familier lors des échanges avec les internautes, mais ne sont pas des abonnés de TPMP, mais font plutôt partie du public des émissions télévisés généralement.
Bibliographie
Flichy Patrice, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 (n° 150), p. 159-185. URL ICI
Virginie Julliard, « #Theoriedugenre : comment débat-on du genre sur Twitter ? », Questions de communication [En ligne], 30 | 2016, URL ICI
Kaufmann Jean-Claude, « Tout dire de soi, tout montrer », Le Débat, 2003/3 (n° 125), p. 144-154. DOI : 10.3917/deba.125.0144. URL ICI
Vincent Maud, « La dégradation du débat public : le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde » », Hermès, La Revue, 2007/1 (n° 47), p. 99-106. DOI : 10.4267/2042/24082. URL ICI
Equipe 5 bonjour,
Tout d’abord, nous voudrions honorer le travail accompli pour cette analyse. La restitution de vos observations est claire et efficace.
Nous jugeons intéressant le fait d’avoir opté pour des graphiques mettant en avant vos résultats d’analyses, néanmoins, dans un premier temps, quelques points nous semblent nécessiter un éclaircissement. Quelles interprétations par rapport à votre sujet faites-vous des deux derniers diagrammes circulaires que vous avez intégré à votre travail? A savoir le choix des photos de profils des intervenants, et leur fréquence de réactions aux tweets de @TPMP. Nous remarquons par ailleurs que 11% des tweets issus de votre échantillon faisaient état de propos racistes, nombre assez élevé, d’autant plus que le sujet initial du débat ne semble pas à première vue pouvoir laisser place à ce genre de réactions. Comment expliquer cet acharnement?
Deuxièmement, à la lecture de votre article un sentiment général se dégage. Il semblerait que l’extériorisation des sentiments personnels occupe une place prépondérante dans les réactions, autant sur le plateau de télévision qu’au sein de la sphère Twitter. Un constat contraire à la conception de Richard Sennett. Dans son ouvrage les Tyrannies de l’intimité, le sociologue disait qu’il jugeait le secret nécessaire dès lors où l’on rentre pleinement en interaction avec d’autres personnes pour ne pas laisser involontairement paraître à leurs yeux ce que l’on ressent. Ce secret vaut alors pour les sentiments que l’on devrait donc communiquer librement uniquement lorsque l’on est “caché” où en présence de personnes de confiance, dans des lieux spécifiques et intimes. Or ici, ni le plateau de télévision, ni Twitter ne correspondent à ces critères. L’émission TPMP semble impliquer des pratiques de brouillage entre la sphère publique et la sphère privée qui se répertorient sur le “petit oiseau bleu” comme aime à l’appeler certains internautes.
D’autre part, la forte présence féminine dans les taux d’engagements liés aux tweets de @TPMP nous suggère l’envie de faire un parallèle avec une idée développée par Nancy Fraser. A la conception Habermassienne de l’espace public bourgeois qu’elle critique, elle intègre des contres-publics subalternes, dont le public féminin. Les femmes constituent alors une arène discursive parallèle dans laquelle elles “élaborent et diffusent des contre-discours, afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts et leurs besoins”. Nancy Fraser évoque également un contre-public subalterne féministe nord-américain de la fin du siècle dernier, qui a inventé de nouvelles terminologies – en rapport avec le viol et le harcèlement sexuel notamment – pour décrire la réalité sociale et redéfinir leurs besoins et identités, dans l’optique de diminuer les désavantages dont elles sont victimes dans les sphères publiques officielles. Pensez-vous que la montée en puissance de la libération de parole provoquée par les réseaux-sociaux, dont Twitter plus particulièrement, qui est votre objet d’étude, contribue également à diminuer ces désavantages? Si oui, dans quelles mesures?
Pour aller plus loin, toujours sur cette même idée de Nancy Fraser que décrire la réalité sociale touchant des sujets tel que le viol, permet d’élagir le champs des discours contestataires, d’autant plus qu’il s’agit d’une précaution commune. Un élément a suscité notre intérêt dans votre analyse. Vous signalez en conclusion que parmi les réactions générées le 4 mars, un grand nombre de personnes déplore le fait qu’en persistant sur le sujet des César, l’émission prend une tournure excessive, pour reprendre vos mots. En effet, cela fait déjà trois jours d’affilés que Touche Pas à Mon Poste traite de l’affaire.Nous jugeons en partie intéressant le fait que l’émission présentée par Cyril Hanouna, n’ait pas hésité à mettre en avant le sujet du viol, plusieurs jours de suite, permettant à un grand nombre de femmes de saisir l’opportunité de s’exprimer publiquement en citant ou commentant les tweets issus du compte @TPMP, à propos des agressions dont elles ont été victimes. Toutefois, Pensez-vous, de manière générale, qu’un débat devrait-être limité dans le temps? Dans le cas du débat étudié, vous dites en conclusion que le sujet traité est « sensible », et dans le même registre, le tweet qui suit dit que le sujet du viol est “sérieux”. Les sujets jugés plus « sensibles » mais qui pourtant traduisent une réalité sociale devraient-ils respecter une disposition précise pour en débattre? En d’autres termes, pourquoi l’émission TPMP ne pourrait-elle pas continuer de débattre au sujet du viol?
Cordialement,
L’Equipe 3
Bonjour l’équipe 3,
Merci d’avoir pris le temps de répondre à notre article. Suite à vos observations nous revenons point par point aux objections émises.
Concernant les deux derniers diagrammes, il est intéressant de voir le degré d’anonymat comparé aux propos tenus. En effet, nous avons relevé que la moitié mettait une photo d’eux mêmes, tandis que l’autre utilisait un avatar, soit un paysage ou un animal. Les propos virulents provenaient surtout de cette dernière catégorie, par ailleurs habitués à réagir sur le twitter de l’émission. On peut alors se demander dans quelle mesure l’anonymat est la dernière protection face au reste du monde, comme vous le mentionnez plus tard en rappelant le travail de Sennett, mais permet aussi de se laisser aller à des propos plus crus, familiers.
Au sujet de la fréquence des réactions des tweets, le diagramme permet de cerner une ébauche de public qui réagit aux commentaires : si ce sont des fervents abonnés de la chaîne, s’ils réagissent occasionnellement au même titre que d’autres émissions télévisées, parfois en simultané, ou si leur participation était exceptionnelle. On a ainsi noté que la plupart des personnes de l’échantillon qui ne dévoilent pas leur identité sont habitués à réagir en direct de l’émission.
Cependant, concernant les 11% de propos racistes, nous devrions élargir aux insultes : il faut noter que les insultes sont adressées tantôt à Cyril Hanouna, tantôt à Florence Foresti, ou entre les internautes eux-mêmes qui se reprochent de ne pas se comprendre. L’anonymat et la distance entre la personne et son alter-ego virtuel qui en découle exacerbe l’extériorisation des sentiments, et donc amène à des insultes fréquentes.
L’ouvrage Tyrannies de l’intimité de Senett a été écrit depuis très longtemps, en 1977, le moment où les outils de technologie et de communication n’ont pas encore pénétré et n’ont pas encore changé la manière dont nous vivons nos vies au quotidien. Aujourd’hui, le secret ne garde plus la dimension sacrée qu’on partageait dans une sphère restreinte comme auparavant. Les frontières de l’intime ont été déplacées dans la société moderne contemporaine, selon Kaufman dans “Tout dire de soi tout montrer” (2003). Dans ce cas là, vu que l’action de dévoiler ce secret sur le plateau d’Isabelle Morini-Bosc sur le plateau est totalement inédite, nous ne sommes pas sûres que cette révélation fasse partie de sa stratégie de distraire les critiques en ligne. En exposant son aspect vulnérable en tant qu’une victime de viol, elle a réussi à attirer un grand soutien et une grande empathie des publics (particulièrement de public féminin) sur Twitter. Ce “petit oiseau bleu” joue ici principalement le rôle de donner la parole aux internautes, qui peuvent partager leur intimités afin de renforcer le caractère authentique de leurs figures de soi virtuelles.
A propos de la présence féminine dont vous faites l’état dans le commentaire, nous proposons de préciser quelques-uns des désavantages auxquels vous faites allusion. Comme le dit Nancy Fraser, le temps de parole et l’écoute de la parole féminine face aux prises de paroles masculines sont des preuves d’inégalité entre le public fort et le public faible. Cependant, sur Twitter, il est plus difficile de cerner une équité, puisque les conditions sont complètement différentes. Certes cette plateforme numérique apporte un espace qui permet à des contres-publics de se réunir et de discuter, mais la conception de la plateforme ne permet pas de construire un débat et un échange constructif délibératif. L’impact de Twitter n’est pas sur sa qualité de contenu, mais plutôt sur une quantité de réactions et l’expression d’une position. On peut dire que la prise de parole est plus accessible à tous, mais on ne voit pas de dispositif qui favorise l’écoute entre ces publics. En effet, si les contre-publics subalternes peuvent sur Twitter libérer la parole, donner plus d’ampleur à ces sujets et avoir une présence abondante sur ces réseaux, l’écoute et la place laissée par le groupe dominant ne va pas de soi. Il est donc très important de créer des espaces permettant à ces publics de s’organiser pour défendre une position commune.
Enfin, vous évoquez la question de la limitation dans le temps du débat autour de cette réalité sociale qu’est le viol, et de la disposition pour en débattre. Le problème ici est que « Touche pas à mon poste ! » ne cherche pas à favoriser la libération de la parole ; ni même à écouter les témoignages. Cette réalité sociale n’est qu’un prétexte pour légitimer cet étirement dans le temps et trouver de nouvelles polémiques pour débattre : le départ d’Adèle Haenel refusant de cautionner le César remis à Roman Polanski par exemple, le cachet de Florence Foresti ou encore la question de séparer l’homme de l’artiste (et si oui ou non « J’accuse » est un bon film). De fait, les réactions sur Twitter portent sur ces débats et ne s’apparentent en rien à un #MeToo ou à un #BalanceTonPorc. Il est plutôt critiqué le fait qu’une émission sur l’actualité des médias utilise la question du viol pour en faire un objet de divertissement dans un contexte anxiogène. De fait, un certain nombre d’utilisateurs réclament que la production arrête d’utiliser ces sujets « sensibles » à ces fins de buzz médiatique.
En vous remerciant de vos réponses,
Cordialement,
L’Equipe 3