A l’aube des élections présidentielles un mot affole les candidats et anime les débats. Il s’agit du mot « Woke », expression anglo-saxonne signifiant « éveillé » et qui désigne la prise en compte des problématiques liées aux inégalités sociales. Pour autant ce mot est souvent utilisé par les politiques, les journalistes et les intellectuel.le.s pour qualifier des militant.e.s de gauche qu’iels considèrent comme radical.e.s. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le débat du 25 novembre 2021 sur France Inter animé par Léa Salamé et Nicolas Demorand en présence d’Alice Coffin, conseillère municipale EELV (Europe Ecologie Les Verts) de Paris, autrice du Génie Lesbien (Grasset), et Brice Couturier, journaliste et essayiste, auteur de Ok millenials ! (L’Observatoire). Au sein de ce débat Alice Coffin représente ce que certains peuvent qualifier de « Woke », tandis que Brice Couturier se positionne comme un défenseur des valeurs françaises issues de l’époque des Lumières comme l’universalisme ou la raison.
A travers cet article, nous observerons comment le terme « Woke » est débattu entre les différentes personnes présentes sur le plateau. Par la suite, nous nous interrogerons sur la reconnaissance médiatique offerte à chacun des invités comme retranscription du pluralisme médiatique à l’antenne. Enfin, nous questionnerons la manière dont le sujet des minorités et du féminisme est traité par cette opposition.
“Woke” : mouvement de société ou épouvantail politique ?
Dans un premier temps, il est intéressant de mettre en avant les deux points de vue mis en scène dans ce débat face au terme “Woke”. D’un côté, Alice Coffin voit en ce mot une “chimère” servant à créer des oppositions. Elle compare d’ailleurs ce terme à celui “d’islamo-gauchiste” qui a lui aussi suscité beaucoup de débats et fait couler beaucoup d’encre dans les rédactions. Finalement, elle résume sa pensée en se disant elle-même appartenir aux militants qui “luttent pour l’égalité”. Face à elle, Brice Couturier définit “Woke” par “conscientiser”, un mot lui aussi très connoté politiquement et se rapprochant de l’extrême-gauche. Il voit en ce terme la volonté d’un “bouleversement du champ politique” qui nous ferait passer du côté des “identités” individuelles plutôt que des “intérêts”, sous entendu le collectif.
L’introduction au débat proposée par ces deux définitions opposées est très intéressante car elle sert de fondement à ce qui sera discuté par la suite et permet aux auditeurs de rapidement se positionner. De plus, il est pertinent de noter le fait qu’Alice Coffin s’interdit presque d’utiliser ce mot pour se décrire, appuyant donc bien l’idée que le terme “Woke” sert de “front politique” et médiatique pour les opposants, et qu’il est très peu utilisé par les militant.e.s eux-mêmes. Elle répond également à Brice Couturier, en rappelant qu’il ne doit pas être utilisé comme un épouvantail servant à décrédibiliser une cause, et surtout que ce mot représente une “évolution” bien plus qu’une révolution.
Débutant par ces distinctions sémantiques, le débat bascule rapidement vers une opposition plus large des combats politiques de chacun.e.s des invité.e.s. Nicolas Demorand alimente d’ailleurs la discussion en citant le livre d’Alice Coffin, Le Génie Lesbien, à Brice Couturier en lui demandant son avis sur le sujet. Finalement il est intéressant de constater, dans ce basculement du débat, que deux citations du livre d’Alice Coffin sont lues par les journalistes, visant à susciter de vives réactions chez les auditeur.ice.s, et aucune de celui de Brice Couturier. Ce dernier devient alors un invité détracteur et réactionnaire aux propos de la conseillère EELV, servant à susciter la peur et des réactions des auditeur.ice.s en utilisant des mots lourds de sens, tels que la “révolution culturelle” ou la destruction des “bases mêmes de la société”. Par cette nouvelle dichotomie, les journalistes voient leur position évoluer. Dans un premier temps médiateurs du débat, ils deviennent par la suite le moyen de créer des séquences d’affrontement chocs. Léa Salamé et Nicolas Demorand alimentent le débat à coup de citations fortes et de questions polémiques : “Donc selon vous le féminisme est une guerre contre les hommes ? En tout cas pas avec eux, c’est ça votre idée de base ?” (Léa Salamé). Nous verrons plus tard en quoi cette orientation du débat peut porter atteinte au pluralisme et au bon fonctionnement d’un débat médiatique.
Quand la reconnaissance des minorités crée la peur des majoritaires
La présence d’Alice Coffin sur le plateau pour ce débat n’est pas anodine, en tant que femme lesbienne elle vient prendre une place qui lui est rarement accordée de droit dans l’espace public et médiatique. Comme explicité par la conseillère en début de séquence, elle ne correspond pas à la norme de l’espace public, qui surreprésente des hommes blancs privilégiés. En effet selon le “Baromètre de la représentation de la société française” du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), les hommes représentent 62% des personnes présentes sur les programmes d’informations, les personnes blanches 86% et les CSP+ 64%, ce qui n’est pas représentatifs de la société françaises actuelles. Cela crée alors une division entre le groupe majoritaire représenté par Brice Couturier qui est une personne visible et à dont le discours est perçue comme légitime au sein de l’espace public normatif. Alice Coffin quant à elle est issue des groupes minoritaires qui ont peu de visibilité et dont les discours sont perçus comme illégitimes voire mauvais ou repoussoirs par la société (Butler). Cela est d’autant plus frappant de par les réactions provoquées par le discours d’Alice Coffin chez Brice Couturier qui l’accuse de prendre une place de représentante des lesbiennes, place qu’il qualifie d’illégitime car elle n’a pas été élue au sein des lesbiennes comme une figure de représentation selon les règles de la démocratie. Amenant ainsi l’argument qu’aujourd’hui les luttes, sous couvert de défendre l’identité, sont essentiellement axées autour de luttes de pouvoir.
Selon Brice Couturier, aujourd’hui, les combats politiques ne sont plus centrés sur les intérêts comme le souhaiterait la démocratie mais tournent autour des identités. Il serait donc impossible de discuter et de débattre car les intérêts sont “négociables”, mais pas les identités, cela rendrait donc le débat stérile et impossible. Pour autant, alors qu’Alice Coffin ne l’évoque pas, il est le premier à la définir par son identité lesbienne, la positionnant à la marge, lui se trouvant implicitement dans l’hétéronomativité n’a donc alors pas à se définir. Dans ce débat Alice Coffin se retrouve alors étiquetée auprès des animateur.ice.s, de l’invité et des auditeur.ice.s comme quelqu’un dont le discours ne mérite pas la reconnaissance (Honneth) et la respectabilité (Skeggs). De fait, c’est une chose qu’elle doit acquérir en exposant ses idées. À l’inverse, Brice Couturier se positionne comme un individu dont le discours est de fait acceptable et acquis par la majorité de la société, en exposant une théorie universaliste et anti-wokisme, ainsi il ne doit pas lutter pour la reconnaissance (Honneth). Ce qui explique que lorsque le débat dévie du sujet initial, c’est Alice Coffin qui semble devoir se défendre face aux attaques de son opposant, des auditeur.ice.s mais aussi des journalistes, notamment en devant se justifier de sa position féministe et de son rapports au hommes.
Par ailleurs, Alice Coffin nous parle du fait que ce qui dérange aujourd’hui ce n’est pas tant les discours dirigés par les groupes minoritaires mais plutôt le fait que ceci sont de plus en plus visibles dans les espaces publics médiatiques mainstream. En effet, les discours qualifiés de « Woke » et se rapprochant des Cultural Studies, comme le souligne Brice Couturier, sont des discours qui ont longtemps été tenus au sein des groupes minoritaires, au sein de subcultures (Hebdige). Le problème ne serait donc pas le fond des discours, mais le fait que les personnes qui les portent se retrouvent dans des sphères publiques légitimes et accèdent ainsi à la reconnaissance sociale en remettant en cause les sphères masculines, hétéronormatives et bourgeoises.
Les auditeurs au service du pluralisme ?
Afin de représenter la pluralité des opinions, l’émission de France Inter a fait le choix d’inviter deux personnalité.e.s aux visions bien différentes. Il est intéressant de pointer la place qu’ont les auditeur.ice.s dans ce débat. En effet, même si la séquence débute par une alternance des discours assez classique, l’émission passe ensuite des témoignages et des questions d’auditeur.ice.s en lien avec la discussion. Il ne faut pas oublier l’importance du dispositif médiatique qui sélectionne les témoignages en amont de leur passage à l’antenne. On peut alors légitimement se demander : comment les auditeur.ice.s servent-iels à retranscrire l’opinion de l’émission ou des journalistes ?
Tout d’abord, on remarque que dans la continuité du débat, les premières interventions s’adressent majoritairement à Alice Coffin et beaucoup viennent en opposition avec son discours politique. Naturellement, cela fait pencher la balance du côté de Brice Couturier qui a donc l’opinion des auditeur.ice.s de son côté. De nouveau, ce n’est pas réellement le terme “Woke” qui est questionné, mais davantage l’engagement féministe et pour la cause lesbienne que défend la conseillère EELV. Ce traitement médiatique se rapproche de ce que Alice Coffin dénonce au début de la séquence, les féministes prennent de plus en plus de place dans les médias et cette présence dérange ceux qui pendant des années la presque exclusivité du discours médiatique. Mêmes une des auditrice, se proclamant féministe, semble en désaccord avec les propos d’Alice Coffin d’après un commentaire relayé par Léa Salamé à l’antenne : “Je suis féministe, du moins je me pense féministe et je suis enclin à l’écoute et à l’éveil des esprits. Cependant je ne peux pas entendre les lignes que vous rédigez (sous-entendu Alice Coffin). Il est difficile pour moi d’arriver à détester les hommes comme vous le faites car le féminisme est pour tous les hommes.”
Ce qui importe davantage pour les journalistes, c’est que le débat puisse provoquer des réactions. Qu’elles soient en faveur de l’un ou de l’autre, Léa Salamé trouve “génial” que le débat suscite tant de réactions. Cette idée est en cohérence avec la théorie que propose Brice Couturier, celle d’une pensée des Lumières qui défend la démocratie, le débat et les négociations. Quoi qu’il en soit, nous pouvons voir que le traitement médiatique recentre le débat, non pas autour du “wokisme” mais plutôt sur la thèse du Génie Lesbien d’Alice Coffin. Les questions posées à la fois par les auditeur.ice.s et par Léa Salamé amènent un tout autre débat : le combat féministe s’effectue t-il sans les hommes ? Contre les hommes ? Il y a comme un décalage entre la thèse d’Alice Coffin qui fait le point sur une “guerre menée par les hommes contre les femmes”, et les journalistes et auditeur.ice.s qui reçoivent cette idée comme une volonté de violence menée par la gauche, par les “wokistes”, contre les hommes et de ce fait contre la société qui se veut démocratique et universaliste.
Pour conclure, le débat entre Alice Coffin et Brice Couturier sur France Inter est un portrait assez juste de la manière dont les médias traitent la pluralité politique. En faisant s’affronter deux opposants et en répartissant la parole de manière assez paritaire (environ dix minutes pour Alice Coffin et neuf minutes pour Brice Couturier), le débat semble équitable. Cependant, en analysant plus précisément les mécanismes du débat, nous pouvons prendre conscience de quelques disparités. Il semblerait que les propos d’Alice Coffin ne soient pas compris à la fois par les auditeur.ice.s, et à la fois par le public. Les passages de son livre qui sont cités pointent la violence de la thèse défendue. En réponse, l’invité Brice Couturier démontre lui aussi une certaine violence en utilisant des termes forts et lourds de sens tels que la “révolution culturelle” ou encore “l’absence de démocratie”. Il va jusqu’à accuser l’extrême gauche d’être responsable de la montée de l’extrême droite en France : “c’est à cause de gens comme vous que l’on a Zemmour” (Brice Couturier). Il affirme également que le wokisme est la trahison même des mouvements féministes, homosexuels et anti racistes qu’ont connu les précédentes années. Ce qui est intéressant, c’est de noter la tension mutuelle du débat : les deux invité.e.s utilisent des mots qui peuvent paraître radicaux, et font preuve de violence (à tort, ou à raison), les uns envers les autres. Cependant, le fait est que les questions sont davantage orientées en réponse à la thèse d’Alice Coffin qu’à celle de Brice Couturier, qui comme on l’a vu, se place comme représentant d’un discours légitimé. Alice Coffin est étiquetée lesbienne, quand bien même Brice Couturier viens affirmer qu’il ne faut pas régir le champ politique sur les identités (ce qui n’aide pas Alice Coffin).
Pour finir, il est aussi important de noter que si le terme woke est mis à l’agenda public de France Inter, il reste un mot qui est essentiellement utilisé dans le champ politique. Selon une enquête IFOP, seuls 14% des français.e.s ont déjà entendu parler du terme de woke, et 6% d’entre eux en connaissent le sens. Ces pourcentages peuvent venir justifier la réaction des auditeur.ice.s, qui comme dit précedemment, ont eux aussi recentré le débat sur leur identité, sur la question de la place de l’homme dans le combat féministe, plutôt que sur le mot en tant que tel. On peut se demander si les auditeurs.rices avaient connaissance du sens de ce mot. Mais également cela nous permet de décentrer le propos, en ayant conscience que l’intensité du débat concerne une partie ciblée de la population qui a connaissance des tenants et aboutissants de ce débat. Puisqu’en effet, le terme de “woke” pose des questions bien plus profondes, il ne s’agit pas uniquement d’une question d’expression mais c’est un mot qui vient en réalité soulever les fondements politiques de notre société. Il vient redéfinir le champ politique, questionner nos savoirs hégémoniques et remettre en question des années de construction, d’oppressions, de lutte et de savoirs situés. La présence des deux invité.e.s est le reflet, bien que binaire, d’une société divisée entre deux dynamiques. À l’image de l’éternel débat entre la droite et la gauche, le débat public peu à peu se dote de nuances et vient enrichir, à travers les médias, le savoir de l’agenda politique.
Bibliographie
Vidéographie
France Inter, Alice Coffin : « Woke, c’est un des nouveaux mots chimère, que l’on a vu arriver dans le débat », 25 novembre 2023, <https://www.youtube.com/watch?v=x9_9F_hELFw&t=1188s>
Ouvrages Scientifiques
BUTLER, Judith, Qu’est-ce qu’une vie bonne ?, Payot, 2014.
HEBDIGE, Dick, Sous-culture : le sens du style, Zones, 2008
HONNETH, Axel, La lutte pour la reconnaissance, Folio, 2013
SKEGGS, Beverly, Des femmes respectables : Classe et Genre en milieu populaire,
Agone, 2015
Rapport
Baromètre de la représentation de la société française – résultats de la vague 2020, Arcom, Rapport au Parlement, 12 Juillet 2021.
Très enrichissant, bonne démarche
Manon, Léa, Valentine
Votre article est intéressant et le sujet enrichissant ! Bien que l’extrait choisi date de 2021, le sujet en lui-même reste tout de même d’actualité et le plan proposé est très pertinent !
Voici nos remarques par rapport à votre production :
L’introduction de l’article nécessiterait une précision quant à l’horaire de transmission. En effet, il s’agit ici de l’émission radio de France Inter intitulée « L’invité de 8h20 : Le Grand Entretien » ayant lieu du lundi au vendredi. L’entretien des différents invités se rendant sur le plateau dure en moyenne vingt-cinq minutes.
De ce fait, l’heure de diffusion de l’émission ( 8h20 ) permet de toucher un large public qui écoute la radio sur leur trajets journaliers du domicile au lieu de travail ou bien pour les adeptes de l’écoute radio lors du petit-déjeuner.
Nous trouvons que le premier paragraphe exprime très bien les opinions divergentes des invités : Alice Coffin et Brice Couturier. Leurs prises de positions vis-à -vis du terme « Woke » sont très bien explicités, et celles de manières brèves et concises. De cette manière en tant que lecteur nous arrivons rapidement à situer quels vont être les acteurs et les enjeux de ce débat.
De plus, le fait d’avoir soigneusement pris le temps d’expliquer la différence sémantique qu’Alice Coffin et Brice Couturier ont vis-à-vis du terme « Woke », permet de poser les bases de la lecture qui va suivre.
Également, nous avons jugé judicieux d’analyser le comportement des journalistes. L’article souligne le fait que Nicolas Demorand et Léa Salamé alimentent et conduisent le débat vers un terrain plus houleux. Pour cela les deux journalistes évoquent des sujets allant au-delà de la discussion initiale : celle du terme « woke », tel que précisé dans l’article les références faites au livre d’Alice Coffin, Le Génie Lesbien.
Ainsi, l’intelligente analyse des comportements journalistiques permet d’analyser ce débat avec un autre regard, notamment sur la réception de ce dernier sur les auditeurs. En raison du fait que Léa Salamé et Nicolas Demorand amènent le débat à prendre une tournure plus spectaculaire dans le but de susciter l’opinion des auditeur·ices.
C’est pourquoi il est intéressant de se questionner sur la théâtralisation par les journalistes des débats dans l’espace médiatique.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que l’avènement d’Internet au XXIème siècle, notamment avec l’arrivée du « WEB 2.0 » en 2004 à remodelé notre façon d’interagir au cœur de l’espace public, en passant à un modèle de marchandisation et de politisation de nos discours et usages.
Dans la mesure où les médias et les journalistes ont dû s’adapter en modifiant leur manière d’orienter un débat, de sorte à amener leurs invités à réagir sur des sujets d’actualités controversés.
Tout cela en sachant que de potentielles polémiques vont émerger, conduisant une foule de réactions vives de la part d’une audience s’exprimant majoritairement anonymement.
En cela nous pouvons penser aux rôles des médias cités par McLuhan dans son ouvrage The Medium is a Message de 1967. Les médias contribuent à la pensée transmission, rétention et au remodelage de la mémoire collective ». C’est ce qu’il nommera « The Village Global », un lieu où par les moyens de communications modernes (radio, TV, etc…) la pensée individuelle s’effacera pour être imbriquée dans une pensée collective formatée par les médias de masses.
En outre, les vives réactions que suscite le terme « Woke » comme décrit dans l’article nous permettent de faire le parallèle avec la thèse de la société « Technétronique » de Zbigniew Brzezinski. Effectivement, dans les années 1970, Brzezinski créé ce néologisme pour penser stratégiquement la nouvelle ère de l’instantanéité des moyens de communications offerte par les progrès techniques et le développement mondial des réseaux.
La deuxième partie de votre article est également très bien construite et très riche avec de nombreuses références qui font sens par rapport aux analyses que vous avez réalisées à propos de l’émission. L’utilisation du « Baromètre de la représentation de la société française » du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel était en effet une très bonne idée pour justifier le fait que la société française actuelle n’est pas représentée dans son intégralité à travers les programmes d’information. Peut-être aurait-il été tout de même intéressant de rajouter le pourcentage de femmes au sein des programmes d’information afin d’appuyer davantage sur cette non-représentativité de la société française ?
De plus, nous constatons au sein de cette deuxième partie que vous réalisez une réelle illustration générale et actuelle des débats à propos des minorités (que ces dernières soient ethniques, raciales, sexuelles ou encore de genre) dans un espace public médiatique tels que France Inter. Cette défense et cette justification constante que les minorités appliquent contre les personnes s’opposant à elles lors des débats était et est toujours présente.
La fin de cette deuxième partie de votre article nous a tout de même amené à nous poser quelques questions. Lorsque vous reprenez au sein de votre article le moment de l’émission où Alice Coffin exprime ce qui la dérange, n’étant non pas les discours dirigés par des groupes minoritaires mais le fait qu’ils soient davantage visibles dans des espaces publics médiatiques mainstream, de quels espaces publics médiatiques mainstream parle-t-on ? Des comptes d’information sur les réseaux sociaux tels que Brut, Konbini, Period ou encore FranceTV Slash ? Par ailleurs, cette présence au sein d’espaces publics médiatiques mainstream ne serait pas une sorte d’aide pour ces groupes minoritaires afin que ces derniers soient plus médiatisés et que leur parole ait un plus grand impact ?
Votre troisième partie est très bien construite, et pose des bases très claires pour le lecteur. Comme l’article dans sa totalité, il démontre une volonté d’explorer en profondeur les différentes facettes du débat médiatique. Cette analyse est perceptible à travers l’examen détaillé des interactions entre les invités et les auditeurs, ainsi que la critique de la sélection des témoignages avant leur diffusion à l’antenne. Cette partie souligne l’importance du dispositif médiatique dans la mise en avant de certains points de vue et dans la façon dont les discussions sont orientées. Cette approche approfondie met en lumière l’influence potentielle des médias sur la direction et l’ampleur des débats, ce qui enrichit la compréhension du lecteur sur les enjeux du pluralisme médiatique.
La critique de la sélection des témoignages en amont de leur passage à l’antenne est très pertinente, car elle souligne l’influence potentielle des médias sur l’orientation et la portée des discussions. Vous soulignez comment cette sélection peut influencer la représentation des opinions dans le débat public. Par exemple, en mettant en évidence le fait que les premières interventions s’adressent principalement à Alice Coffin, l’article illustre comment cela peut biaiser la perception des auditeurs et favoriser une certaine perspective. Cette analyse met en lumière l’importance de la transparence et de l’équité dans la sélection des témoignages pour garantir un débat pluraliste et équilibré.
De plus, vous démontrez une compréhension profonde des nuances du débat en mettant en lumière les tensions mutuelles entre les intervenants et les réactions diverses des auditeurs, de manière claire mais complexe. Par exemple, quand vous soulignez comment les propos d’Alice Coffin sont perçus différemment par les auditeurs, y compris ceux qui se considèrent féministes. Cela reflète une volonté de ne pas simplifier exagérément des questions complexes et d’embrasser la diversité des perspectives. C’est cela, qui offre une analyse plus riche et nuancée du débat, permettant au lecteur d’appréhender pleinement les dynamiques en jeu.
En outre, concernant la méthodologie, il aurait été plus efficace de construire une seule conclusion, au lieu de faire deux paragraphes qui commencent par “ Pour conclure ” puis par “ Pour finir ”, qui ne sont pas exactement des conclusions mais qui viennent parfois rajouter des informations, ce qui nous semble un peu confus. Bien que, votre dernière phrase résume très bien l’idée que vous voulez faire passer: “ La présence des deux invité.e.s est le reflet, bien que binaire, d’une société divisée entre deux dynamiques. À l’image de l’éternel débat entre la droite et la gauche, le débat public peu à peu se dote de nuances et vient enrichir, à travers les médias, le savoir de l’agenda politique. ” Tout de même, il nous semble que votre démarche face à cet article a été tout à fait rigoureuse et a répondu aux consignes.
Au plaisir de lire votre réponse à notre commentaire !
Iris, Sarah et Clara
Merci à vous trois pour votre commentaire très riche, nous allons tenter d’y répondre de la façon la plus complète possible également !
Effectivement il est pertinent de préciser le dispositif mis en place dans cette émission dont l’horaire et la durée que vous avez mentionnés. Nous ne l’avons pas fait dans un premier temps par souci de concision, mais nous rajouterons ici que l’enjeu de l’heure de diffusion est capital dans un média, surtout pour un média comme France Inter. L’émission matinale de Léa Salamé et Nicolas Demorand a une place très importante dans l’espace médiatique puisqu’elle regroupe chaque matin plus de 4,7 millions de spectateur.rices (Médiamétrie EAR National, octobre 2023). Par ailleurs, c’est cette grande écoute qui permet la mise en place d’un dispositif comme celui-ci, donnant la parole aux auditeur.rices. Les invité.es choisis sont issu.es donc à la fois d’une ligne éditoriale cherchant la pluralité des opinions, mais aussi (et surtout) une recherche de réaction, voire de polémiques. Pour finir sur ce point, le dispositif radiophonique et l’heure de diffusion s’adresse majoritairement à une audience plus âgée, 63% des auditeur.rices de France Inter ont plus de 50 ans. Un public qui, à première vue, semble très intéressé par ces nouvelles terminologies et le grand débat sur la place des « Wokes » en France.
De plus, vous avez également soulevé la question de la théâtralisation des débats dans l’espace public, notamment par les journalistes. Concernant les travaux cités de Marshall McLuhan, nous pensons que la mise en place de ce débat rentre plutôt en opposition avec sa vision des médias. Ici l’objectif est la discussion, ou du moins un semblant de discussion, qui permettrait justement à des individualités de s’exprimer et de se confronter. La possibilité d’un débat comme celui-ci sur un média public rentrerait plutôt dans ce que Arendt considère comme l’aboutissement politique de notre société, avec une contribution à la mémoire collective par l’opposition de point de vue ancrés dans une temporalité. Cependant, il est pertinent de parler de cette modélisation de la pensée qui ici se manifeste par une caractérisation très forte des deux invité.es. Alice Coffin est présentée comme une militante féministe radicale tandis que Brice Couturier reste plus “vieille école”.
En ce qui concerne la part des femmes à l’antenne, elle s’approche doucement de la parité. Elle représentait 43% en 2021, dont 45% à la télévision et 42% à la radio (INA, « A la télévision, on voit davantage les femmes qu’on ne les entend », mars 2022). Nous n’avons pas jugé pertinent d’ajouter ces chiffres à notre article car malheureusement ils n’induisent pas nécessairement un réel changement des mentalités puisque, comme le souligne l’INA, les prises de paroles et les termes abordés restent « toujours très genres », avec une sous-représentation des femmes dans les émissions sportives par exemple (20%). De plus, une présence à l’antenne ne veut malheureusement pas dire expression paritaire, puisqu’en 2023 le taux de parole des femmes était de seulement 34% selon l’Arcom (rapport du 5 mars 2024).
Avant de répondre à votre question sur les espaces médiatiques publics nous aimerions préciser que nous n’avons pas eu la même lecture que la vôtre du discours d’Alice Coffin à ce propos. Nous pensons au contraire qu’Alice Coffin tente de retranscrire l’idée que les groupes minoritaires prennent enfin la parole avec des discours allant parfois en opposition avec les discours dominants qui ont longtemps pris tout l’espace médiatique. Il est bien sûr difficile d’affirmer une compréhension du sous-texte d’Alice Coffin, mais par « mainstream » nous comprenons qu’elle parle ici des médias les plus écoutés, les chaînes de télévision et radios publiques, les journaux traditionnels (Le Monde, Le Parisien, Le Figaro…). Selon Alice Coffin, ce qui dérange les détracteurs de ces minorités, ici incarnés par Brice Couturier, c’est que la « part du gâteau » offerte aux minorités est de plus en plus importante, et que ces groupes gagnent en visibilité dans l’espace public, offrant donc des discours différents.
Pour finir, nous vous remercions pour tous les commentaires apportés à la fois sur le fond et la forme et espérons que vous avez apprécié lire notre article !
Léa, Manon et Valentine