La récente et très médiatisée confrontation entre Sandrine Rousseau et Christine Angot, nous a poussé à nous poser une question simple : y a-t-il une différence de traitement entre les écrivains et les écrivaines dans l’émission On n’est pas Couché présenté par Laurent Ruquier ?
Pour répondre à cette question, nous avons commencé par observer la présence quantitative des écrivaines dans le talkshow sur deux mois : de janvier 2017 à février 2017, soit juste avant le début des élections présidentielles. La différence de proportion est frappante : sur huit émissions, une ne comprend aucun membre féminin et dans l’émission que nous avons choisi, seulement trois écrivaines sont présentées : Mazarine Pingeot, Claude Sarraute et Nina Léger. Il apparait une sorte de « numerus clausus » des personnalités féminines au sein de cette émission.
En visionnant tous les extraits des autrices intervenantes, l’un d’entre eux a particulièrement attiré notre attention et nous a paru être un cas idéal à étudier pour tenter de répondre à notre question.
Le 21 janvier 2017, Nina Léger, jeune écrivaine, est invitée pour défendre son second livre, « Mise en Pièce ». Le sujet est déjà sensible, il parle de la sexualité d’une femme passionnée par la physionomie des sexes masculins. Sexes qu’elle observe, scrute et conserve dans ce qu’elle appelle un « palais des mémoires ». Sa passion la mène donc à côtoyer un grand nombre d’hommes, ce de manière très intime.
Ce dernier point semble être délicat à traiter pour le présentateur Laurent Ruquier, on observe par ailleurs lors de la première présentation du roman en quelques mots de l’autrice, des marques de stigmatisation envers la sexualisation des femmes.
En effet, au gré de ses dires, Nina Léger livre un roman traversé par un certain militantisme paraissant résolument féministe. Elle refuse par exemple le terme « nymphomane », parle de la fragmentation du corps féminin dans la publicité. Il va s’en dire, que ce sujet, qui rarement abordé à la télévision, semble être vecteur de débat.
Pourtant, cette séquence de télévision n’illustre que des scènes d’infantilisation de l’autrice. On se demandera si cette infantilisation, appuyée par un montage qui va dans ce sens, est dû uniquement à son jeune âge (28 ans lors de l’émission) ou à sa seule condition de femme, ou encore si ces deux états de faits ont pesé avec complémentarité dans le traitement auquel Nina Léger a pu bénéficié. Par l’infantilisation de l’intervenante, nous assistons dans ces séquences à une dégradation du débat public. La question étant de savoir si son traitement durant cette émission résulte du fait que l’autrice est jeune et, ou de son statut féminin ou seulement d’une volonté mercantile de garder l’attention du spectateur active en coupant la parole, en coupant l’image ?
Pour y répondre, nous nous baserons sur tous les passages de Nina Léger à l’écran, au nombre de quatre : sa présentation par Laurent Ruquier, sa première prise de parole, le résumé de son livre par l’animateur principal, sa seconde prise de parole face à la critique des deux chroniqueurs Christine Angot et Yann Moix.
– L’attitude des chroniqueurs face à Nina Léger, l’infantilisation
Pour ce qui est de l’infantilisation, tout commence dès la première présentation faite sur Nina Léger. Très rapidement, on assiste à un étiquetage de l’autrice par Laurent Ruquier qui ne cesse de souligner par des réflexions ponctuelles, son « jeune âge ». Il expose qu’elle est « jeune », que c’est « sa première émission ONPC », qu’elle n’a écrit « que deux livres ». Puis Laurent Ruquier tient les propos suivants en s’adressant à Pascal Demolon, un habitué du talkshow : « J‘ai mis Nina à côté de vous, vous êtes un habitué, comme ça vous pourrez lui tenir la main. ».
Il joue également sur l’inquiétude qu’elle doit avoir lorsqu’il évoque la future confrontation qu’elle aura avec Yann Moix, il lui demande « si elle n’a pas peur. » Lorsqu’elle répond, il répète ses propos avec une voix conciliante et douce et lorsqu’il s’adresse à elle ou qu’il l’évoque, il se permet de l’appeler par son prénom. La comparaison est visible puisqu’il ne se le permet qu’avec les habitués de l’émission comme M. Demolon, Claude Sarraute et/ou ses chroniqueurs. Lorsqu’il accueille de nouveaux invités comme Thierry Frémaux, ce dernier a le droit à une formule plus soutenue et formelle de « Monsieur Frémaux ».
Tout au long du programme, Nina Léger se verra caractériser par l’évocation de son jeune âge. Même lors de la critique très négative que fait Yann Moix de son livre, ce dernier s’excuse : « je n’ai rien contre vous (…) vous êtes une jeune autrice (…) une personne aimable… »
Cela peut donner l’impression d’un traitement de faveur, traitement de faveur qui étouffe le débat puisque Laurent Ruquier se fait une mission de protéger l’écrivaine, lui coupant parfois la parole : « vous inquiétez pas Nina, nous on a aimé, ça fait quand même deux sur trois. »
Lorsque son intervention est terminée, Nina Léger ne peut qu’exprimer son soulagement : « C’est bon, c’est fini ? » glisse-t-elle à la fin de sa dernière intervention, hors caméra. Son agacement est d’autant plus visible dans sa gestuelle et son sourire figé, voir presque crispé. On pense ici aux Tyrannies de l’Intimité de Richard Sennett (1975), Nina Léger veut (doit) garder la face face à ces caméras qui la scrutent et assistent à un traitement de faveur qui paraît souvent étouffer le débat.
Alors qu’elle trahit parfois son agacement (notamment lorsqu’on lui offre le Guide du Routard des MST), elle ne peut lui laisser libre court devant respecter les règles du jeu, de l’émission, du « débat » dans la bonne humeur …
– Vers un traitement de faveur. Les motifs exprimés et observés
Lors de cette séquence télévisuelle, il peut sembler aux spectateurs qu’ils assistent à un traitement de faveur de l’invité. Comme mentionné plus haut, Laurent Ruquier la protège lors de l’intervention de Yann Moix. Lui-même s’excuse pour sa mauvaise critique : « Je n’ai rien contre vous. » Répète-t-il.
Alors que Nina Léger lui répond en le « clashant » sévèrement, il veut répondre mais Laurent Ruquier intervient : « on peut lui laisser le dernier mot, non ? »
Ce traitement de faveur semble être justifié par les trois chroniqueurs en raison de sa jeunesse, mais on peut se demander si ce n’est pas également dû à son statut de femme.
On peut également remarquer que les questions qu’on lui pose sur son livre n’en sont pas vraiment, on assiste plus à des affirmations qu’elle affirme à son tour. C’est elle-même qui doit sortir de l’étrange rituel, elle prend la décision de prendre la parole et d’expliquer sans qu’on lui pose la question, les intentions de son ouvrage.
– Le discours de Nina Léger, audible ?
La question se pose dès le début de l’émission. Il est intéressant de remarquer que c’est elle qui force la parole pour développer les intentions subtiles qui se cachent derrière son roman « Mise en Pièce ». Elle dit y vouloir effacer le corps féminin au profit du corps masculin, trop rarement évoqué. Alors que la femme voit régulièrement son corps être fragmenté par la publicité, il dénonce qu’il est en parallèle très rare que cela arrive à la gente masculine. Elle voulait également dé-diaboliser la sexualité féminine, lui porter un regard sans jugement, mettre à mal le terme « nymphomane ». Des causes, en somme, très féministes.
Malheureusement, son appel au débat ne trouve néanmoins point de réponse et laisse place à un présentateur imposant qui récupère la parole, la coupe et insiste sur son talent pour décrire les rues et le métro. « On croirait y être », dit-il.
– Un traitement misogyne ?
Pourquoi penser que Nina Léger a subi un traitement misogyne pendant son passage à ONPC ? Le premier indicateur est celui développé plus haut, l’infantilisation qu’elle a subi. L’infantilisation des femmes est un problème récurrent dans les médias. Pour citer le plus récent exemple et rester dans l’émission ONPC, on peut mettre ce propos en rapport avec l’intervention de Sandrine Rousseau où Yann Moix lui explique que ses talents d’écrivaine sont moindres, qu’il n’a pas ressenti d’émotions lorsqu’il a lu la « scène » consacrée à l’agression sexuelle que cette dernière a vécu, décrite dans son livre Parler.
Le deuxième argument qu’il faut évoquer, c’est la gêne autour du sujet qu’elle aborde dans son livre : la sexualité féminine. D’abord, lorsque Laurent Ruquier résume le roman et parle du personnage principal qui collectionne mentalement des pénis en « provoquant des hommes » comme le répète plusieurs fois M. Ruquier (le terme « provoquer » est déjà problématique puisque péjoratif), il n’utilise pas le pronom « elle » mais « vous » (en référence à Nina Léger). Lorsqu’il s’en rend compte, il se reprend et s’excuse presque : « enfin, pas vous, votre héroïne Jeanne, vous, vous ne faîtes pas ça, j’en suis sûr. Enfin vous ne me le direz pas ici. » Ici la vie sexuelle de l’héroïne du roman devient un sujet de honte, quelque chose à cacher. Il y a un réel jugement de valeur sous-entendu derrière les excuses du chroniqueur lorsqu’il la confond avec le personnage décrit par le roman.
On peut même se demander si ce lapsus n’est pas volontaire de la part du présentateur s’inscrivant dans un comique linéaire, répétitif, déguisant une tentative de provocation ou de déstabilisation de son invité. Si c’est le cas ici, il sous-entend que la sexualité féminine peut-être un sujet de moqueries. Ironiquement, cette manière de traiter le thème est en totale contradiction avec les intentions que l’écrivaine a insufflé dans son livre : la décomplexion de la sexualité féminine.
Puis, finalement, lorsqu’arrive le moment d’ouvrir des cadeaux (animation traditionnelle dans l’émission à cette période), Mme. Léger se voit offrir un guide du routard sur les MST. Une autre infantilisation mais aussi une illustration réductrice de son ouvrage. Cela ne lui plait pas, mais sa réaction n’a visiblement pas été gardée au montage, on observe une coupe.
Le montage ne l’avantage pas non plus et pourrait être un troisième marqueur d’un traitement misogyne. Souvent, lorsqu’elle parle de son livre, elle est montrée en contre-plongée surplombée par un grand écran où sont projetés les visages fermés des chroniqueurs. Lorsqu’elle parle, l’image la fait disparaître et montre le sourire bienveillant de Thierry Frémaux, de M. Demolon, etc. Lorsqu’elle parle de la fragmentation du corps féminin, la caméra se pose en gros plan sur ses mains jointes, serrées, qui paraissent agitées par le trac, comme une illustration involontaire de son propos.
Il faut néanmoins nuancer tous nos constats.
En regardant plusieurs émissions, nous nous sommes rendus compte que les cuts réguliers et rapprochés sont monnaie courante dans ONPC. L’émission, telle qu’elle est diffusée est presque sur-cutée, comme pour attirer l’attention de l’oeil du spectateur. En effet, l’oeil humain contemporain étant soumis à des milliers d’images par jour, cette pléthore d’images devient importante pour conserver l’attention du regard tel qu’il est formaté aujourd’hui. Benjamin, dans l’Oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité, 1955, évoquait déjà ce problème, la perte de l’aura particulière qu’avait l’image avant l’arrivé des moyens techniques permettant sa reproduction infinie.
Le sur-cutage (le plan et la composition de l’image) peut donc être seulement un moyen pour garder le spectateur moderne attentif. Il ne serait alors pas un choix inconsciemment misogyne mais un choix consciemment mercantile ayant pour but de captiver l’audimat.
De plus, Nina Léger parle très lentement et évoque des notions loin d’être évidentes : rien qui ne soit très vendeur pour les logiques actuelles de la télévision. Cela peut expliquer pourquoi Laurent Ruquier la coupe ou parle à sa place, pour garder le rythme dynamique de l’émission, bien que cela dégrade significativement le débat.
Prolongement de l’article, un débat restauré sur twitter ? : ICI
BIBLIOGRAPHIE :
Sylvie Thiéblemont-Dollet, Ni putes, ni soumise : émergence et politisation d’un mouvement de femme dans l’espace public, Espace politique féminin (p 105-120), 2005
Maud Vincent, La dégradation du débat public : le forum de l’émission « On ne peut pas Plaire à Tout le Monde », Hermès 47, (p. 99 – 106), 2007
Richard Sennett, Tyrannies de L’intimité, 1975
Walter Benjamin, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité, 1955
L’article « Nina Léger défend son livre dans ONPC » met en exergue une problématique liée à une supposée différence de traitement entre les écrivains et les écrivaines de la part de l’émission On N’est Pas Couché, présentée par Laurent Ruquier, notamment dans la manière d’aborder les oeuvres et d’intéragir avec ses écrivaines lors de leurs présences sur le plateau. L’auteure âgée de 28 ans, souhaite dé-diaboliser la sexualité féminine, lui porter un regard sans jugement, mettre à mal le terme « nymphomane ». Seulement, les chroniqueurs l’accablent de remarques infantilisantes, et vont à contre courant de cette dé-diabolisation de la sexualité féminine. Ainsi, cet article tente de dégager les intentions des chroniqueurs : sexisme, manque de considération due à sa jeunesse et la volonté mercantile de garder l’attention du spectateur active.
Cette problématique s’inscrit parfaitement dans le débat public actuel. La place occupée par la femme au sein de l’espace public est questionnée. À la recherche de plus d’égalité, lutter contre le sentiment d’insécurité ou encore le harcèlement de rue, ces sujets sont au coeur des préoccupations. L’orchestration mise en place sur le plateau de On N’est Pas Couché ne serait elle pas le reflet de l’espace public, qu’est l’espace urbain actuellement ?
En accord avec cet article, nous voulons apporter un éclairage sur la place de la femme dans la société afin de comprendre ce sexisme et cette infantilisation envers les écrivaines sur ce plateau. Mais nous souhaitons également développer la notion de débat spectacle évoqué par Burger qui n’a pas été étudié dans cet article. Cette notion explique parfaitement cette volonté de la part de la production d’attirer l’attention du spectateur. Ainsi, nous vous proposerons de revenir sur la place de la femme dans l’espace public urbain en tant qu’espace public. Puis nous tenterons de comparer cet espace public urbain à celui de l’émission. Enfin nous reviendrons sur cette notion de « débat spectacle » développé par Burger afin de comprendre les processus mis en oeuvre pour capter l’attention du spectateur.
La place de la femme dans l’espace urbain en tant qu’espace public.
L’espace urbain est accessible à tout le monde de manière générale : hommes, femmes ou encore individus transidentitaires, personnes âgée et personnes plus jeunes ou encore d’origines diverses… tout le monde à un accès libre aux rues, transports en commun, espaces publics. Mais des inégalités sont bien visible, notamment entre les différents de sexes. L’espace urbain joue un rôle dans les rapports sociaux hommes/femmes. Dans cet espace on observe différents rapports de pouvoirs tels que la domination masculine ou encore l’émancipation sexuelle de la femme et ce, de l’espace privé jusqu’à l’espace public régie par les pouvoirs publics.
« Dire la rigidité des assignations de genre et lutter pour l’estomper dans les lieux publics, c’est changer, avec la ville, la vie sociale dans son ensemble. C’est modifier les rapports de force, les rôles sociaux, l’intimité, la vie familiale, les formes de pouvoir. C’est s’inscrire fondamentalement dans un projet politique global et non pas seulement proposer des politiques publiques urbaines. »
Sylvette Denèfle, « La Place des femmes dans la ville : une question politique » 2009.
Pour n’importe quel citoyen il est essentiel d’évoluer librement dans l’espace public. Les féministes post années 1960 revendiquaient l’égalité des droits entre les sexes, puis post 1960, c’est l’autonomie et leur capacité à faire des choix de tout ordre qu’elles défendaient. Certains hommes adoptent encore un comportement de supériorité face aux femmes. Le problème, c’est que pour beaucoup, ces normes sont socialement admises, font parties des moeurs et de ce fait, influencent les comportements et provoquent des rapports de domination entre hommes et femmes.
On N’est Pas Couché, le reflet de l’espace public urbain sexiste?
Le roman « mise en pièce » que présente Nina Léger présente un sujet sensible : il aborde la question de la sexualité d’une femme passionnée par la physionomie des sexes masculins. L’héroïne développe une attirance particulière à l’observation de ces sexes, qu’elle scrute et qu’elle conserve dans son « palais des mémoires ». Elle rencontre ainsi, de manière très intime, un grand nombre d’hommes. Nina Léger affirme vouloir effacer le corps féminin au profit du corps masculin, trop rarement évoqué. Alors qu’elle fait la constatation que le corps de la femme dans l’espace public est fragmenté par la publicité, elle dénonce dans son livre qu’il est en parallèle très rare que cela arrive à la gente masculine. Des causes, en somme, très féministes qui reflète la place de la femme dominée par la gente masculine au sein de l’espace public et urbain. Ainsi, alors que son oeuvre s’oppose à cette société sexiste qui rejette une égalité homme femme parfaite, l’émission On N’est Pas Couché et ses chroniqueurs ne vont qu’appuyer cette constatation.
L’article « Nina Léger défend son livre dans ONPC » révèle divers interventions, comportements et faits, attentions ou traitements infantilisants ou encore misogynes à l’égard de l’auteure. Rappelons ainsi la gène de Laurent Ruquier face au sujet qu’elle aborde dans son livre qui n’est d’autre que la sexualité féminine. Ce dernier, qui nommera son invité par son prénom, au contraire de ses habitudes, ne va pouvoir s’empêcher d’assimiler la vie sexuelle de l’auteure a celle du personnage fictif en précisant qu’il est bien question d’une fiction. Un jugement de valeur de la sexualité du personnage, qui aurait pu être assimilé à celle de l’auteur, se dissimule très clairement. Se cachant derrière l’humour, ce lapsus laisse présager une volonté de provocation de la part du présentateur et se moque en quelque sorte de la sexualité féminine, dans ce cas bien trop décomplexée. Seulement, son action s’oppose complètement à ce que Nina Léger critique dans son ouvrage. Mais c’est tout au long de l’interview que Laurent Ruquier va se placer dans une position de supériorité et surtout surprotectrice avec la jeune auteure dont le roman est propice au débat de part son sujet. Le présentateur se place ainsi lui même dans une démarche quelque peu misogyne, se cachant derrière l’éloge de son livre.
Cependant, la chroniqueuse Vanessa Burggraff va quand a elle faire l’éloge de son livre, soutenu par Laurent Ruquier. Néanmoins, c’est bien évidemment la seule femme, chroniqueuse, du plateau qui va porter ce rôle. On a l’impression d’assister à une certaine forme de « girl-power », afin de rassurer avant le tornade Moix qui ne va pas peser ses mots.
L’émission “On N’est Pas Couché”, dans cet extrait pose problème. Pour une émission d’opinion public, propice au débat, dont le but est d’instruire et d’ouvrir les consciences des téléspectateurs, cette dernière ne reflète finalement que l’espace public actuel : la domination de la femme par les hommes, la sous considération et le manque de respect ainsi que la stigmatisation de la sexualité féminine.
La notion de « débat spectacle » développé par Burger : des processus mis en oeuvre pour capter l’attention du spectateur.
Lorsque Yann Moix intervient enfin, son attitude est désinvolte et ses propos extrêmement critiques et personnels. Après avoir précisé « je n’ai rien contre vous et sans doute vous écrirez un livre qui me plaira », comme pour se dédouaner de ses propos, il va alors établir un argumentaire très critique, à la limite de l’agressif en jugeant son oeuvre de « catastrophique » et de « tellement vieux ». Il fait part de l’ennui absolu qui l’a accompagné du début à la fin de son livre. Enfin, il affirme en citant les mots du livre « qu’on y entre et qu’on puisse s’y livrer au plus grand désordre, à l’intimité la plus tendre et aux obscénités les plus crues. » que l’auteure qualifie le sexe d’obscène. Nina Léger est embarrassé face au détournement de ses propos.
Une fois de plus, suite à divers visionnages d’émissions, Yann Moix reprend ce rôle du « méchant » celui qui critique et qui cherche à irriter l’invité, à le sortir de sa zone de confort et à le déstabiliser. Ainsi, la question que nous nous posons est la suivante : l’émission ne serait elle pas organisée autour de la mise en scène et du spectacle ? Dégrader l’espace public primerait-il sur l’envie de proposer un débat raisonné et enrichissant et de faire avancer les mentalités des téléspectateurs sur des questions de société essentiel pour le bien être de cette dernière ?
D’après Marcel Burger, spécialiste de la communication et de l’analyse des discours des médias, c’est un véritable “débat-spectacle” auquel nous assistons. Les débats-spectacles visent à divertir et à fidéliser les téléspectateurs considérés comme des consommateurs d’informations.
Bien que On N’est Pas Couché soit une émission de débat, d’intérêt général, voulant faire réfléchir des téléspectateurs considérés comme citoyens, la mise en scène de l’émission et la manière dont Moix accable l’invité qui se retrouve déstabilisé et sans réponse à ses arguments, démontre cette notion de mise en scène, de spectacle et surtout la visée commerciale de ce média d’information qui prime sur sa visée civique.
Camille Deberdt
Ellie Cote-Colisson
Gonzalo Pantoja
Dans leur commentaire de notre article « Nina Léger défend son livre dans On n’est Pas Couché », Camille Deberdt, Ellie Cote-Colisson et Gonzalo Pantoja extendaient nos observations sur le traitement de Nina Léger dans l’émission à un débat de société très actuel : la place des femmes dans l’espace public. Ils ont pointé des similitudes entre la manière dont les femmes sont vues et traitées dans l’espace public ainsi que la manière dont elles le sont sur les plateaux télévisuels. Ils placent l’émission en simple reflet de la société telle qu’elle est pensée par cliché, répétant bêtement quelques mécanismes de domination verbale, d’infantilisation, de dénomination par un prénom, de répétitions des dires avec une voix suave.
Ils ont aussi tenu à revenir sur la notion de débat-spectacle de Marcel Burger. Ce point aurait en effet pu être évoqué dans notre article, puisque l’attitude des chroniqueurs poussent Nina Léger hors de ses gonds à la fin de l’émission. Nous le développerons ici.
Nina Léger se tourne vers l’attaque, certainement lassée du traitement de son livre sur le plateau. Rappelons tout de même que plusieurs marques d’agacement se sont laissées voir sur le visage de l’invité tout au cours de l’émission.
Lors de sa dernière prise de parole dans l’émission, Nina Léger coupe finalement Laurent Ruquier après avoir posé pour la troisième fois consécutive la question portant sur « la description des rues. » Elle se tourne alors vers Yann Moix qui alors s’est permis juste avant de taxer violemment (procédure habituelle de ce dernier) sa vision de la sexualité de « vieille », archaïque et lui dit :
« Attendez, parce que j’aimerai revenir sur un point. Vous voyez, vous avez cité George Bataille plus tôt. Aussi je crois que c’est votre vision de la sexualité qui est vielle, pas la mienne. »
Laurent Ruquier s’extasie et coupe directement court à l’élan de bravoure : « Ouh, elle a mit du temps à répondre mais voilà qui est fait, Allez, Yann, on lui laisse le dernier mot. »
C’est sur cette dernière phrase que nous restons perplexes, elle ne fera qu’alimenter notre hésitation et nos soupçons. Assistons-nous en ces lieux à un traitement misogyne ou un besoin de débat spectacle ? Cette question est alors selon nous plus ou moins éclairée.
A l’égard de cette confrontation, l’émission semble avoir recherché en priorité le fameux débat spectacle. Laurent Ruquier en tentant de calmer le jeu, infantilise une dernière fois son invité. Il demande à Yann de bien vouloir lui faire la faveur de la laisser gagner, se positionnant tel un juge sur cet espace aux allures de tribunal. Après tout elle s’en sort bien pour une première fois. On assiste là à l’essai de la mise en place d’un débat spectacle tendant fortement à la misogynie : on aide la femme à s’en sortir et gagner la joute verbale.
En effet, le montage de la séquence souligne cela. Il se focalise d’abord Yann Moix qui paraît baffouiller et prêt à contre-attaquer, véritablement heurté par les propos, puis directement Laurent Ruquier et les autres chroniqueurs. Il n’y aura pas d’image de Nina qui pourrait pourtant à ce moment-là exprimer de la fierté, qu’on pourrait montrer comme forte de personnalité. On ne lui donne pas ce moment de télévision, il lui est résolument volé par le montage.
Nous ne pensons pas que Laurent Ruquier soit foncièrement et consciemment misogyne (ce de quoi nous doutons pour Yann Moix). Le chroniqueur vedette de l’émission répète simplement des schémas intériorisés, répète des mécanismes pointés du doigt par les féministes mais acceptés dans la société.
Comme l’expose le commentaire cette émission, il devrait être une émission de débat. Ses intentions sont louables puisque le débat devrait consolider une démocratie réelle. Mais pour qu’un débat soit vraiment débat, il faut des intervenants avec une vision différente, des intervenants qui parlent d’autre chose que de sens-commun ou de leur vie privée. C’est ce que Nina Léger a fait dans l’émission en pointant du doigt des notions pointues mais primordiales du féminisme actuel. Elle ne trouvera en face d’elle aucune réponse, aucune opposition mais des arguments à côté de ce qu’elle voulait défendre. Coupée, aucune des notions qu’elle aborde ne sont expliquées et développées.
C’est ici que nous rejoignons complètement la conclusion de nos camardes : ONPC est un débat à visée commerciale plus qu’un débat à visée civique.
Dans les commentaires de Yann Moix faits à l’œuvre, on peut également dénoncer une autre faille de l’émission. Lorsqu’il critique le livre de Nina Léger, il est très évident qu’il ne s’est pas réellement penché dessus. Il singe une vieille technique de journaliste littéraire consistant à extraire du livre, une citation et d’y baser sa chronique. Tout son argumentaire pour démonter le livre tient sur une citation où le mot « obscène » ressort, réduisant totalement le propos que tente de défendre Nina Léger dans son livre. Il argumente alors que penser le « sexe obscène » est quelque chose que l’on faisait dans une époque reculée.
Lorsque Nina Léger démonte son faible argumentaire, arguant qu’il n’y a rien à répondre puisque ce n’est pas le propos de son livre et que la citation seule est détournée de son sens, il ne sait plus quoi répondre.
Les chroniqueurs de l’émission doivent au minimum lire trois livres par semaine. Il est donc évident qu’ils ne peuvent pas préparer un sujet décent, percutant, intéressant à l’allure où ils doivent enchaîner les ouvrages. Si Yann Moix avait réellement lu le livre de Nina Léger, aurait-il pu offrir au débat une vraie critique littéraire ? Aurait-il vu les intentions féministes de l’oeuvre ?
Ainsi nous pensons que la dimension commerciale de l’émission est le principal vecteur de dégradation de leur débat. Les journalistes n’ont pas le temps de s’y pencher et délivrer un point de vue différent de la doxa général. Ils ne peuvent pas changer de prisme pour préparer des sujets plus aboutis.
Ce n’est pas ici les défendre que d’évoquer le timing que les journalistes doivent toujours respecter. C’est pointer du doigt les défauts criants du système médiatique actuel.
Hoff Léonie
Long Nguyen Laura