Des hauts et débats - Master Industries Culturelles - Université Paris 8

Internet est né en même temps qu’un désir de promouvoir la démocratie délibérative. En effet, les plateformes numériques apparaissent comme des supports de débat ouvert à tous sans distinction et facile à s’approprier selon ses intérêts. Mais les problématiques d’internet préexistaient au numérique et on peut émettre l’hypothèse que les plateformes internet ne font que reproduire les formes médiatiques précédentes. Dans l’extrait de l’émission « On n’est pas couché » du 10 septembre 2016, on peut voir le ton monter entre Vanessa Burggraf, la journaliste, et Jean-Luc Mélenchon, le politique. Cette extrait fût le plus commenté sur Twitter de toute la durée de la diffusion télévisée. De plus, venant à la fin de l’émission, c’est cet extrait que l’audience a retenu du prime et dont on a « débattu » les heures suivants la diffusion. Dès la première lecture générale des tweets, on a pu constater un flot de critiques pour la plupart sexistes, à l’égard de Vanessa Burggraf. Par l’étude des tweets publiés pendant le moment de l’altercation (23h25-23h31) nous souhaitions mettre en lumières les problématiques autour des rapports de genre dans l’espace public Twitter : La fluidification des flux par Twitter permet-elle la rationalisation et démocratisation ? Ne cache-t-elle pas au contraire des rapports de domination, manipulations et interprétations multiples ?

Au départ de cette recherche nous avons émis des hypothèses de départ qui permettent d’orienter la suite de l’analyse. L’espace public numérique, à travers l’analyse de twitter, répète-t-il les schèmes de l’audiovisuel ? Techniquement, seule la popularité peut influer sur la visibilité des tweets; cependant la grande partie des tweets analysés sont du commun des mortels. (Un traitement particulier sera attribués aux tweets officiels dans la dernière partie.) Alors, il serait légitime de penser que Twitter permet la même lisibilité entre les idées des hommes et des femmes, sans dispositif de mise en scène particulière qui viendrait orienter l’interprétation, comme on peut le faire avec le montage ou le cadrage d’une émission de télévision. Ce n’est pas la même mise en scène, pour autant les rapports de genre sont-ils plus égalitaires sur Twitter ? Il s’agira alors dans l’analyse des données de répondre à différentes questions : les tweets sexistes de la sélection viennent-ils que d’auteurs masculins ? Quelle est la part de représentation des deux sexes dans la sélection ? Est-elle égale ? Sinon, comment expliquer ces inégalités ? Sur quel(s) plan(s) se jouent-elles ?

Du point de vu méthodologique, nous nous sommes cantonnés aux publications Twitter dans le temps précis de l’extrait – 285 tweets exactement. Nous nous sommes ensuite appuyer sur les comptes les plus actifs pour faire une sélection d’une soixantaine de tweets, réponses et citations comprises. En ce qui concerne l’analyse statistique sur le genre, elle se base sur une sélection de 34 tweets (or RT et Like) concernant Jean Luc Mélenchon et 34 tweets au sujet de Vanessa Burggraf. Pour faire cette sélection, nous nous sommes appuyés sur les tweets ayant le plus d’influence ou étant représentatifs (au sens où la formule tweetée est largement répétée dans d’autres tweets). Ces données on était chiffrées et ont permis l’élaboration de différentes statistiques qui viendront appuyer l’analyse au cours au développement. Enfin, à la suite de l’analyse de donnée dans la partie de « profilage » nous nous sommes appuyés sur trois profils d’hommes qui offraient trois points de vues complémentaires à la recherche : un soutien de Jean Luc Mélenchon par la critique de l’adversaire, un détracteur politique et un anonyme qui réagit par l’humour. Cela, dans le but de voir si le degré de monstration (intime) sur leur compte joue sur la position qu’ils défendent.

 

L’article s’articule autour de trois grandes parties. La première concerne les rapports Homme/Femme dans l’analyse de données Twitter. La seconde affinera nos premiers résultats par l’analyse du rapport à la notoriété et reconnaissance professionnelle entre journaliste et politique. Enfin, l’étude des profils des utilisateurs permettra de comprendre l’impact de l’intime dans l’espace public twitter et la propension de celui ci à soulever des débats construits et constructifs.

 

Rapport de genre: homme/femme

Dans cette partie il s’agit de montrer à travers les tweets sélectionnés si les rapports de genre sont plus égalitaires sur Twitter que sur les médias publics audiovisuels.

En ce qui concerne les 34 tweets sur Vanessa Burggraf, 31 sont dépréciatifs, soit 91 %, contre 3 seulement plus encourageants (9%). Dans les tweets négatifs on compte 15 publications d’auteurs masculins, 19 d’auteurs féminins et 6 d’auteurs sans détermination publique de genre. Sur les 15 tweets dépréciatifs d’auteurs masculins, ces derniers portent atteintes à ses capacités professionnelles de journaliste par des injures (8) : IDRIS / @IDRI_ROCKY : « Mais quel pute cette meuf dans #ONPC elle raconte n’importe quoi » ; JacquesDaniels / @BuetDan : « Mais quelle conne cette Vanessa ! #ONPC ». Il n’y a aucune argumentation, l’insulte est gratuite dans les deux cas. Le deuxième exemple possède 1 retweet et 4 likes. A son échelle, l’utilisateur est donc suivit dans sa « proposition ». Comme on peut l’imaginer, ces tweets ne déclenchent pas de débat de fond, d’ailleurs aucune réponse n’ont été posté vis à vis de ces tweets. Deuxième stratégie des auteurs masculins dépréciatifs, le sous-entendu sexiste. Dans cette catégorie on comprend toutes les remarques que l’on n’entendra jamais adressées à des hommes : Pilou 95 / @Pilou_95 : « #ONPC elle est vraiment blonde !!! » ; David Martin / @DMartin28051974 : « Les seuls intérêts de #ONPC sont les jambes de @VanessaBurggraf et de @EfiraNetwork #michismeassumé ».

Mais tous les tweets critiques ne sont pas tous écrits par des hommes. Cependant, les tweets sélectionnés d’auteurs féminins sont relativement moins vulgaires. On peut citer : Patou / @PatriciaFayard : « Melanchon : « C est vous qui êtes facile ! » Mdrrrrr #ONPC » . L’utilisatrice cite une phrase polémique prononcée par Jean-Luc Mélenchon à l’égard de la journaliste et y ajoute un « Mdrrrrr » pour signifier qu’elle trouve ça très drôle. Du débat, Twitter va surtout retenir les insultes et formules chocs qui feront de bons tweets populaires. Prêts à être retweeter pour procéder petit à petit et de manière indirecte à un lynchage public. On peut également citer : fr@ny / @frany67 : « Je confirme en tant que téléspectatrice, cette dame blonde est agressive… Elle est acerbe #ONPC ». La critique ici n’est plus en faveur de la cause de Mélenchon. Simplement, l’auteure ressent le besoin de donner elle aussi son sentiment sur la nouvelle journaliste. Malgré tout certaines demeurent dans l’insulte gratuite en la traitant de « mongole » ou encore d’ « imbécile », mais ces insultes sont moins représentatives de la sélection. Pour résumé, on ramène constamment Vanessa Burggraf à sa dimension de femme ou à son physique : « la blonde » « la cruche » « effet blonde » « creuse » « conne » « insupportable » « irritante » « pas à la hauteur » « nulle » « la meuf » « attitude, voix et physique insupportable  » « marquise » « super-excitée ». A contrario, on ne parle dans aucun tweet du physique, de l’âge ou en couleur de cheveux de Jean-Luc Mélenchon. Dans le cas des tweets négatifs comme positifs on remarque une surreprésentation d’auteurs hommes. Sur-représentation qui peut être légèrement nuancée par cette marge de 21 % dont le genre est indéterminé. Mais que l’on retrouve également dans la sélection de tweets concernant Mélenchon (sur 31 tweets dépréciatifs, 28 viennent d’auteurs masculins, soit 90 % des tweets négatifs.) On remarque comme à la télévision que Twitter est aussi largement représentés par des communautés masculines. La distance avec le corps physique, si elle peut en désinhiber certain(e)s n’efface pas les inégalités réelles ou ressenties entre les genres dans l’espace public.

En ce qui concerne les statistiques sur la sélection de tweets sur Jean-Luc Mélenchon, 29 sont dépréciatifs pour 5 en soutiens au politique. On remarque alors, comme précédemment, on large propension des auteurs de Twitter à la critique plutôt qu’au soutien sur les réseaux. Patrice Flichy explique que l’engagement militant en ligne connaît un bilan mitigé ; les blogs accroissent les inégalités dans la participation militante puisque l’internaute doit posséder des capacités d’expression et d’argumentation particulières. Mais, les applications politiques connaissent plus de succès car elles ne servent qu’à donner un sentiment par rapport à une situation ou un discours. Il n’y a pas de débat juste des émotions de campagne partagée. Twitter, par son format particulier se situe plutôt dans le format des « applications » développé par Flichy. Pour revenir à la sélection concernant Mélenchon on peut remarquer une seconde chose, c’est que les tweets sont nettement moins vulgaires : « détestable », « dédaigneux », « ordure démagogue », il « a du mal », « médiocre », « tête de con ». Cependant, les tweets de soutiens, n’expriment jamais directement un commentaire positif sur sa politique, ce sont pour la plupart des attaques envers ses adversaires (soit Vanessa Burggraf à ce moment précis).

Enfin, il faut relativiser les résultats et rappelez qu’il s’agit la d’un échantillon. Les données concernent le corpus de tweets que nous avons sélectionnées et non la réalité de l’ensemble des réactions sur cette séquence. Néanmoins on ne peut nier que ces chiffres nous indique une tendance non négligeable.

 

Rapport à la notoriété et reconnaissance professionnelle : journaliste versus politique

Legrats Olivier : « #ONPC La dame blonde. Qui remplace Salamé. N’a pas de Mont Blanc. A la main. Donc pas crédible. Ni compétente. ». Ce tweet sous-entendrait que les femmes sont faites pour la publicité et pas pour les débats… Et, on peut voir en affinant l’analyse de la sélection de tweets qu’effectivement au-delà du pur conflit de genre, Vanessa Burggraf est rabaissée pour ses capacités professionnelles.

C’est la 1ère émission de Vanessa Burggraf à “On n’est pas couché” alors que Jean Luc Mélenchon est un homme politique connu de tous, notamment pour ses talents d’orateur et d’homme de caractère. Durant l’émission Burggraf est à plusieurs reprises qualifiée comme « la nouvelle » et on retrouve ces appellations dans les tweets. Mélenchon, lui, est souvent désigné par des surnoms comme « Mesloches », « Meluche ». Mélenchon est un personnage public bien établis, l’audience partage quelque chose de plus intime avec son personnage que celui de la journaliste. D’ailleurs le nom de Burggraf est très souvent mal orthographié car le public ne la connaît pas. En réaction à cela beaucoup de réactions sur twitter réclament le retour de Léa Salamé, l’ancienne journaliste de l’émission. La situation particulière dans laquelle Vanessa Burggraf se trouve « justifie » ce flux d’injures : au-delà des militants ou sympathisants de Mélenchon il faut aussi imaginer tous les habitués de l’émission qui sont déçus ne plus retrouver leurs habitudes de visionnage. Se joue alors dans les tweets sélectionnés, un flot de critique qui touche cette fois sa prestation, son discours présent et son professionnalisme à l’épreuve du direct : En réponse à un tweet de @Aleaument, @Chirstledieu écrit « Ne soyer pas agressif parce que Burgraf a mal lu les fiche que lui a préparé #Gattaz » ; Gilles Chevalier / @GC7513 : « #ONPC Non, sérieusement elle a un carte de presse cette Vanessa ? Une caricature… » ;

A l’inverse, les détracteurs de Mélenchon lui reprochent pour la plupart des faits passés : son appartenance au PS, son rôle lors de Nuit Debout, son salaire, son train de vie… Mais à aucun moment sa place dans l’émission ou son discours présent n’est remis en question. On lui reproche parfois de ne pas répondre aux questions ou de ne pas donner de chiffres, mais dans l’ensemble sa place est complètement légitime pour le public. Pour récapituler, l’audience s’autorise à critiquer la journaliste pour ce qu’elle montre, alors que les critiques sur Mélenchon portent sur ce qu’il fait. On peut dire que les jugements de valeur sont alors nettement plus superficiels concernant Vanessa Burggraf.

 

Propension de Twitter au débat

Cette séquence crée des réactions sur Twitter, mais permet-elle un débat de fond ?

Pour Howard Rheingold internet doit permettre un renouvellement de la démocratie en offrant la possibilité à tous de s’exprimer, théorie également défendue par Al Gore. Néanmoins dans notre cas nous avons constaté que le débat n’est pas au centre des discussions. Les internautes, également téléspectateurs, préfèrent émettre des critiques sur les individus et font abstraction de leurs pensées. Sur Twitter cela est récurrent, une minorité de comptes est très active et souvent virulente voir extrémiste dans les idées. Cette minorité là va alors « confisquer » la parole au plus grand nombre par des propos assez violents. C’est ce qu’exprime Steven Shneider avec l’existence d’un espace de débat contrôlé mais inégalitaire où la parole souvent violente est confisquée par quelques-uns. Le format de twitter avec l’imposition de 140 caractères maximum par tweet renforce cette absence de débat. En effet, elle invite les utilisateurs à être efficaces et concis dans leurs messages. Il est alors plus facile de dénigrer par une insulte sachant que notre message sera plus facilement repris que de réfléchir à transposer sa pensée. Et plus encore sur un débat politique où nos idéaux sont plus facilement remis en question, où les réactions sont plus vives.

Il est donc légitime d’étudier qui sont les utilisateurs qui dégradent le débat.

Un certains nombres de comptes véhéments à l’encontre de Vanessa Burggraf avaient comme photo de profil le signe « Phi » symbole du parti politique la France Insoumise créé par Jean Luc Mélenchon. Parmi les tweets retenus pour notre analyse celui de @Juliamichel812 qui avait tweeté « Quelle imbécile la nouvelle ! Elle va sortir le martinet #onpc » Selon sa biographie Twitter cette personne se définit ainsi:  « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être que par des insoumis. (André Gide) #JLM2017 #M6R #Insoumis #FI ». Ce compte reprend une citation d’André Gide ancien écrivain français et prix Nobel proche du parti communiste. Ce compte aux 8 999 tweets publiés ne se concentre que sur un seul sujet la « France Insoumise ». Et ce par la mise en avant des prises de paroles de ses membres et la critique des autres groupes et personnalités politiques d’opinion différentes. On pourrait qualifier ce compte de « professionnel ». Il ne s’agit sûrement pas d’un compte personnel mais comme l’exprime Michaël Dumoulin d’une identité virtuelle parmi plusieurs où tout simplement d’un compte secondaire.

 

Ce phénomène de « professionnalisme » de l’utilisation de compte Twitter est aussi présent chez les autres sympathisants de groupe politique français comme par exemple: @AlexClmt99 soutient de Benoit Hamon avec un tweet sur Mélenchon lors du débat « Mélanchon monte sur ses grand chevaux à chaque fois qu’une question lui est posée… C’est minable et médiocre. #ONPC » Là encore on retrouve une citation en biographie « La patrie n’est pas une idée épuisée, c’est une idée qui se transforme et s’agrandit- Jean Jaurès #BH #M1717 » Jean Jaurès figure du socialisme français. Il s’agit encore du même modèle de compte où les 2 500 tweets postés soutiennent Benoit Hamon et critiquent ses opposants politiques.

On distingue aussi dans « les perturbateurs » du débat des comptes assez populaires, familiers des bons mots qui vont tourner à la dérision le maximum de déclaration de personnalités sans pour autant porter un fondement idéologique mais simplement pour avoir de l’audience. Dans la séquence cette idée est illustrée par le compte @jursticdotfr dont la biographie est: « A mi-chemin entre l’être humain et le data center. Cobaye pour la réforme du CRFPA. Droit et Gauche. Bloqué par @nadine__morano, @GilbertCollard et @GWGoldnadel » D’après cette biographie on peut imaginer une certaine réticence face à l’extrême droite. A l’inverse des deux précédents ce celui ci n’affiche pas clairement ses opinions politiques. Ce compte très actif,  22 000 tweets avait tweeté lors de l’émission «  « Vous vous attaquez encore aux journalistes C’est très mal ça ! » Nadine de Rothschild, sortez de ce corps ! #ONPC » Ce tweet moqueur qui intervient après une prise de parole de Vanessa Burggraf est l’un des plus populaires de la soirée avec 10 retweets et 7 likes. Le caractère humoristique de ce tweet (plutôt léger) ne fait pas avancer le débat mais attire pourtant les lumières sur lui.

D’autres acteurs participent au débat sur twitter, il s’agit de comptes certifiés. Appartenant à des personnalités ou encore à des émissions de télévision ou radio. Parmi les 9 comptes ayants pris la parole sur Twitter durant cette séquence de 6 minutes, six proviennent de Jean Luc Mélenchon ou de ses collaborateurs. Qui à l’instar de leurs partisans sont très actifs sur les réseaux sociaux. On note également que les tweets émanants de comptes certifiés amènent une forme de débat plus authentique avec des réactions (réponses et citations) contrairement au tweets de compte classique souvent noyés dans la masse. Cela vient illustrer les limites de la « Balkanisation des opinions publiques » sur le web. Certains protagonistes concentrent toujours plus l’attention.

 

En conclusion, la fluidification des flux par Twitter n’apporte pas la rationalisation ou la démocratisation espérées. En effet, au regard des résultats de l’enquête sur un échantillon de 40 tweets, Twitter offre un format peu apte au débat de fond. Les rapports de genre y sont conflictuels; on y observe beaucoup de sexisme mais aussi notre sélection de tweet révèle une audience féminine plus silencieuse dans le débat. Dans l’ensemble, la plupart des utilisateurs optent pour la formule choc ou l’assentiment, qui fera le plus de retweet. Mais il ne faut pas trop généraliser, le débat sur internet est possible dans de certaines conditions. Et, si les vrais débats sur internet n’engagent qu’une minorité ils gagnent toutefois rapidement une large visibilité (notamment par les comptes officiels). Le danger ici c’est que des personnes, sous prétexte qu’elles sont très actives sur les réseaux, se proclament représentantes des militants.

Elise Delguste et Nathan Diot

 

Références et sources :

Patrice Flichy, Internet et le débat démocratique, 2008

Laurence Allard, Frédéric Vandenberghe, EXPRESS YOURSELF ! Les pages perso. Entre légitimation technopolitique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive, 2003

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