Afin de nous pencher sur les enjeux du débat public sur les plateformes numériques, et plus spécifiquement sur Twitter, nous cherchons à aborder les échanges concernant le passagede Philippe Poutou dans l’émission On n’est pas couché du 25 Février 2017. Le talk-show, d’autant plus en période de campagne électorale, relève d’un espace public de débats autour de questions politiques mais soulève plusieurs enjeux concernant son impact et utilité politique. En effet, Patrice Flichy1 relève les risques de l’infotainment proposé par ce type de programme, qui formerait un simulacre d’arène politique. Si l’on considère Internet comme l’utopie d’un espace public permettant la parole citoyenne, c’est bien ici les questions de participation démocratique à travers les nouveaux outils de communication numérique qui sont en jeu. On dénombre plusieurs productions scientifiques sur les usages de Twitter pendant les campagnes électorales françaises, cependant les travaux tendent vers l’analyse des tweets et productions officielles, émanant directement des partis et candidats politiques, à caractère essentiellement informationnels2. Si notre corpus scientifique cherche bien à interroger une potentielle interactivité citoyenne avec ces Tweets officiels, il nous semble pour notre part important de se pencher vers les productions « ordinaires » et non-officielles afin d’observer les modes de participation citoyenne au débat.
Les différents « usages [de Twitter] sont déterminants. Nous assistons à la constitution de deux types de communautés, les unes composées « de consommateurs ou d’admirateurs », les autres d’experts et de professionnels de la politique (journalistes et militants encartés)« 3 A travers la constitution d’un corpus de Tweets, en combinant différent indicateurs thématiques larges (soit #onpc, #philippepoutou, @philippepoutou, @vanessaburgraff) nous cherchons à cibler cette « communauté de consommateurs ». Ce corpus concerne la période du 25/02 au 28/02, et il a été convenu d’observer trois moments distincts, à savoir les échanges avant, pendant et après l’émission. En se basant sur ce corpus médiatique, et selon l’approche théorique des modélisations de structures démocratiques de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe4, nous nous demandons ainsi comment l’arène de débat public Tweeter ne tendrait non pas vers un espace démocratique dialogique, mais bien vers le format traditionnel de démocratie délégative. Ainsi, nous chercherons dans un premier temps à présenter le cadre imposé par l’organisation même de l’émission télévisée, qui viendrait délimiter et structurer le débat public sur Twitter. Ensuite, nous analyserons qualitativement notre corpus afin de voir comment de nouveaux experts émergent sur la plateforme, apparaissant comme des influenceurs dont le discours est essentiellement tourné vers le pathos afin de susciter l’adhésion. Enfin, nous mettrons en évidence que les possibilités de démocratie participative dialogique, liées à l’outil numérique, vont finalement tendre vers une réadaptation du modèle démocratique délégatif.
Il apparait que le média télévisuel vient structurer le débat politique sur Twitter : en effet les deux médias n’évoluent pas séparement mais se répondent de manière asymétrique, et la plateforme numérique émerge comme une extension de l’espace public déjà constitué par la télévision. Si l’émission ONPC est supposée se tenir comme une arène politique, l’ensemble des tweets ne concernent pas des préoccupations citoyennes sur des questions politiques, mais sont bien une réaction aux événements se déroulant pendant le programme. Celui-ci apparait comme une trame délimitant en amont la temporalité et les objets du débat public, et nous relevons ainsi trois temps sur Twitter. Dans un premier moment, c’est le fait même qu’il y ait une émission qui amorce le débat : notre corpus révèle ainsi que de nombreux tweets sont produits, et retweetés, dans la journée précédant la diffusion afin de dresser une liste des invités sur le plateau. De plus, outre cette forme de teasing des intervenants, on peut relever une forme d’attente et d’impatience vis-à-vis d’invités spécifiques, dont Philippe Poutou. Si l’on dénote bien via ces tweets que l’importance de l’émission repose sur ses invités, c’est bien l’annonce du programme et de ceux-ci qui suscite l’intervention. Dans un second temps, on observe que les tweets pendant l’émission sont une réponse directe à la manière dont elle est organisée. L’instantanéité du tweet permet de réagir directement au contenu et à l’organisation du programme, des objets identifiables : ainsi des discours sont produits directement sur le contenu des dialogues télévisés, notamment pour signaler un accord ou un désaccord avec le discours du candidat. Mais c’est aussi des commentaires sur l’organisation même du débat, sur la question ratée de Vanessa Burgraff, le fait que Philippe Poutou passe après le porte-parole de François Fillon, et également le passage aussi tardif du candidat. On observe donc des valeurs politiques derrière un discours sur l’organisation même du débat télévisuel. Les utilisateurs viennent souligner le non-respect du contrat implicite attendu d’une arène politique d’un service public. Mais le point de vue critique porté par les utilisateurs pendant l’émission se pose bien sur sa forme, sa structure même, et non pas sur l’intervention propre du candidat, et du fond de son discours politique. Enfin, dans un troisième moment après la diffusion, l’ensemble des tweets viennent offrir un soutien au candidat, montrant une forme d’empathie, ainsi qu’une dénonciation du manque de respect porté par les acteurs de l’émission envers lui. Les utilisateurs expriment une désillusion quant à la qualité de l’émission et de son bon déroulement, et n’interroge plus le contenu politique des discours. Ainsi, nous voyons que les réactions sur Twitter émergent comme des formes de surveillance du respect du contrat implicite de l’émission en tant qu’outil démocratique. La plateforme numérique est donc bien cadrée par la trame du récit proposée par le média télévisuel, comme extension de l’espace public qu’il crée.
Comme nous l’avons vu dans cette première partie, Twitter apparait donc comme un espace de réception du discours télévisuel. Au sein même de cet espace émergent des figures que l’on pourrait qualifier d’influenceurs, à la fois par leur opinion construite et personnelle, mais également par le dispositif du retweet. Des leaders d’opinions vont se voir soutenus par des relais, dont le pouvoir expressif personnel est délégué à l’influenceur par simple adhésion à ses posts. C’est donc l’approbation des pairs qui dirige le débat, et expose ainsi des prises de position qui prônent sur le débat public. Des posts portant sur le même fond mais d’une autre nature, chargés d’affects, dénote une nouvelle forme expressive de monstration de son concernement, autre que le simple relais du retweet. Maud Vincent, en analysant une autre forme d’espace public numérique, le forum, souligne que « ces internautes utilisent le forum comme un « panneau d’affichage ». Ce sont des cris de colère ou des déclarations élogieuses sans attendre de réponse, que l’on pourrait comparer à des graffitis »5 Ainsi certains tweets vont venir s’indigner du comportement des chroniqueurs, insulter l’émission en soi, ou déplorer le fonctionnement du service public. Si certains billets peuvent apporter un point de vue critique sur des objets pertinents, comme le programme politique, ceux-ci se voient noyés dans une masse de tweets, qui apparait tel un « bruit » comme le formuleraient Cécile Dolbeau-Bandin et Béatrice Donzelle6. Ici, ce ne sont plus des interactions des utilisateurs au sein d’un débat que nous observons, mais bien des interjections : ce n’est pas une forme d’expression dialogique mais, comme le rappelle Michael Schudson, « il est essentiel de bien distinguer deux modèles de conversation. Le premier relève du registre de la sociabilité, de la spontanéité, et de l’émotion, le second est lié à la résolution de problèmes. »7 Le dispositif technique que propose Twitter implique intrinsèquement ce premier modèle de conversation, bien qu’il faille relativiser : il faut « tenir compte du fait qu’une expression démocratique n’a pas toujours pour finalité la délibération et la prise de position, elle peut avoir simplement pour objectif l’expression publique d’une position »8.
« Twitter pourrait être un facteur d’empowerment politique des citoyens désireux de participer, en leur permettant de s’approprier des biens politiques, autrement dit de trouver les informations et contenus qu’ils recherchent, et donc, de façon éclairée, de consommer des contenu politiques, d’entrer dans l’espace public, et de participer (que ce soit par le vote, la discussion, l’action politique, la prise de décision). »9
On remarque pourtant que les prises de paroles de Twitter se voient cadrées par l’émission à laquelle elle ne fait que répondre. Cette réponse apparait sous différentes formes, que ce soit une surveillance du bon déroulement du média ou la prise de position face aux diverses opinions qu’il fixe. Il apparait que le débat d’idées que l’on pourrait retrouver dans un modèle de démocratie dialogique, regroupant différents acteurs mettant en dialogue leurs désaccords, ne semble pas finalement être le modèle proposé par Twitter. Ceci n’est pas proposé d’une part par le dispositif technique en soi, imposant une limite de 280 caractères, un « bruit » constitué par le fil d’actualité sans cesse réactualisé, et l’opportunité de se constituer comme relais d’opinion par le retweet. Seulement des fragments d’idées isolés peuvent être produits sans réellement interagir, ce qui n’apporte pas d’éléments à la résolution de problèmes. D’autre part, Twitter apparait comme extension d’un espace public déjà constitué et ne peut donc pas se distinguer des codes du spectaculaire mis en jeu dans l’arène que propose la télévision. On observe ainsi une pénétration des caractéristiques de l’infotainment, telles que les énonce Patrice Flichy10, dans la sphère de Twitter : « faut-il considérer que les nombreux talk shows où on voit de plus en plus souvent les hommes ou les femmes politiques sont principalement des lieux où on évite toute question politique? ». Tant dans l’espace public télévisuel que numérique, on délègue ainsi l’ensemble des conditions du débat et de la parole politique aux dispositifs médiatiques et numériques et aux experts : c’est bien ici la condition même du débat démocratique qui est en jeu. Si des outils nous seraient proposés pour établir des formes de dialogue, nous voyons que l’espace public tend à perpétuer un système démocratique délégatif. Pour assister à de réelles formes de participation, établissant une démocratie dialogique, il conviendrait de se réapproprier les conditions et le dispositif même du débat.
Clara Bordier, Léonard Dubin, Jonathan Deniau
• Bibliographie
CALLON Michel, LASCOUMES Pierre, BARTHE Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 2001, 358 pages.
DOLBEAU-BANDIN Cécile, DONZELLE Béatrice, « En campagne sur twitter : au risque de l’empowerment ? « , Les Cahiers du numérique, 2015/4 (Vol. 11), p. 91-118.
EYRIES Alexandre, « Deux campagnes électorales dans la twittosphère. L’élection présidentielle française et l’élection générale du Québec en 2012 », Les Cahiers du numérique, 2015/4 (Vol. 11), p. 75-90.
FLICHY Patrice, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 (n°150), p.159-185.
VINCENT Maud, « La dégradation du débat public : le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde » », Hermès, 2007/47, p. 99-106.
• Notes
1 Patrice Flichy, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 (n°150), p.159-185.
2 Alexandre Eyries, « Deux campagnes électorales dans la twittosphère. L’élection présidentielle française et l’élection générale du Québec en 2012 », Les Cahiers du numérique, 2015/4 (Vol. 11), p. 75-90.
3 Cécile Dolbeau-Bandin, Béatrice Donzelle, « En campagne sur twitter : au risque de l’empowerment ? « , Les Cahiers du numérique, 2015/4 (Vol. 11), p. 91-118.
4 Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, coll. La couleur des idées, 2001, 358 pages.
5 Maud Vincent, « La dégradation du débat public : le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde » », Hermès, 2007/47, p. 99-106.
6 Cécile Dolbeau-Bandin, Béatrice Donzelle, op. cit.
L’analyse de la manière dont les médias organisent l’espace public interroge notre représentation de la démocratie. Le passage d’un candidat à la présidentielle dans une émission politique d’une chaîne publique suscite des questions relatives à la libération de son discours dans l’espace médiatique.
Ce que les auteurs identifient comme étant des valeurs politiques : « Mais c’est aussi des commentaires sur l’organisation même du débat, sur la question ratée de Vanessa Burgraff, le fait que Philippe Poutou passe après le porte-parole de François Fillon et également le passage aussi tardif du candidat. On observe donc des valeurs politiques derrière un discours sur l’organisation même du débat télévisuel » serait peut-être la conséquence d’un dispositif d’équité. Sur le plateau, Philippe Poutou, à la tête du mouvement d’extrême gauche du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) a pu bénéficier d’un entretien de 32 minutes contre 55 pour Thierry Solère, le porte parole LR. Les chaînes de télévision doivent respecter le critère d’équité défini par le CSA : « la représentativité des candidats qui prend en compte, en particulier, les résultats du candidat ou de la formation politique aux plus récentes élections ». En ce sens, il n’y pas eu de candidat favorisé pour son idéologie mais pour l’importance de son parti.
En 1967, Guy Debord écrit La société du spectacle. Pour lui, le spectacle c’est la mort. Il y dénonce l’accomplissement sans freins des volontés de la raison marchande ou le règne autocratique de l’économie marchande ayant accédé à un statut de souveraineté irresponsable. Pour lui, le spectacle audiovisuel est aliénant en tant qu’il passe par une symbolisation, c’est-à- dire que le langage du spectacle est constitué par des signes de la production reniante qui sont en même temps la finalité dernière de cette production. En ce sens, selon « l’approche théorique des modélisations de structures démocratiques de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, l’arène de débat public Tweeter ne tendrait non pas vers un espace démocratique dialogique, mais bien vers le format traditionnel de démocratie délégative » l’espace public médiatique apparait comme un système faussement démocratique. Les catégories d’utilisateurs Twitter définit par Cécile Dolbeau-Bandin et Béatrice Donzelle mettent en évidence l’appropriation de la scène médiatique par ‘l’individu’. « Les quidams ont conquis internet » disait Patrice Flichy dans Le sacre de l’amateur. Ce qui confirme la thèse des auteurs : « les utilisateurs expriment une désillusion quant à la qualité de l’émission et de son bon déroulement et n’interroge plus le contenu politique des discours ».
Pour Guillaume Erner, technologie et idéologie, se terminent de la même manière : -logos (discours, logique, raison) un discours actif, vivant, qui a trait aux émotions. Pour Guillaume Erner, le web est le vecteur privilégié de cette culture de la célébrité parce-qu’il est avant tout la transposition de nos choix sociaux. Ainsi sur Twitter, on retrouve « seulement des fragments d’idées isolés [qui] peuvent être produits sans réellement interagir, ce qui n’apporte pas d’éléments à la résolution de problèmes ». L’internaute-télé-spectateur ne constitue pas en ce sens un relais d’opinion mais souligne Dominique Cardon, tel est l’un des effets de l’élargissement de la parole publique sur l’internet : on peut y trouver toutes sortes de propos mais, si tous sont effectivement accessibles sur le Web, cela ne veut pas dire qu’ils ont la même visibilité, contrairement à ce qui se passe le plus fréquemment dans l’espace public des médias traditionnels.
La promesse d’un espace démocratique est à la hauteur du dispositif médiatique qui structure l’espace public qui n’offrirait de réelles formes de participation qu’à la « célébrité ». On peut penser à la notion de « filter bubble » introduite par Eli Pariser et sinon, à la critique souvent adressée aux médias de ne parvenir à toucher qu’un public déjà acquis : de favoriser l’entre-soi.
Sources :
CARDON Dominique, « La démocratie Internet. Promesses et limites », 2010
DEBORD Guy, « La société du spectacle », 1967
ERNER Guillaume, « La souveraineté du people », 2015
FLICHY Patrice, « Le sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique », Seuil, 2010
CSA, Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, http://www.csa.fr
Il nous semble important de rebondir sur ce que l’auteur apporte sur notre commentaire à propos de la régulation du temps de parole par le CSA. De même que nous avons cherché à analyser le dispositif médiatique de l’émission télévisée, interrogé par la plateforme Twitter, il peut sembler intéressant de se pencher sur les critères soutenus par la politique du CSA. Comme le souligne Jérémy, l’institution tend bien à défendre un dispositif d’équité. En effet, l’importance du parti politique joue proportionnellement sur sa visibilité médiatique, et influence donc l’organisation même du programme télévisé. De ce fait, on peut s’interroger sur l’utilisation même de la notion d’équité comme condition de la démocratie. Et c’est ici ce qui semble être dénoncé, en creux, par les utilisateurs de Twitter, qui soulignent un fonctionnement non-démocratique du système. D’un côté, le critère d’équité tend sur le long terme à couper court à tout débat politique, amenant les partis déjà visibles sur le devant de la scène médiatique, créant ainsi un consensus sans passer par un débat que permettrais par une pluralité d’opinions, égales dans leur valorisation. De l’autre, les utilisateurs dénoncent une mise à mal de ce critère dans le déroulement de l’émission, apparaissant comme non-respecté. Twitter apparait donc bien comme un organe de surveillance de la télévision, qui pourrait même porter des valeurs politiques dans l’expression du mécontentement des utilisateurs.
Concernant l’analyse basée sur Guy Debord, il nous semble important de revenir sur les termes que nous avons utilisés. Si considérons l’émission et ce qu’elle entraine comme représentative d’une société du spectacle, nous ne pensions pas directement à l’ouvrage de celui-ci. Nous cherchons plutôt à aborder les enjeux de la mise en scène de l’information dans le sens de l’infotainment tel que théorisé par Patrice Flichy. En effet, les conceptions philosophiques de Debord autour de la marchandisation de l’art et des relations sociales publiques – proche d’une critique adornienne des rapports de pouvoir dans les modes de production – ne nous permettent pas de penser la réception de telles formes de débat par les consommateur-utilisateurs. Si, dans l’émission même, tout relève de la représentation, le candidat performant son rôle et l’émission cherchant à mettre en scène un débat, l’organe de réception qu’est Twitter vient discourir sur cette réalité donnée, ce spectacle. Patrice Flichy nous le rappelle, l’espace numérique émerge comme une extension de l’espace public existant, et vient reproduire les mêmes schémas aliénants. En revanche, il offre de réelles capacités de participation démocratique dans la mesure où la critique ressort chez les usagers, même si celle-ci se pose sur la forme du débat et non pas sur son fond. Pensons ici au concept d’agency developpé par Louis Althusser, les twittos mettant quand même en avant la capacité d’agir de la reception; dans la mesure où le système même vient à être critiqué, les spectateurs semblant réclamer un critère d’égalité et non pas d’équité, en le faisant savoir sur une plateforme numérique.
Ainsi, si Patrice Flichy vient mentionner les « quidams », c’est à dire tout un chacun, il ne refuse pas leur caractère potentiellement actif : l’utilisateur d’Internet est bien un citoyen en puissance. La plateforme numérique propose bien des outils démocratiques, ceux-ci ne se trouvant finalement pas saisis par les utilisateurs : le débat citoyen est orienté en amont par un dispositif médiatique, ici l’émission ONPC, qui est en soi faussement démocratique. Comme nous cherchions à souligner dans l’article, c’est la réappropriation du dispositif technique par une force citoyenne qui est la condition d’un réel débat démocratique.
On relève également une parole populaire, qui s’oppose à la conception de l’espace public habermassien, pour les twittos la « bobocratie », et qui dénonce le non-professionnalisme des leaders d’opinion de l’émission. Il est vrai que Twitter est structuré par la télé, mais la capacité critique des spectateurs ne doit pas non plus être réduite à un « pugilat » comme le dit Maud Vincent, dans la mesure où ils ont le pouvoir de donner leur avis sur un dispositif télévisuel figé. Pourtant, la plateforme Twitter apparait bien comme une extension du programme télévisuel, et est compris comme tel : c’est un organe de feedback de la télévision, et non pas une plateforme de débat indépendante. Les analyses de Guillaume Erner et Dominique Cardon nous permettent ainsi de rappeler le caractère extensif de l’espace public, qui vient se retrouver sous les mêmes modalités dans l’espace numérique.
Clara Bordier
Léonard Dubin
Jonathan Deniau
• Bibliographie
CARDON Dominique, « La démocratie Internet. Promesses et limites », 2010
DEBORD Guy, « La société du spectacle », 1967
ERNER Guillaume, « La souveraineté du people », 2015
FLICHY Patrice, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 (n°150), p.159-185.
VICENT Maud, « La dégradation du débat public : le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde » », Hermès, 2007/47, p. 99-106.