Le 11 novembre 2017, l’émission « Salut les terriens ! », animée par Thierry Ardisson invite le Youtubeur Squeezie, principalement connu pour ses vidéos sur les jeux vidéo. S’en suit un face-à-face qui rend compte d’une incompréhension notable entre l’animateur et le Youtubeur et qui suscitera beaucoup de réactions sur internet, notamment sur le réseau social Twitter. C’est le choc entre deux positions représentant deux générations, deux « cultures »: tout d’abord celle de Thierry Ardisson qui représente le média de la télévision avec une audience d’en moyenne cinquante ans, peu au faits des codes et des pratiques sur les réseaux sociaux. Et ensuite, celle de Squeezie, suivi par les millennials, adeptes de Youtube et très présents sur internet et les réseaux sociaux. C’est autour de ce choc des générations que nous orienterons notre réflexion. Alors que l’arrivée des TIC ont complètement révolutionné le paysage médiatique français à partir des années 1980 avec une vitesse surprenante et jamais vue, on ne peut que se questionner sur l’opposition de ces deux générations. Il s’agit ici de voir comment les internautes se sont appropriés Twitter pour s’exprimer et quelles sont les limites de cette plateforme. Twitter, au centre des débats et des questionnements sur l’espace public est représentatif de cette révolution que nous souhaitons étudier. Alors en quoi Twitter est-il révélateur d’un choc des générations en France .
Le débat sur twitter au service d’une fracture générationnelle ?
Pour commencer, il semble important de s’interroger sur l’objet analysé, à savoir Twitter. Dans Comment articuler analyses des réseaux et discours sur Twitter, Nikos Smyrnaios et Pierre Ratinaud rappellent que Twitter est une plateforme de diffusion publique, dont les contenus sont également (quasiment) tous publics. Ce sont les publications de ses usagers qui participent à l’animation du site. Twitter se révèle alors être un terrain d’étude adapté aux recherches sur l’espace public qu’est internet, ainsi que sur la manière dont s’articule le débat au sein de ce même espace.
Cependant, il semble peu évident d’établir des généralités à partir des observations effectuées sur Twitter. Difficile de constituer des échantillons, d’identifier des tendances.
Et pour cause. La visibilité de certains usagers peut être augmentée grâce aux algorithmes et aux hashtags, ce qui complique le recensement des tweets ainsi que l’évaluation des tendances. De surcroît, tout le monde ne possède pas un compte Twitter. Selon le dernier rapport Médiamétrie, publié en mai 2017, 21,8 millions de français utilisent Twitter mensuellement. Les jeunes sont surreprésentés, puisque la moitié des internautes ont entre 25 et 49 ans, les catégories socio-professionnelles favorisées représentant 34% du total d’utilisateurs.
En parallèle, l’âge moyen des téléspectateurs est d’environ 50 ans. Quant au débat télévisé dont il est question, certaines personnes précisent sur Twitter qu’elles l’ont regardé car Squeezie était présent. Elles ne suivent pas l’émission mais le parcours de leur leader. Notons que le fait-même de se justifier quant au choix d’allumer son téléviseur est révélateur de préférences en matière de consommation des TIC. Les jeunes regardent en effet beaucoup moins la télévision que leurs parents, qui seraient – selon le chercheur Marc Prensky – des « migrants » du numérique et dont on constate un illectronisme de leur part : une incapacité (relative) à comprendre et à utiliser les plateformes numériques.
Au vu de ces constatations, il paraît évident que les éléments analysés sur Twitter ne correspondront ni à une majorité, ni au plus grand nombre. De plus, si la majorité (nous irons même jusqu’à dire : la quasi-totalité) des personnes ayant tweeté au sujet de l’émission a soutenu la cause de Squeezie, c’est parce qu’elle fait partie de sa génération. En tant que « native » (Prensky) du numérique, cette génération possède ses propres codes et s’entraide, au détriment d’un lien social inter-générationnel déchiré, accentué par ces nouvelles pratiques. Par conséquent, le débat instauré sur Twitter sera conditionné par cette fracture générationnelle.
Twitter, lieu de spontanéité ou sujet aux « leaders d’opinion » ?
Il est généralement accepté que les médias sociaux avantagent la construction d’espaces publics démocratiques en ce qu’ils permettent à tout un chacun de s’exprimer dès qu’il le souhaite sur un sujet public. De nombreux utilisateurs de Twitter ont ainsi pu réagir aux propos d’Ardisson dans cette émission. La question du moment d’expression des utilisateurs va nous intéresser tout particulièrement afin d’étudier la réelle spontanéité de ces réactions.
Lors de la première diffusion, une soixantaine de tweets ont réagi aux attaques du présentateur, s’indignant de l’incompréhension du milieu télévisuel et de la condescendance d’Ardisson envers le monde de YouTube et sa communauté.
On peut ainsi lire « Bon alors Ardisson, tu vas te calmer dans ta condescendance les gens qui regardent @xSqueeZie sont pas que des gamins, immatures, incultes, et inintéressés de toute forme de savoir. Ce n’est d’ailleurs pas franchement dépeindre correctement le travail que fournit Squeezie…. » Héloïse-Songbird, le 2017-11-11 à 20:24:58
ou encore « @xSqueeZie je sais pas ce que tu fou dans « SLT » sur C8, ce connard de Thierry Ardisson n’est pas là pour t’interviewer, il est là pour te rabaisser et balancer une tonne de clichés sur les Youtubers. (…) » Angie, le 2017-11-11 à 20:30:01.
S’il s’est avéré que les réactions sur Twitter n’étaient pas si nombreuses lors de la 1ère diffusion de l’émission, elles se sont en revanche multipliées par milliers lors de sa diffusion en replay le 14 Novembre 2017. On dénombre pas loin de 15000 tweets concernant le passage de Squeezie, pour beaucoup ressemblant à ceux du 11 Novembre. Il est néanmoins intéressant de noter qu’une grande partie de ces réactions sont composées de retweets ou de tweets, réagissant à ceux de deux Youtubeurs, DirtyBiology et François Teurel, révélant alors l’existence de potentiels leaders d’opinions dans la twittosphère.
Le tweet de DirtyBiology énonçait « Cet extrait « T’es qui toi » m’a donné 2 envies : suivre le twitter de @xSqueezie et aller péter des télés à la batte.» en référence à l’extrait de l’émission concernant l’interview de Squeezie qui tournait sur Twitter. C’est la réaction ayant récolté le plus de « RT », permettant aux utilisateurs de montrer rapidement leur soutient à Squeezie.
Julien Boyadjian dans son ouvrage Twitter, un nouveau baromètre de l’opinion publique ? s’interroge sur la présence de leaders d’opinions sur ce réseau. Il énonce que « les études les études d’opinion sur Twitter ont mobilisé les théories du two step flow of communication (…) de P. Lazarsfeld et E. Katz » selon lesquelles « l’influence des médias se ferait en deux temps : d’abord des médias vers les leaders d’opinion, puis des leaders d’opinion vers leur entourage immédiat au sein de groupes primaires ».
Les leaders d’opinion étant les Youtubeurs et les récepteurs leur communauté tweeter, l’on peut alors questionner la spontanéité des tweets lorsque la majorité des téléspectateurs de l’émission réagissent pour l’essentiel, après avoir vu la prise de position de « leaders ».
Il est donc essentiel, dans le cadre d’une étude d’opinion publique Twitter, de rechercher et de prendre en compte le cas échéant les éventuelles réactions de personnes que l’on pourrait considérer comme étant des leadeurs d’opinion. La twittosphère ne serait donc pas forcément l’outil démocratique par excellence en tant que porte parole de l’opinion publique.
Les réactions sur Twitter montrent-elles que Twitter est un espace public de débat?
Les réactions des internautes sur Twitter permettent de donner voix au public afin qu’il réagisse et qu’il défende ses opinions sur les pratiques des jeunes et la culture Gueek. Elle permet de répondre aux propos d’Ardisson, amorçant une possible discussion. Mais peut-on pour autant parler de twitter comme d’un espace public de débat ?
La possibilité de permettre aux internautes de s’exprimer sur Twitter au sujet des émissions de télévision comme celle d’Ardisson laisse penser que cela redonne aux millennials de l’intérêt pour la télévision en permettant un échange, une interaction et donc un débat. Twitter serait donc un outil permettant le débat dans l’espace public. Cela appuie le propos de Nancy Fraser quand elle soutient qu’internet et les réseaux sociaux permettent de fragmenter l’espace public et de créer des « communautés » en réponse à l’exclusion de certains groupes, et donc, de donner la parole a des gens qui ne l’auraient pas sinon. Il est vrai que les internautes se sont exprimés suite à l’émission, chose qui aurait été plus difficile avant l’arrivée de twitter et des réseaux sociaux. Cependant, le débat reste très limité.
Dans l’émission de Salut les terriens du 18 novembre 2018 qui suit celle dudit face à face, l’animateur, qui n’a pas de compte twitter, répond à ses détracteurs par un doigt d’honneur et leur reproche de ne pas avoir su saisir le second degré. Les personnes présentes sur le plateau le soutiennent, créant donc une groupe représentant « la pensée à la télévision ». Ce sera la seule réponse de Thierry Ardisson aux critiques, comme pour conclure un débat qui n’aura jamais vraiment commencé.
Lorsque l’on regarde les tweets du 18 novembre 2017, juste après le geste d’Ardisson, on note que la quasi-totalité des tweets est encore favorable à Squeezie. Ils désapprouvent le geste de Thierry Ardisson et félicitent le youtubeur pour son livre sorti le même jour. Souvent, ils font le lien entre les deux événements: « Juste pour désapprouver les préjugés d’Ardisson envers toi, je vais acheter ce livre… […] » twitte Marie Neda Rose1 le 2017-11-18 à 00:41:44. On voit donc qu’il n’y a pas d’interaction et encore une fois, la position est presque unanime et négative envers Ardisson. Twitter est-il donc un espace public au sens de Habermas, c’est-à-dire multidirectionnel où se passent l’interaction, l’échange la conversation ? Il serait difficile de répondre positivement.
Le débat public dans les médias est confronté à ce choc des générations alors que les interfaces utilisées ne sont pas les mêmes selon l’âge des individus. Dans le cas des réactions à cette émission, on assiste à la formation d’une pensée dominante propre à Twitter et une autre propre à la télévision mais les deux pensées ne se rencontrent pas, ne permettant pas le débat. Il n’y a pas d’argument, pas de contre-argument. Les bienfaits de la fragmentation soutenue par Nancy Fraser sont donc questionnés. Au contraire, cette fragmentation empêcherait la création d’une espace public commun et conduirait à des débats enflammés qui fragmentent l’espace public à son tour. (Cass Sunstein, « République 2.0 »)
Cette émission est donc un terrain pour se questionner sur la présence d’un débat et d’un espace public sur le réseau social Twitter. La plateforme montre la création d’un semblant d’espace public de débat en donnant la parole aux internautes. Mais la fracture générationnelle est telle que le débat a très vite été limité.
Twitter est donc largement dépeint comme étant une plateforme permettant d’améliorer la démocratie en ce qu’elle permet aux utilisateurs de s’exprimer librement et à tout moment sur n’importe quel sujet qui leur tient à coeur. Cependant, à la lumière de l’analyse de l’émission « Salut les Terriens » du 11 Novembre, la jeune moyenne d’âge des utilisateurs de twitter, la discutable spontanéité des ces derniers et la question de la réelle existence d’un débat public sur la plateforme nous permettent éventuellement de remettre en cause l’utopie d’Internet comme avènement démocratique.
Marine Bigedain, Margot Fuchs, Louisa Traullé-Lambelain
Dans l’article ci-dessus semble apparaitre une remise en question de Twitter comme espace public de débat. S’il y a un véritable débat au sein de l’émission entre Squeezie et Thierry Ardisson, on peut se poser la question concernant les interactions sur Twitter. Si on se réfère à la définition de Véronique Klauber : « Le terme générique « débat » correspond à̀ une série de genres poétiques dialogues que les trouvères et les troubadours cultivaient depuis le début du XIIe siècle. (…) Le répertoire des questions débattues est relativement restreint, car il ne s’agit pas d’apporter la solution à un problème, mais de susciter une joute verbale […] Que le débat soit didactique ou parodique ou qu’il relève de la casuistique courtoise, la fonction ludique l’emporte toujours sur la recherche de vérité́. », le terme débat ne parait pas adapté au cadre de Twitter.
On peut éventuellement parler de « monologue interactif », terme employé par le sociologue Michael Dumoulin : ce sont surtout des prises de parole individuelle où chacun exprime son opinion, sans vraiment d’interactivité et sans argumentation. Malgré de nombreux retweets et commentaires, les interactions sont très autocentrées sur les utilisateurs eux-mêmes. Comme l’explique Patrice Flichy, « Le débat ne tend pas vers l’élaboration d’une position commune, mais plutôt vers une multiplication de points de vue contradictoires ». Chacun peut donner son avis mais personne ne lit réellement celui des autres.
@Ooonerixxx : « Il vous a fallu tout ce temps pour vous rendre compte que Ardisson est un sale con prétentieux »
@Fabienne765, 15/11/17 : « Ardisson pauvre merde, il a la mémoire courte ! Plutôt que de souligner de l’audace ile démolit honte à lui »
De plus, l’argumentation sur Twitter est elle-même limitée par le réseau social. Avec seulement 140 caractères, la possibilité pour ses utilisateurs de développer une argumentation se voit freinée. De ce fait, pour aller plus vite, on privilégie parfois les injures et les attaques plus que la réflexion. Peut-être que le nombre de caractère limité serait éventuellement l’un des éléments qui rend le débat difficile.
Un espace public a besoin, lors d’un débat, de cadrage afin de mener à bien une conversation structurée, sans quoi une forme d’anarchie peut s’installer. D’autant plus que comme l’explique l’article, le public sur Twitter est assez jeune, mais les abonnés de Squeezie le sont encore plus. De ce fait, en plus des insultes que l’on y retrouve très régulièrement (Twitter ne prévoyant aucune forme de censure), certains réagissent avec des grossièretés qui n’ont que peu de rapport avec le débat survenu dans l’émission.
@ReFx, 17/11/17 : « Le mec il veut sucé pour pouvoir + persé mddr »
@JeanPau2, 12/11/17 : « YOUTUBE C’EST DE LA MERDE »
@BorkowskiAlex, 17/11/17 : « C est toi le branleur ardisson d’ailleurs tu arrives même plus a te branler »
Il est également important de prendre en considération que Twitter est une sphère de subjectivité où le débat est à prendre avec précaution. Comme l’écrit Flichy dans Internet et le débat démocratique « On peut considérer qu’Internet favorise le débat public. Mais il s’agit d’un débat intentionnel, ces internautes ont décidé de venir spécifiquement sur ses sites ».
La théorie de la « bulle filtrante » de l’essayiste Eli Pariser en 2011 s’appuie sur les algorithmes de Google, mais elle peut être appliquée à Twitter. Elle explique qu’il existe un filtrage invisible des profils et des contenus sur les réseaux sociaux dans les fils d’actualité : un enfermement algorithmique se formerait alors autour de l’utilisateur et le plongerait dans un isolement intellectuel et culturel et favoriserait le manque d’ouverture d’esprit. Ainsi, les partisans de Squeezie concentreraient tous leur avis négatif envers Ardisson car évoluant dans le même univers et composant son « fandom » (un ensemble de fans), ils accordent beaucoup d’attention et de soutien au jeune Youtubeur.
Dans le cas de l’altercation entre Squeezie et Ardisson, il ne faut pas oublier que notre époque est marquée par les influenceurs du web et l’importance de leur communauté. A l’ère digitale, pour une grande partie des internautes leurs leaders d’opinion sont les influenceurs qui ont su s’imposer sur les réseaux sociaux. Squeezie en est l’exemple même avec plus de cinq millions de followers (contre vingt -six milles pour le présentateur). Aujourd’hui, c’est Squeezie qui possède la plus grande « communauté d’intérêt » (ses fidèles défenseurs) et par conséquent, la plus grande influence au sein du débat twitter.
@Maaarinetteee, 16/11/17 « je préfère regarder #Squeezie plutôt que d’allumer la télé et voir deux hommes qui sont justes là pour rabaisser et humilier pour avoir un peu d’audience #Squeezie bravo à toi grand respect sur le plateau c’était toi l’homme pas eux #Ardisson #baffie honte sur vous »
Le critère d’objectivité est alors gommé car le Youtubeur, derrière lui, a toute une communauté soudée qui n’a pas peur de s’exprimer à travers des tweets pour le défendre.
Il est aussi intéressant de s’attarder sur le fait que si l’émission provoque peu de réactions sur la plateforme à sa diffusion, ce nombre se voit multiplié les jours qui suivent. Cette deuxième vague est ainsi révélatrice du type de public qui s’exprime sur Twitter : les téléspectateurs ayant visionné l’émission de manière linéaire, c’est-à-dire à l’heure de sa diffusion sur le petit écran, font partie d’une frange de la population plus âgée. Twitter n’est pas un moyen d’expression auquel elle a souvent recours, ce qui explique le faible nombre de réactions à la première diffusion. Les quelques milliers de tweets apparus lors de sa rediffusion seraient donc le fait d’un autre type d’audience qui elle, serait habituée à se manifester sur ce réseau social, familière des hashtags et des trending topics et plus encline à consommer des contenus audiovisuels de façon délinéarisée (en replay par exemple).
On peut même formuler l’hypothèse que certains des commentaires aient été publiés après le visionnage non pas de l’entièreté de l’émission, mais de l’extrait isolé de la séquence concernant Squeezie, qui circule notamment sur Twitter et/ou d’autres réseaux sociaux (Facebook, Instagram ou même YouTube…) et peut avoir fait l’objet d’un mouvement viral. Le Youtubeur Le Roi des Rats (@leroidesrats), divulgue sur la plateforme un court extrait de l’altercation accompagné de la légende « ? CHALLENGE – ESSAYEZ DE NE PAS ÊTRE MAL A L’AISE (99% IMPOSSIBLE) ? » : le tweet comptabilise à ce jour pas moins de 24 000 retweets et 34 000 « J’aime », ainsi que de nombreux commentaires. Cet effet de « buzz » est inhérent à Twitter puisque sur cet outil, c’est le nombre accru de réactions sur un sujet qui assure sa mise en avant. Ainsi, certains tweets ont certainement été occasionnés par ce biais et non suite au visionnage du programme sur le média traditionnel qu’est la télévision. Ce schéma caractéristique de l’usage que font les millenials de Twitter comme dispositif traduit une nouvelle fois de cette fracture entre deux générations.
Ce raisonnement démontre donc que sur les nombreux tweets publiés en réponse à la séquence, une grande majorité l’ont été par un public jeune et faisant possiblement partie de la communauté du Youtubeur. Au vu des interactions relevées, on pourrait penser que toute la Twittosphère est du même avis, mais on peut tout de même rencontrer quelques tweets qui dénotent avec l’indignation générale dirigée sur l’animateur. Pour @Vivatrix, par exemple, «Wow! respirez un bon coup! C’est le principe de la rubrique de cette émission, non? Lancer des clichés pour faire réagir l’invité […] Le présentateur se fait l’avocat du diable, il donne pas son avis. C’est un procédé d’interview où on demande à la personne de réagir à des clichés le concernant. L’interviewer a un rôle provocateur, il ne prétend pas être sincère ni reprendre ces clichés à son compte. » (15/11/17)
L’exhaustivité est rendue impossible par le simple fait que, comme dit dans l’article, tous les téléspectateurs de cette édition de Salut Les Terriens ne possèdent pas un compte Twitter et par conséquent, ne s’y sont pas tous exprimés.
Bibliographie
– Patrice Flichy, Internet et le débat démocratique, Le découverte, Réseaux, 2008/4 – n °150, P.159-185
– Véronique Klauber, Débat et genre littéraire, Encyclopédia Universalis
Natacha Potacsek, Mathilde Langlois, Charlyne Garcias
Tout d’abord, nous souhaiterions revenir sur votre analyse autour de la terminologie et de la notion de débat public. Votre apport à la réflexion sur le débat démocratique est intéressante. Cependant nous avons mal compris votre idée directrice au sujet de la terminologie du mot débat. Il est vrai que nous avions mal défini le terme, ce qui pouvait prêter à confusion. Vous avez proposé une définition de Véronique Klauber et avez dit que d’après cette définition, Twitter n’est pas un espace public de débat. Il serait davantage le lieu d’un « monologue interactif ».
Il est en effet intéressant de trouver une autre façon de définir les échanges sur Twitter. Cependant selon nous, même si l’on ne peut pas parler d’un espace public de débat, les interventions des participants ne sont pas inutiles et sont révélatrices de quelque chose sur lequel il est pertinent de s’attarder. Twitter serait, selon Patrice de Flichy, plutôt un espace public d’expressions de points de vue car « si les participants réagissent, ils ne le font pas en tenant compte de la parole de l’autre » p. 101 et « Ces internautes utilisent le forum comme « panneau d’affichage ». Ce sont des cris de colère ou des déclarations élogieuses sans attente de réponse, que l’on pourrait comparer à des graffitis ». Il est donc en effet intéressant de cesser de se questionner sur le fait que Twitter soit un espace de public de débat ou non mais lui donner une autre définition, un autre rôle pour en analyser le contenu de manière appropriée
D’un point de vue critique, on peut tout de même se questionner sur la pertinence de la définition de Véronique Klauber qui semble très peu ancrée dans l’actualité.
Ensuite, nous avons apprécié que vous étayiez nos arguments pour donner les limites de Twitter en tant qu’espace public de débat. Nous sommes d’accord pour dire que la limite de 140 caractères limite l’expression, les gens ne peuvent étayer leurs propos. Cependant, dans ce contexte, on s’aperçoit que la limite des 140 caractères imposés n’est que rarement atteinte, beaucoup font moins. Nous voyons qu’il n’y a pas une réelle volonté d’argumentation.
Votre argument est donc peu à propos, et ce, d’autant plus qu’on observe que les internautes savent repousser cette limite de caractères de deux manières : l’internaute s’arrange souvent pour abréger ses propos, fait des fautes volontaires pour gagner de la place et dire ce qu’il veut en un seul tweet. On observe également qu’ils recourent aux “Threads”, qui consistent à répondre à son propre tweet afin d’exposer tout son propos ; il suffit ensuite de cliquer sur le tweet en question pour voir apparaître toutes les autos réponses.
De plus, tous les tweets que l’on a recensés sont “des cris de colère”, pour reprendre l’expression de Patrice de Flichy. Ils sont plutôt courts donc le problème de limitation de caractère ne se pose pas. D’ailleurs, les tweets que vous citez pour appuyer cet argument illustrent parfaitement la situation: les internautes n’ont pas l’air d’avoir grand-chose à dire à part insulter Thierry Ardisson avec des mots courts qui essayent d’être “percutants”. Nous n’avons recensé presque aucun tweet où les personnes ont voulu faire de grandes argumentations et nous n‘avons jamais eu l’impression que les internautes étaient “restreints” en termes de place dans l’exposé de leurs opinions lors de la lecture de ces derniers.
Il est important de souligner comme vous l’avez fait que le manque de cadre nuit au débat mais souligner l’âge des internautes pour appuyer le propos est mal venu. Les jeunes ne sauraient-ils par avoir d’argumentation construite et de vision valable si on ne leur pose pas de cadre ? Certainement que la pauvreté des débats est liée à une absence de cadre, mais l’age des internautes ne peut être la cause du manque d’interaction et de parole correcte sur twitter. Peut-être faut-il chercher la réponse ailleurs. Dans cet affrontement il est justement question de dénigrer les pratiques des jeunes. Dire que les jeunes ne sont pas capables de prendre la parole revient à prendre parti dans le débat, et le parti de Thierry Ardisson justement.
Ensuite, il nous semble que mettre en garde contre la subjectivité des internautes et celle d’un débat « intentionnel » (Flichy) est juste, mais un peu redondant. Cette remarque est vraie dans tous les débats publics et n’est pas nouvelle. Nancy Fraser critiquait déjà Habermas en disant que les gens n’étaient pas objectifs et de bonne volonté pour participer au débat public comme ce dernier disait. Ceci est vrai pour tous les espaces publics et tous les débats. De fait, les débats sont faits pour les gens qui s’intéressent au sujet, est-ce pour autant un frein au débat ? Pourquoi le serait-ce ? Le problème ne serait-il pas plus que tout le monde n’a pas accès a twitter à cause de son aspect « technique » ? Cet argument reste cependant valable car il prend une ampleur plus importante sur Twitter ou les gens sont plus ou moins anonymes.
Pour finir, il a été intéressant de voir votre vision de notre analyse avec des termes et certains éléments différents. Tout d’abord, nous avons apprécié votre apport concernant le regroupement des internautes dans une « fandom ». Cela rebondit bien sur notre analyse des « leaders d’opinion ». En effet, les leaders créent des communautés qui de toute manière ont des points d’intérêts communs de par le fait qu’ils suivent et aiment la même personnalité Youtube. Vous approfondissez ce que nous avons dit, à savoir on retrouvera beaucoup plus de gens qui soutiennent Squeezie sur twitter car, en effet, ceux qui suivent Squeezie sur YouTube sont plus susceptibles d’avoir un compte tweeter comparé aux fans d’Ardisson. Cela revient à parler de la fracture générationnelle dans la consommation des médias mais aussi sur l’utilisation des réseaux sociaux que nous avons déjà évoqué. Lui donner une autre dimension en parlant des « bulles filtrantes » et des algorithmes d’après l’essayiste Eli Pariser est bienvenu. Il est vrai que ces phénomènes amplifient “l’entre soi”. Nous n’y avions pas pensé et cette perspective est intéressante.
Vous avez également noté le déferlement de Tweets après l’intervention d’un internaute et l’avez également catégorisé comme leader d’opinion. Nous n’avions pas pris pris le roi des rats comme exemple parce que les résultats de notre analyse positionnaient Léo Grasset alias @dirtybiology en tant que leader d’opinion.
Cependant nous avons ainsi pu noter un point intéressant : alors que @leroidesrats compte 131 408 abonnés sur twitter @dirtybiology n’en compte que 77 442. Bien que ce dernier en ait moins que le Roi des Rats, il a quand même récolté plus de retweets le jour même de la diffusion. Il serait donc été intéressant de voir comment s’est déroulé cet “échange de position” et de voir comment cela a influé dans la création d’une “bulle filtrante”