Des hauts et débats - Master Industries Culturelles - Université Paris 8

La légitimité des débats numériques.

Le numérique est devenu un énorme symbole de l’espoir démocratique à savoir l’expression et la participation de chacun au sein de l’espace public. En effet Internet apparaissait comme un outil facile d’accès et d’appropriation technique qui aurait facilité l’implication de tout le monde au sein du débat public. Le chercheur Patrice Flichy désigne internet comme à première vue un « outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen pourrait intervenir très régulièrement dans le débat public ».

L’un des facteurs qui pousse à croire en ce nouveau médium est l’aplatissement de la hiérarchie sociale. Le sociologue Cas Wouters décrit le phénomène des réseaux sociaux comme :

« l’extension dans toutes les classes sociales de l’usage en situation sociale d’un vocabulaire plus relâché […] Ainsi le protocole ou les marques traditionnelles de déférence tendent à être perçues comme trop hiérarchique et formelles par de nombreux protagonistes ».

Ce relâchement autour des normes habituellement rigides, assure alors une égalité de statut entre les différents acteurs du débat. Or il s’est avéré que cette nouvelle liberté a aussi des externalités négatives. Dans un premier constat, on observe qu’elle engendre aussi une décomplexion de la parole. Allard et Vandenberghe introduisent la notion « d’individualisme expressif » à ce sujet. En effet les limites de l’expression orale établies par la loi et le contrôle social extérieur, n’ont plus d’effet sur le net. Les deux chercheurs indiquent que :

« Sur les réseaux sociaux numériques, l’individualisme expressif suit souvent une logique de libération de certains cadre et convention sociales qui régissent les interactions sociales ordinaires ».

Le net devient donc un lieu de bashing potentiel.

L’existence même de la plateforme twitter permet alors l’existence d’un bashing dématérialisé. Les chercheurs en parlent sous le terme de « flame wars » et le décrivent comme un lieu : « où les internautes défendent violemment des opinions dont ils ne veulent plus démordre ». Les différents participants se sentent insensibles aux lois et pensent alors agir en toute impunité. Ainsi les insultes et injures sont prononcées sans état d’âme, l’« individualisme expressif » combiné à une identité virtuelle floue et mobile faciliterait et encouragerait donc cette nouvelle forme d’incivilité.

L’alimentation de ce type de débat par les chroniqueurs de l’émission les grandes gueules révèle une seconde dimension beaucoup plus sombre du débat : le cyber lynchage. Les données émises sur la plateforme twitter révèlent l’utilisation d’une stratégie de renversement de la culpabilité utilisée par les défenseurs de la présidente de l’UNEF. Les animateurs des grandes gueules seraient selon-eux les réels oppresseurs et ils oppresseraient  Maryam Pougetoux. Ils seraient les premiers à la « jeter en pâture » (Pour reprendre leurs mots) aux internautes incontrôlables. Le chercheur du nom de Sunstein nous dit à ce sujet-là que « Les grands médias concentrent l’attention, autour d’émission phares » Patrice Flichy parle même du phénomène d’ « infotainment »   et le chercheur Sunstein explique que dans un même temps « Internet tendrait au contraire, à balkaniser le discours politique. ». Ces diverses observations font donc état d’un cadre favorable au développement du phénomène de cyber harcèlement. Les présentateurs introduisent un sujet polémique et les internautes flous et mobiles se l’arrachent, cet engouement pouvant aller jusqu’à prendre des formes extrêmes, telles que le cyber harcèlement.

Un second constat nous permet d’observer un regroupement et donc une légitimité des utilisateurs marginaux « haineux ». Le chercheur Patrice Flichy évoque ce phénomène sous l’expression de « balkanisation des opinions publiques », il explique que sur Internet : « il est plus facile que dans la vie réelle de trouver des individus qui puissent partager tel ou tel de nos intérêts ». Les éléments « perturbateurs » du débat qui constituent une minorité, trouvent grâce à Internet, plus facilement une résonance à leur propos haineux et s’accorderaient donc une légitimité qui vient nourrir le phénomène de décomplexions. La finalité de ce système conduit vers une confortation de l’opinion. Le chercheur Mars Poster indique que : « le débat ne tend pas vers l’élaboration d’une position commune, mais plutôt vers une multiplication de points de vue contradictoires ». Les internautes ne viennent plus sur les réseaux sociaux pour débattre mais bien pour conforter leurs opinions.  Le problème d’internet et des réseaux sociaux comme Twitter est que tout le monde y a accès, et tout le monde peut se réunir pour ou contre quelque chose/quelqu’un, l’effet de groupe apporte donc une certaine légitimité au gens d’exprimer leur avis quel qu’il soit.

Revisiter la notion d’espace public sur Twitter :

« La porte ouverte à toute les fenêtres » :

Le débat sur Twitter a démarré bien avant l’émission des GG du 16/05 puisqu’il a démarré à la diffusion des images de Maryam Pougetoux dans le 19.45 de M6 le 15/05. L’émission des GG n’a donc fait que relancer le débat et a permis surtout aux intervenants de l’émission de répondre au premiers Tweets et lynchage.

Les GG posent eux même le débat sur Twitter :

On ne peut avec ce genre de question que s’attendre à un déferlement de commentaires ou Twitts empli de haine raciale. Demander l’avis d’une communauté aussi large que celle présente sur Twitter n’est pas sans conséquence.

Dans le cas de cette émission, on pourrait distinguer 2 réactions majeures : ceux qui vont défendre Maryam avec notamment le #SoutienAMaryam et ceux qui vont au contraire en profiter pour exprimer leur haine raciste autour du débat du voile.

De manière globale on s’aperçoit que plus de gens utilisent Twitter pour contrer quelque chose. Ici il est plus facile de lire des Twitts négatifs. En effet, on trouve beaucoup de hashtags racistes, islamophobe, sexistes qui alimentent le lynchage médiatique. Tout le monde y va de son commentaire, mélangeant même les choses, allant jusqu’à parler d’une « UNEF Djihadiste ».

Face à cela seul le hashtag #SoutienAMaryam est sorti.

 

 

 

Le soutien sur Twitter reste largement inférieur au lynchage.

Les gens s’en prennent même aux intervenants de l’émission, notamment le Dr Moji, qui défend Maryam sur le plateau des GGs.

 

Ambigüité(s) des notions :

« Laïcité », « liberté », « féminisme », « droits », et bien d’autres notions ont envahit la toile et plus précisément Twitter, suite au débat qui avait eu lieu concernant la posture de la représentante voilée de l’UNEF, à l’émission Les Grandes Gueules sur la chaine Numéro 23.

La définition juridique de la notion de « laïcité » mentionne le fait qu’elle [la laicité] est « le principe de séparation dans l’Etat de la société civile et de la société religieuse » et « d’impartialité ou de neutralité de l’Etat à l’égard des confessions religieuses ». La définition juridique repose elle-même sur un aspect philosophique qui mentionne que la laïcité « est une éthique basée sur la liberté de conscience visant à l’épanouissement de l’Homme en tant qu’individu et citoyen ».

Cette mise en exposition des différentes définitions autour de la laïcité, permettent de situer et d’assimiler, à priori, la posture de Myriam Pougetoux, la représentante voilée de l’UNEF, un syndicat étudiant considéré comme proche de la gauche socialiste et surtout laïque.

Les positions des internautes avaient eu une répartition manichéenne, entre le bien et le mal, le pour et le contre. Certains d’entre eux ont exprimé leur soutien absolu à Myriam en la défendant et en défendant sa liberté de conscience et d’être et en dénonçant l’islamophobie et le paternalisme. D’autres ont plutôt pris une position contrariée à Myriam, en la jugeant d’extrémiste, en aliénant les femmes voilées, en opposant le « féminisme » et le « voile » et en accusant l’UNEF du non respect des normes et des fondements de la laïcité.

Dans ce cadre d’analyse, il est important de revenir sur l’origine de la laïcité, qui vise la séparation de la religion de l’Etat, mais qui ne sépare vraiment pas l’individu de sa religiosité. C’est-à-dire que l’individu a son droit de croyance mais qu’il ne doit pas le mixer avec sa représentativité sociale. Et ici, le voile de Myriam qui représente un signe de religiosité, laisse à se questionner si ces signes de religiosité, mettent une limite à la notion de liberté ? La problématique principale qui se pose face aux réactions des internautes sur Twitter.

Une confrontation entre la sphère publique et la sphère privée : 

Des réactions violentes, des insultes, des menaces et des campagnes de diffamation ont été suscitées contre la représentante voilée de l’UNEF. Une confrontation entre les deux sphères, publique et privée, a été soulevée suite aux commentaires et twitts. Myriam Pougetoux a été jugée d’avoir imposé son « espace privé » à « l’espace public » ou « commun » en affirmant sa religiosité (en portant le voile) dans un espace qui est sensé appartenir à tout le monde, et non seulement les musulmans.

La focalisation faite sur la question du port du voile a largement dépassé les propos de la représentante et ce à quoi appelle le syndicat. Et cela se traduit par le brouillage des repères qui a touché les espaces public et privé, où les notions de « public », « privé », « intime » et le « civil » se sont mélangées et où c’est plutôt la notion de « fachosphère » qui a pris le dessus.

Toutes ces réactions laissent à chercher à savoir si les réseaux sociaux, et plus spécialement Twitter dans notre cas, proposent un espace d’expression libre et de délibération pour les internautes, et à quel moment peut-on dire qu’ils mettent une limite à la question de la « liberté » ?

Nous sommes face ici à un cas de lynchage particulier puisque lié à la religion et à son apparence. Il est important de noter que aucun Twitt ne parle de ce qu’elle dit d’ailleurs.

Les propos haineux cassent le débat, comme le dit Jonnhy Blanc « C’est minable qu’on ne puisse pas soulever le débat du voile sans se faire traiter d’islamophobe ».  Ici le débat est à la base très claire et très intéressant à propos de la légitimité de Maryam Pougetoux d’intervenir à la télévision au nom de l’UNEF (Syndicat étudiant laïque) voilé et donc montrant un signe identifiable de religion, mais Twitter rend ce débat inintéressant puisque tout y est mélangé… principalement la notion de racisme et d’islam.

Il nous semble donc que Twitter n’est pas un lieu de débat constructif mais plus un lieu ou les gens vont sans retenu dire ce qu’ils pensent d’un sujet ou d’une personne, non pas dans le but de créer un échange autour de ce sujet, simplement d’exprimer son opinion.

 

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