L’émission On n’est pas couchés diffusée sur France 2 animée par Laurent Ruquier et accompagné de ses chroniqueurs Yann Moix et Vanessa Burggraf suscite de nombreux débats, que ce soit télévisés ou bien sur les réseaux sociaux (Twitter principalement ainsi que Facebook, etc.) : ce sont les lieux où le débat se prolonge, se développe, s’enflamme parfois entre internautes. ONPC est beaucoup regardé, malgré son horaire tardif mais cela crée énormément de social tv [1] ; ce qui nous intéresse pour analyser les débats entre les utilisateurs de Twitter (« twittos.as »).
Nous analyserons l’émission du 1er avril 2017, avec Florian Philippot – député européen et vice-président du Front National, à l’époque – invité parmi d’autres hommes politiques qui le succèderont. Il vient soutenir la candidature de Marine Le Pen, présidente du FN et candidate à l’élection présidentielle de 2017. Nous relevons 8024 tweets concernant Philippot avec le hashtag (mot-dièse) « ONPC » de 20 heures à minuit entre le 1er avril et le 2 avril.
Il est intéressant de constater que les villes qui ont le plus tweeté sont des villes à tendance extrême-droite lorsque l’on recherche « Philippot » sans retweets, telles que : Aix-les-Bains (20.0%), Campagne-sur-Aude (10.0%), le Centre (10.0%), Saint-Jean-le-Blanc (10.0%), etc… Concernant les pays, 90% sont français et les 10% restants concernent le Royaume-Uni (1,3%), ainsi que la Suisse, la Belgique, l’Argentine, l’Espagne, le Cameroun (5,2%).
De plus 97% ont tweeté en langue française, 2.0% en anglo-saxon et 1,0% en langues multiples.
Concernant la recherche sur tout le long de l’émission, incluant les tweets ainsi que les retweets, on note qu’il y a eu plus de retweets que de tweets : 52,3% contre 47,7 % ! De plus Paris est la ville qui a le plus tweeté (16,7%) – car cela reste une émission très « parisienne » -, suivi d’Aix-les-Bains (12,5%), du Centre (8,3%), de la Haute-Garonne (8,3%), de Lille (6,3%), de Migné-Auxances (6,3), etc…
Le compte de F. Philippot est mentionné 1,98% de fois ; ce qui signifie que les internautes s’adressent à lui de manière active ou de manière passive, car son nom suivi du #ONPC apparaît dans 17,8% des tweets selon le « Top hashtags »). Seulement 20,79% des tweets contiennent des emojis (? (3), ? (2), ? (2)), cela montre que le dialogue s’articule entre sériosité et exaspération – du premier degré principalement…
Cependant, la parole sur Twitter est-elle en mesure d’enrichir le débat, d’élever les consciences, d’influencer les opinions ? Comment s’articule-t-elle lorsqu’il s’agit d’un candidat qui fait « polémique » autour de lui ? Cartographier cet engouement pour le débat avec un candidat du Front National est très intéressant pour nos données scientifiques, ainsi nous ferons une typologie des internautes qui ont alimenté cette partie du talk-show, en nous appuyant sur des citations de tweets, de retweets ainsi que des données scientifiques collectées à l’Institut National de l’Audiovisuel.
Twitter confinerait-il à la concentration ou au contraire à la balkanisation ?
Les internautes qui encensent Florian Philippot sont principalement des soutiens du Front National, qui donc adhèrent aux idéologies du FN.
L’utilisateur saez @venise59280 tweete : « #onpc les bobos sont tous la… le meilleur ce soir sera philippot car pas bobo. » avec une photo de profil du drapeau de la France. Ici, nous sommes dans l’inverse de l’« absence de pensée » comme le dirait Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne : les utilisateurs ne sont pas là pour être « logiques » mais considèrent l’espace public (Twitter) comme un lieu de flux de pensées et non pas de flux d’actualités, avec une liberté d’écriture qui ne connaît pas de limites, ou peu. Il n’y a pas de « moment de retrait » possible : ce tweet prouve que cette « atomisation de la société » crée un espace commun où le langage est notamment relâché car les utilisateurs n’ont pas de recul sur leur propre parole puisque le dispositif les incitent à s’exprimer. Il n’est plus devenu nécessaire de se relire.
Le retweet de NonAuMariageGay @NonauMariageGay RT @31DJANGO : « en tous les cas c’est philippot qui marque des points..bravo pour son endurance… » : le pseudonyme de l’utilisateur est totalement influencé par les idéologies du Front National, on voit ici que l’espace public est également un lieu de rencontre de solitudes (cf. Senett, Les Tyrannies de l’intimité). Ce retweet montre également qu’une communauté est bien présente pour soutenir le discours (logos) de Florian Philippot à l’écran, cela nous montre que l’ « homophilie » (John Dewey) domine toujours le réseau social avec une tendance à s’unir au nom d’une idéologie commune. Cependant, cela ne rétrécit pas forcément l’information mais démontre une mobilisation importante pour un homme au coeur de débats controversés, voire violents.
L’espace public comme espace politique mène les individus à une “concentration” puisqu’ils s’identifient aux mêmes idées sous un nom (le parti du Front National) qui les rassemble au profit d’un combat commun. Malgré cela, on constate également qu’il y a une individualisation des points de vue, et une diversité des angles qui tend vers un débat contrasté avec des utilisateurs qui s’opposent à cet engouement pour Florian Philippot, et plus largement au FN.
Twitter, un espace démocratique sans débat constructif dans le cadre de la spectacularisation de l’émission ?
Le réseau social Twitter ne semblent pas constituer un espace d’échanges sur le débat de l’émission : en effet, les tweets n’ont pas réellement d’épaisseur lorsqu’il s’agit d’évoquer le contenu des échanges entre Philippot, le “modérateur” Laurent Ruquier et les chroniqueurs durant l’émission. Les tweets sont davantage orientés sur l’image publique que renvoie Florian Philippot, qui semble avoir été construite à travers de ses apparitions publiques antérieures. Nous étudierons le cas des internautes qui s’insurgent contre Philippot.
Romain Gros @Gros_romaon 2017-04-01 23 :20 :22 « #philippot est encore dans #onpc ??? tellement marre de le voir partout ! j’espere qu’il va se faire bouffer »
observateur @superprat _ 2017-04-01 22:21:00 « #ruquier joue a quoi la? #philippot le caniche de jean marine #lepen est encore la ? »
Quelques tweets antérieurs à l’émission du 1er avril utilisent un langage grossier voire vulgaire n’encourangeant pas à exprimer les convictions politiques mais plutôt une liberté d’expression qui tend vers le non-respect de l’ordre public, et alors une régression du niveau du débat. Comme le laisse penser Arendt :
« Seule la violence brutale est muette, et c’est pourquoi elle ne saurait avoir de grandeur ». [2]
Excepté quelques injures, les utilisateurs demeurent neutres et jouent sur l’ironie (emoji “?” favori). Certains pointent du doigt Florian Philippot quant à son incohérence notable avec ses propos émis lors de sa venue le 18 mars 2017 chez ONPC, c’est-à-dire quinze jours avant l’émission :
Fabien Barthès @FabienBarthes10 2017-04-01 22:14:46 « mr. philippot une nouvelle fois invite de #onpc. lui disait que c’etait une emission “anti-fn”, je vois qu’il aime bien y aller. #fhaine »
L’utilisateur se dit être “fan” de l’émission Quotidien dans sa biographie, et suit de nombreuses émissions d’info-divertissement (d’après ses autres tweets). Il défend sa position politique en dénonçant Philippot de manière ironique. Plusieurs profils de nature critique ont un impact important sur l’influence et l’importance du débat public, on remarque que le tweet est en général retweeté par d’autres utilisateurs, principalement grâce à leur notoriété sur le réseau ou la qualité de leur expression. De nombreux utilisateurs donnent le sentiment de « mettre en garde » avant l’émission. L’anonymat ne semble pas prôner mais au contraire, on remarque que des pseudonymes récurrents reviennent. Pendant l’émission, d’autres tweets ressemblent à des jugements tranchés et radicaux qui ne déclenchent que peu de réactions :
Quentin B @Quentin1309 2017-04-02 01 :43 :07 « immonde @f_philippot dans #onpc, en plus de representer un parti xenophobe au passe nauseabond, du mepris, des mensonges, de la parano… »
Twitter a donc la capacité d’élargir l’espace public démocratique grâce à l’intervention d’internautes avec une parole lourde de conséquences, et des “communautés” qui s’en suivent, cependant il s’agirait plutôt d’affirmation d’opinions que de véritables dialogues.
Twitter, un espace de conflit entre points de vue critiques et impartiaux
Certes, des indignés ou partisans de la politique de l’invité Florian Philippot ont beaucoup réagi sur Twitter, mais la majorité des tweets entre le début (23h23) et la fin de l’émission (3h28) critiquent le choix de casting de l’émission et la manière dont les journalistes “se jouent” de Florian Philippot. Il serait pris personnellement pour cible par les chroniqueurs.
Ereb @Erebxx 2017-04-01 23 :37 « #ONPC Philippot n’est pas de mon bord mais bonne chance à lui, en espérant qu’il envoie péter ces biens pensant journaleux de ONPC »
Paul-Taoufik @PaulTaoufik 2017-04-01 00 :04 :27 « @onpc J’espère que ce soir, Moix et Burggraf seront un peu plus présents et meilleurs face à Philippot »
Certains utilisateurs critiquent l’attitude des journalistes face à Philippot en comparaison avec l’émission du 18 mars. Le public de Twitter est dans l’attente d’une amélioration du débat dans l’émission, contrairement à son passage antérieur… or le risque est d’exposer le médiatique pour qu’il prenne encore le contrôle du politique. Les multiples venues de Philippot tendent à croire qu’il devient un personnage que les chroniqueurs peuvent déstabiliser.
Pierre-Louis @PLKappeli 2017-04-02 – Replying to @PLKappeli @f_philippot « Et finalement ils passent limite plus de temps à s’attaquer personnellement qu’à débattre… Toujours sur #ONPC »
Ici, Twitter montre un espace de représentation du conflit non plus parmi des partisans politiques, mais un public qui s’attaque à la structure de l’émission. Les internautes vont déconsidérer le débat en affirmant que le discours politique reste limité, remettant en cause notamment “l’autorité” de Yann Moix et Vanessa Burggraf qui empêche toute participation de fond et entravant la qualité de l’information.
Le nuage de mots montre que le mot « philippot » est au centre de l’émission, puis également « florian », « programme », « burgraff », « ruquier », « politique », etc. Sa venue a donc influencé les tweets durant la soirée du 1er avril via le talk-show de France 2. Twitter est un espace public à part entière où des critiques politiques et sociales fluctuent. On remarque cependant qu’aucun tweet n’a parlé du programme que Monsieur Philippot était venu exposer ou défendre (dans la logique des campagnes présidentielles). L’image médiatique des chroniqueurs et des invités occuperait une place plus importante que le programme. En effet, les tweets étaient principalement axés sur le personnage, sur l’idéologie qu’il véhicule, mais aussi sur son image, son apparence, sa gestuelle. Il est le spectacle de l’émission – tel un personnage de foire -, ce qui était probablement l’objectif de sa venue, pour créer du buzz et de la controverse. Le personnage ayant déjà beaucoup de notoriété est tellement connu qu’il n’est là que pour susciter des débats et faire parler de lui ; on jugerait l’homme par analogie avec la marchandise dans sa dimension médiatique [3] ; d’ailleurs, les réactions sur Twitter ne se sont pas faites attendre comme nous l’avons analysé ci-dessus. On obtient une typologie des internautes, « le débat ne tend pas vers l’élaboration d’une position commune, mais plutôt vers une multiplication de points de vue contradictoire » [4].
Twitter devient un espace démocratique qui sert de nombreux politiques pour alimenter un débat autour d’eux et de leurs partis. En cela, les internautes peuvent échanger au gré de leurs pensées, avec ou sans dépassements. Ainsi, Twitter est un espace public qui contient des limites mais aussi montrent que les processus théorisés par les chercheurs sont bien présents. C’est un réseau social en perpétuel renouvellement, et qui évolue sans cesse.
[1] La télévision « sociale » (ou « social TV » ) est le terme général utilisé pour toutes les technologies apportant une dimension communicationnelle enrichie et une interaction sociale à l’expérience télévisuelle en direct, ou en relation avec des contenus télévisuels
[2] ARENDT Hannah (1958), Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy Pocket, 1983, chapitre 2 Le domaine public et le domaine privé
[3] Interprétation Des Tyrannies de l’intimité par Richard SENNETT (1979)
[4] FLICHY Patrice (2008), « Internet et le débat démocratique » Réseaux 4 n°150
Alizée Cailliau, Léa Fong
Dans leur article “Twitter: un espace public à la portée de tous”, le groupe n°6 bis s’est penché sur la question suivante: Twitter offre-t-il l’opportunité d’un débat démocratique constructif, ou au contraire tend-il à une balkanisation des opinions? En s’appuyant sur l’analyse des échanges Twitter lors du passage de Florian Philipot dans l’émission “On n’est pas couché” du 1er avril 2017, l’équipe a soulevé plusieurs problématiques qu’il nous paraissait intéressant de développer en certains points.
Tout d’abord, l’équipe cite le concept de Social TV, ce qui est très pertinent compte tenu de son important développement ces dernières années et des conséquences qu’il implique. Le téléspectateur est aujourd’hui vivement encouragé à cette pratique, qui est devenue indispensable aux modèles économiques des productions audiovisuelles, et porte de nombreux enjeux: nouveaux usages des téléspectateurs, adaptation des producteurs de contenus, changement de pratiques des annonceurs publicitaires, évolution des modes de consommation… Malgré les bénéfices de la stratégie des deux écrans, on pourrait penser que cette pratique incite le spectateur à réagir de manière instantanée et donc ne le pousse pas à une participation qualitative.
Plus loin dans l’article, l’équipe se réfère aux propos d’Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne. L’avènement des nouvelles technologies a profondément modifié la société contemporaine avec le développement de nouveaux concepts comme l’uberisation, le streaming ou encore l’open source. La société de consommation est ainsi en pleine mutation et se dirige vers une société de l’utilisation. Ici, l’idée “d’absence de pensée” d’Hannah Arendt pourrait être complétée par les propos de Pierre Rosanvallon sur la perte de confiance dans les institutions, et notamment, les médias dont la légitimité est de plus en plus fragilisée. En effet, selon un sondage de Cevipof, 27% des français ne font pas du tout confiance aux médias. Ce phénomène associé aux opportunités des réseaux sociaux et au développement de nouvelles manières de s’informer (médias alternatifs, succès des leaders d’opinions avec les blogs, Youtube…), où la frontière entre la pratique professionnelle et amateur est de plus en plus poreuse, pourrait être l’une des causes de l’anarchie du discours régnant en maître sur Twitter.
Aussi, depuis plusieurs décennies, les citoyens sont largement sensibilisés sur l’impact de chacun sur la planète, sur l’idée que chacun à son échelle peut apporter quelque chose à la société. Cette forte responsabilisation individuelle est peut être également responsable de la survalorisation de l’intimité, comme l’indique Richard Sennett et de la survalorisation du discours, qui pousse l’utilisateur à la bataille d’opinion, et non à la recherche du compromis.
En conclusion de l’article, l’équipe remarque qu’aucun tweet n’a mentionné le programme du Front National, censé être au centre du débat. Cette constatation illustre parfaitement le mode de fonctionnement de Twitter, où le sensationnalisme semble l’emporter sur l’idée.
Twitter est une plateforme aux intentions troubles, où la dichotomie entre l’obsession du buzz et l’irrépressible logorrhée permis par l’anonymat n’aboutissent qu’à un asservissement détourné de son utilisateur. Si l’opinion n’est que le symptôme d’une époque, Twitter n’est que le virus hautement contagieux de “l’absence de pensée” d’Hannah Arendt.
– ARENDT Hannah (1958), Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy Pocket, 1983, chapitre 2 Le domaine public et le domaine privé
– Interprétation Des Tyrannies de l’intimité par Richard SENNETT (1979)
Le motif du « double screening » s’inscrit dans l’évolution médiatique de notre société qui se porte sur un désir toujours plus grand de « décryptage ». Le réflexe de décrypter toutes les surfaces médiatiques, et avant tout télévisuelles, se développe dans des pratiques de « social TV », d’autant plus favorisées par les dispositifs de l’immédiateté et par le goût du spontané, valorisé par le format court et cumulatif de Twitter. Ce réflexe repose sur un refus de toute forme de naïveté : on postule que tout est calculé et intentionnellement mis en stratégie (exemple de la fiche de Florian Philippot à l’écran, comme une stratégie de théâtralisation !). C’est probablement cette instantanéité « décryptante » qui marque un nouveau rapport à la participation au débat sur Twitter, comme le souligne Maylis. Et qui accompagne, tout en l’encourageant, la défiance et la méfiance vis-à-vis des médias et des institutions dont parle Pierre Rosanvallon, dans le double sens où les médias sont de plus en plus désignés comme des acteurs institutionnels, et où les institutions apparaissent comme des médiateurs en voie de perte de crédibilité.
La promesse du second écran est, en effet, de doublonner les contacts à la fois par l’écran de la télévision et par celui du smartphone (Twitter), produisant un emballement du côté des internautes pour qui la multiplication des espaces de discussions et des possibilités devient sans fin. Aussi peut-on penser que l’on perd donc en qualité (du débat) ce que l’on gagne en quantité (des surfaces d’expression).
En 2017, ce qui définit notre rapport au monde, c’est la multiplication des écrans, au sens large, soit tout ce qui engage l’idée d’une surface d’inscription. Twitter est un espace public où tout le monde a la possibilité d’exprimer son point de vue. Cependant, les utilisateurs sont parfois tentés de vouloir se distinguer de tous les autres selon des logiques de provocation : ils sont nombreux à vouloir choquer pour pouvoir être d’autant plus visibles dans leur time line. On pense à l’économie de l’attention théorisée notamment par Yves Citton (ainsi que Lanham et Godhaber) où il est nécessaire de multiplier les interactions – en l’occurrence sur Twitter -, afin de capter le plus possible à son profit les commentaires, les likes ou les rejets, bref : les reprises. Cela s’intensifie lorsqu’il s’agit d’un homme politique invité sur un plateau, d’autant plus lorsqu’il est clivant comme c’est le cas avec le FN. Pendant que, sur le plateau, l’invité et les interviewers cherchent à créer l’événement discursif, chaque internaute cherche potentiellement – sur son « second écran » – à se faire remarquer soit avec une « vanne », soit par un jeu de mots, soit par son langage propre, etc.
Néanmoins, pour discuter le processus d’individualisation des internautes, on peut penser aux travaux de Loïc Blondiaux qui nuancent les effets néfastes du processus en disant qu’il permet l’ouverture d’un débat dont l’expression et la mise en visibilité des points de vue minoritaires, et l’expression du dissensus. C’est une arme de contestation : les débats peuvent s’exprimer de façon plus large. Twitter serait alors un élément de transformation politique avec l’idée que le citoyen est aussi un individu davantage « expressif », qui a un point de vue et peut l’assumer sans pour autant être forcément un militant.
Cependant, nous avons constaté, par notre recherche scientifique à l’INA, que peu de militants du Front National discutaient de manière constructive la venue et le programme de leur candidat. Cela donnait lieu à beaucoup de haine et d’excès, ravivant des propos racistes et des stigmatisations (cf. tweets contre les homosexuels).
La venue de Philippot sur le plateau d’ONPC n’a plus pour but de fournir un discours politique purement rationnel (discours d’influence produit dans un monde social où le but est d’agir sur l’autre pour le faire croire, pour le faire agir). La rhétorique spectaculaire (Guy Debord et le situationnisme) prime sur la vérité du discours, l’art de la parole est uniquement maniée comme un instrument de pouvoir par lequel l’orateur (Philippot) fait de la politique son terrain d’exercice. L’exposition médiatique accrue est aussi le résultat de la tournure hyper présidentielle que le Front National a donné à voir. Il y a une nécessaire aliénation de la parole de Philippot, sa voix n’est pas personnelle. Le contexte de crise aiguise les sensibilités, et rend moins réceptif à l’humour. Il est question pour lui de véhiculer l’idéologie du FN et d’en être le porte-parole : une parole « sans tabou », faisant valoir l’« identité nationale », quitte à donner lieu à des dérapages en direct (s’il en a l’occasion).
On peut se demander si ce parler libre repose sur une opération de marketing politique destinée à promouvoir la candidature de Marine Le Pen comme une femme proche des Français ou s’il n’est pas une production de la société de la télévision et de l’accentuation des reprises et des commentaires sur les réseaux sociaux comme Twitter ?
La sur-médiatisation de Florian Philippot viendrait alors pallier un manque de pouvoir (cf. Régis Debray) et donc un manque de partisans pour adhérer à son programme. En effet, son profil d’homme politique change alors : il tente toujours d’afficher un visage agréable et une parole aisée et décomplexée. À propos de cette compétence médiatique, Debray parle d’une nouvelle race d’animaux politiques, les hommes d’Etat doivent aussi avoir des liens dans la sphère médiatique, ce qui est une preuve de sérieux, et ce malgré leurs différends, surtout concernant le Front National. Mais les médias ont également participé à la dédiabolisation du Front National. Leur lien est donc d’autant plus fort. Twitter est donc aussi complice de cette machinerie, puisqu’il y participe vivement.
Alizée Cailliau