« Ce film existe. Je ne sais pas encore les répercussions qu’il aura sur moi, mais je sais que je l’ai fait aussi
par amour pour l’enfant que j’ai été »
Emmanuelle Béart
1986. Sur le plateau de Dossiers de l’Écran, en direct des studios d’Antenne 2, les mots d’Eva Thomas auront l’effet d’un terrain miné que les médias auront jusque-là, semble-t’il tenté de contourner. « A 15 ans, j’ai été violée par mon père ». Il s’agit d’une première. D’une voix accordée en direct sur une chaîne de télévision française à plusieurs victimes d’incestes. Faisons un bond dans le temps. Le 20 novembre 2023 se tiendra, à la maison de la radio, la présentation publique des travaux de la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) menés durant ses deux ans d’existence et corollaire du mouvement #metooincest.
Le film documentaire Un silence si bruyant s’inscrit de manière prégnante dans une même veine contestataire aux côtés d’autres œuvres, cette fois littéraires, récentes. Citons, en ce sens, les ouvrages Le consentement (2020) et La Familia grande (2021), respectivement écrits par Vanessa Springora et Camille Kouchner. Coréalisé par Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova, Un silence si bruyant s’attèle, lui, à éveiller une prise de conscience en une justice qui semble démissionner à l’égard d’un un problème insoluble. Durant 1 h 40, les deux femmes, réalisatrices et actrices, vont partir à la rencontre de quatre victimes d’inceste, pour en recueillir le récit et confronter leurs réalités à celle d’Emmanuelle Béart. Le visionnage de ce documentaire nous à permis de questionner la place qu’occupent les sujets de l’intime dans le débat public, mais aussi par quels moyens ils s’y insèrent.
Dans un premier temps, il nous semblait important de comprendre l’omerta qui, en France, entoure les prises de parole sur « ce crime que l’on rougit de nommer » au point de rendre le sujet tabou. Nous interrogerons les similitudes et différences dans les histoires partagées, le défis que cela relève d’en parler publiquement, et en quoi le documentaire peut s’avérer légitime d’usage.
Dans un second temps, nous tenterons un retour réflexif au sujet de sa mise en forme, l’objet documentaire en lui-même. Successivement, nous analyserons ici, la forme ambivalente du documentaire, entre documentation du réel et fiction, et particulièrement les moyens empruntés à ces deux formats audiovisuels. Nous verrons ensuite comment l’histoire et la notoriété d’Emmanuelle Béart permettent de l’inscrire en figure d’autorité pour donner droit de cité aux victimes d’inceste.
Documenter le réel, la possibilité de sensibiliser par le partage de l’expérience.
Alors que son métier d’actrice pourrait la pousser à rester sous les projecteurs, Emmanuelle Béart se confie autant qu’elle laisse la parole à ceux qui l’ont aidé. « Réveiller et éclairer des parties d’elle-même » dit-elle. Norma, Joachim, Pascale et la fille de Sarah ont eux aussi vécu l’indicible. Comme anesthésiée durant une partie de sa vie, Emmanuelle tente à son tour d’apaiser sa propre détresse en écoutant les maux des autres. A travers leurs témoignages, ces victimes, avant tout citoyens ordinaires, vont par ce que l’on pourrait nommer une forme d’héroïsme démocratique (Tassin ; 2013 p. 31 ) lier récit de l’intime et sphère publique.
Peu de victimes semblent pouvoir restituer des images précises, tant l’amnésie traumatique a refoulé et étouffé, les agressions. Si les yeux ne peuvent accepter ces souvenirs, le reste du corps reste marqué, même à l’âge adulte. Chacun des parcours est différent, mais l’emprise est la même, les angoisses permanentes aussi. La peur à la tombée de la nuit, celle d’être agressé, d’être enfermé, de ne pas être cru. La peur d’avoir ne serait-ce qu’un instant aimé. Les concernés se confient sur une sexualité aliénée, brouillée par un traumatisme qui les a privés, à posteriori, de plaisir et de confiance, jusqu’à parfois les pousser vers des comportements à risque. A la rencontre d’un psychologue, Emmanuelle Béart et Norma, comédiennes, font le lien entre leur rapport au corps à travers le prisme perverti de l’inceste. Il aurait été auparavant leur seul objet de valeur mis en avant et car trop tôt sexualisé.
Le caractère délicat du sujet n’empêche pourtant pas, aux moments de lumière, d’exister dans le documentaire. De son côté, le témoignage de Pascale la donne à voir comme tentant de reconstruire « le puzzle de son enfance ». Déjà paralysée par de nombreuses phobies, c’est après avoir vu en salle Les Chatouilles (2018) que les souvenirs de douze années oubliées ont resurgi. Après un long isolement, Pascale réunit sa famille et laisse la caméra filmer, avec pudeur, l’annonce à ses proches de l’inceste commit par son défunt père. Aussi dure à verbaliser qu’à entendre, la lourdeur des paroles ne dissout pas les liens familiaux et est accueillie avec bienveillance, comme une vérité. Parmi les victimes d’inceste, on trouve ceux que l’on a emmurés dans le secret comme Pascale et Emmanuelle, mais aussi ceux qui tentent, ou ont réussi à obtenir justice comme Joachim et Norma.
Dédommagée après le procès de son grand-père, auteur de son inceste, le plus grand projet de vie de Norma est de se rendre fière. Comédienne, elle fait part dans le documentaire, de son spectacle ayant pour but d’éveiller les consciences, mais surtout de ne pas laisser son bourreau gagner. Néanmoins, il est expliqué que les cas les plus courants sont similaires à celui du courageux Joachim, sorti du silence après vingt ans. Dans une bataille judiciaire contre ses deux parents, il exprime, avant tout, sa quête de réparation, bien qu’il n’envisage pas la condamnation. Il explique être, certes entendu, mais « la justice patauge », lui faisant perdre espoir progressivement.
[Mes peurs] « je les soufflais dans un ballon et je les jetais super loin. »
Fille de Sarah
Le documentaire touchant à sa fin, nous observons enfin l’échange entre la jeune fille de Sarah et Emmanuelle Béart. Cette dernière s’émeut de voir l’enfant qu’elle a un jour été, partageant le même vécu qu’elle. C’est pourtant bien elle qui, étonnamment, a le moins de mal à faire table rase du passé. Au contraire, une fois adulte, l’enfant affirme ne plus être prise par un sentiment de honte ou de peur lorsqu’il s’agit de parler publiquement de l’inceste dont elle fut victime. On se prend, comme Emmanuelle Béart, d’admiration pour elle qui a su se faire entendre et se sauver elle-même alors que la justice n’a pas toujours été de son côté.
Accusée à tort du syndrome d’aliénation parentale, Sarah a dû observer sa fille retourner chez son père qui l’agresse à répétition. Sa condamnation fut synonyme de reconnaissance pour Sarah et sa fille. Leur histoire constitue une belle fin, qu’en est-il des autres, de ces victimes, définitivement abandonnées par la justice ?
Nous pouvons voir que la forme documentaire permet d’éclairer de manière poignante la réalité de l’inceste. En partageant son propre vécu, et à travers le dialogue, l’actrice ouvre la voie à une expression libératrice pour les autres victimes. L’utilisation de témoignages permet d’illustrer ici les séquelles laissées par l’expérience de l’inceste chez les victimes, telles que l’amnésie traumatique ou les angoisses permanentes. Les récits de résilience, comme celui de Norma utilisant l’art pour sensibiliser, contrastent avec les défis juridiques que rencontrent des survivants tels que Joachim. Le film soulève ainsi des questions d’ordre juridique évidentes quant à la capacité de la justice à répondre aux besoins de réparation des victimes.
L’échange émouvant entre Emmanuelle Béart et la fille de Sarah met en lumière la diversité des expériences et la force des survivants. Alors que le documentaire s’achève, il pose implicitement la question persistante : comment garantir une protection adéquate à ceux qui, abandonnés par le système, endurent en silence ? Ainsi, le documentaire matérialise une réflexion profonde sur les insuffisances dans la reconnaissance et la défense des victimes d’inceste.
Un format hybride, entre film documentaire et film de fiction – un choix stratégique ?
Si en 1986 sur le plateau d’antenne 2, les mots d’Eva Thomas avaient véritablement su marquer un tournant remarquable quant à la question de l’inceste dans les médias, il serait inexact d’affirmer que les images, les mots, ont aujourd’hui en eux une portée tout aussi conséquente. Les sujets se banalisent, les images n’impactent plus, et les médias tirent sans cesse sur les mêmes cordes, ne donnant plus à voir le caractère insoutenable qu’elles pouvaient avoir de prime abord. À cet égard, sortir des formats classiques peut s’avérer avantageux – voire nécessaire – lorsqu’il s’agit de soutenir une cause d’intérêt public. Un silence si bruyant, cet hybride à mi-chemin entre film de fiction et film documentaire en est l’exemple.
Tenter de définir correctement le film documentaire s’avère être une tâche délicate tant il fait figure de « bâtard mal-aimé » (Arbois-Chartier) dans le paysage audiovisuel. Il pouvait être défini à l’origine comme un film s’efforçant de « supprimer toute médiation – acteur, mise en scène, voix-off » (Jouve ; 2019 p.61). Il faudra attendre les années cinquante-soixante pour ne plus percevoir le documentaire comme relevant de « la préhistoire d’un cinéma » (Gauthier, Pilard, Suchet ; 2003 p.8) mais bien comme un format intégrant des moyens techniques issus du film de fiction. Le documentaire, alors actualisé, se voit recevoir « le renfort d’une parole qui lui est étrangère » (ibid) .
Ceci dit, comme le souligne Didier Mauro, « Le documentaire a pour objet la restitution d’une réalité, par un document, et lors du tournage, le hasard, l’incontrôlable interviennent avec constance et force » (2005 ; p.5) avant de compléter, en opposition à la fiction qui elle est « fondée sur un récit écrit, dont les éléments textuels, la mise en scène, le jeu d’acteurs sont prédéterminés, contrôlés, et, autant que faire se peut, maîtrisés ». Un silence si bruyant emprunte à ces deux formes audiovisuelles, cela se remarque simultanément à travers des éléments visuels, sonores et symboliques.
Nous pouvons voir, d’abord, que les choix des cadres et de cadrages ne sont pas laissés au hasard. À plusieurs reprises, il est possible de prendre part aux discussions entre Emmanuelle Béart et les victimes dans des lieux choisis en résonance avec l’omerta entourant l’inceste. Il s’agit par exemple de cette dernière séquence citée plus haut, entre la fille de Sarah et l’actrice. Tournée au bord d’un lac désert, sous un coucher de soleil, les deux femmes sont seules et le silence, hormis comptant leurs paroles, règne. Cette mise en scène est renforcée par différents cadrages (plans poitrine, large, rapproché) supprimant toute pollution visuelle alentour, la donnant à voir, de fait, tragique et réfléchie. Il est également possible de constater cette maîtrise dans des entretiens en studio, dont le focus sur les victimes permet de se focaliser sur leurs discours. De nouveau, divers plans poitrine, taille et américains, rendent tangible de manière plus forte encore la mise en scène du discours à l ‘écran. À ces éléments s’ajoutent des micro-films d’animation en stop motion, rappelant l’univers de l’enfance des victimes. Finalement, une séquence nous a paru particulièrement intéressante, lorsque Joachim se retrouve entouré par Anastasia Mikova et Emmanuelle Béart, tous trois assis au milieu d’un jardin pour enfants. Cette séquence n’est pas anodine, et signifie, pour le spectateur, la possibilité d’échanger avec ses proches, sur l’inceste, à voix nue comme pour d’autres sujets, dans l’espace public.
Par ailleurs, des incrustations sonores sont empruntées au film de fiction. Comme le souligne Jouve, l’émotion est « le grand moteur de la séduction narrative. Ce que le public attend d’une histoire, en particulier dans le champ de la fiction, c’est d’abord qu’elle le touche, le remue, le fasse vibrer » (2019 ; 61) . Étant donné la position contestataire que prône Un silence si bruyant, et comme voulant agiter la conscience publique, le recours à la fiction peut sembler légitime quitte à s’éloigner d’une forme classique de documentation du réel. Cela se matérialise par des voix-off à plusieurs reprises. Lors des prises de parole d’Emmanuelle Béart, la bande son diffère de celle accompagnant la voix-off des victimes, la plaçant à part dans le documentaire. Ce décalage, sans doute nécessaire, pour déclencher un intérêt chez le public, est renforcé par le fait que les textes de l’actrice, toujours en voix-off, sont écrits et récités de manière ponctuée à l’inverse des victimes. Tout au long du documentaire, diverses bandes sonores que l’on peut qualifier, en des termes musicologiques, de Mesto, Sotto Voce, ou Pesante, sont utilisées pour signifier, respectivement et tour à tour, une émotion mélancolique, une ambiance mystérieuse, intime, et une lourdeur pesante.
Finalement, remarquons l’utilisation d’un élément symbolique et non pas des moindres, l’intégration de l’actrice Emmanuelle Béart. Cette dernière, qui occupe une place ambivalente dans le documentaire, a l’avant et derrière la caméra. Sa carrière longue, reconnue et incontestable dans le milieu cinématographique en France et à l’international la placent en figure d’autorité, et donne aux victimes d’inceste, droit de cité dans l’espace public.
Un documentaire nécessaire pour la reconnaissance des victimes dans l’espace public médiatique.
À travers une prise de parole courageuse, Un silence si bruyant expose la réalité dérangeante de l’inceste, offrant un espace de discussion médiatisé, aux victimes pour partager leurs expériences. La première partie de notre travail nous a permis d’explorer les mécanismes de l’omerta en France entourant l’inceste, en soulignant les similitudes et les défis rencontrés par les victimes lorsqu’elles tentent de s’exprimer publiquement. Le documentaire se révèle être un outil légitime pour briser le silence et sensibiliser l’opinion publique. La seconde partie nous a permis d’analyser la forme hybride du documentaire, oscillant entre fiction et réalité. Les choix artistiques, du cadrage à la bande sonore, démontrent une maîtrise intentionnelle qui renforce l’impact émotionnel du film. L’incorporation de l’actrice Emmanuelle Béart en tant que réalisatrice et actrice établit une autorité symbolique, offrant une légitimité particulière aux victimes.
Finalement il serait opportun d’interroger la diffusion paradoxale du documentaire. Un silence si bruyant, bien que d’utilité publique, fut diffusé sur une chaîne privée, et en seconde partie de soirée. Les réactions face à cela ne se sont pas fait attendre sur les réseaux et dans la presse, où internautes et journalistes s’indignent de son passage tard dans la nuit, comme un “interdit” à mettre hors de la vue des plus jeunes publics. Il s’agit du principal public concerné. Cette forme de mépris social de la part de la chaîne privée, soutient ici une forme de persistance de la domination masculine dans la sphère privée, au point de se demander de quel côté se range M6. Par ailleurs, nous pouvons nous interroger quant à la part invisibilisée, par le documentaire, de l’inceste commis par des personnes de sexe feminin, n’en donnant aucun à voir.
Un silence si bruyant émerge et s’inscrit comme un témoignage puissant, utilisant une forme actualisée du documentaire pour éclairer la réalité de l’inceste. Il souligne les lacunes juridiques tout en invitant à une réflexion sur les conditions de vie à venir des enfants incestués. Cela nous amène à nous questionner de manière plus large quant à l’engagement des médias dans ces luttes pour la reconnaissance de groupes marginalisés dans l’espace public. Dans cet ordre d’idées, il nous vient ici à l’esprit l’accablant Webdocumentaire Enterre-moi mon amour (2017) , diffusé par la chaîne franco-allemande Arte, dans lequel il est question de donner une place d’importance au public devenant lui- même « acteur ». Nous sommes convaincus que ces nouvelles formes d’instruction, par des moyens audiovisuels classiques, mais actualisés, voire interactifs, peuvent permettre d’ouvrir le discours sur des sujets d’ordre privé et par conséquent devenir des outils puissants de pouvoir sur les consciences.
Bibliographie
- AMBROISE-RENDU Anne-Claude, Briser le tabou. Du secret à la parole médiatique, le tournant des années 1970-1990, Sociétés & Représentations, 2016/2 (N° 42), p. 59-72. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm. consulté le 5 novembre 2023.
- ARBOIS-CHARTIER Janick, le documentaire a la télévision, in (dir.) HENNEBELLE Guy, CinémAction, le documentaire français, cerf , date inconnue, p.186
- GAUTHIER Guy, PILARD Philippe, SUCHET Simone, Le documentaire passe au direct VLB Editeurs , 2003, p.8.
- JOUVE Vincent, « 2. Le besoin d’émotions », dans : , Pouvoirs de la fiction. Pourquoi aime-t-on les histoires, dir. JOUVE Vincent. Paris, Armand Colin, « La lettre et l’idée », 2019, p. 61-92. URL : https://www.cairn.info/pouvoirs-de-la-fiction–9782200627096-page-61.htm. consulté le 5 novembre 2023
- MAURO Didier, Le documentaire, cinéma et télévision, écriture, réalisation, production, diffusion, formation, Dixit Editions, 2005, p.15
- TASSIN Étienne, Les gloires ordinaires. Actualité du concept arendtien d’espace public, Cahiers Sens public, 2013/1-2 (n° 15-16), p. 23-36. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-sens-public-2013-1-page-23.htm consulté le 5 novembre 2023.
Chers camarades,
Nous avons eu un grand intérêt à lire votre article et nous avons apprécié la thématique étudiée. En effet, et vous l’avez bien mis en avant, il est évident que le sujet de l’inceste a, durant longtemps, été tabou en France, et que, de ce fait, le documentaire Un silence si bruyant est d’une grande importance dans la quête d’une parole décompléxée.
Tout d’abord, le contexte historique et culturel que vous avez posé dès le début de l’article, notamment en mentionnant le #metooinceste , permet de comprendre le traitement qui a été fait de ce sujet par le passé. Le fait de revenir sur le rôle éducatif que peuvent avoir les médias sur la place de sujets aussi intimes est très intéressant. Votre article est une porte ouverte sur cette réflexion et nous pousse à réaliser l’impact que ces documentaires peuvent avoir dans la perception publique, l’ouverture d’un dialogue et une mobilisation sur le sujet difficile de l’inceste. Cela se fait notamment grâce à une mise en avant de la parole des victimes dont il est, en effet, nécessaire de souligner le courage. La partie sur les différentes formes d’invisibilisation partielle du documentaire était selon nous très juste puisque la diffusion de ce celui-ci – qui semble d’intérêt public – gagnerait à être diffusée à une heure de grande écoute. Restreindre sa visibilité à un public jeune et peu averti questionne sur les volontés des programmateurs.
Nous avons trouvé que, dans sa forme, l’article tourné à la manière d’une dissertation, permet une compréhension claire au lecteur malgré une forme quelque peu scolaire (l’utilisation du “nous allons”). L’analyse est bien introduite, le cheminement des réflexions des auteurs est distinctement exposé dans l’avant-propos, et le sujet du documentaire clairement résumé. En ce qui concerne les titres, ils sont bien articulés et bien rédigés, cohérents, ni trop simples ni trop longs, et collent au propos qui les composent. De plus, la référence aux mots d’Eva Thomas dans l’accroche est très pertinente. On apprécie une plume originale et un style remarquable, on remarque que les auteurs ont mis de la personnalité et du caractère dans leurs écrits. Le vocabulaire employé, riche, est très appréciable. Cette qualité fait cependant aussi défaut à la lecture de l’article. Le style, quelque peu alambiqué, rend parfois l’article en question plus compliqué à suivre. La syntaxe est, par moments, assez étrange, surtout quant au placement des virgules. Sur le fond, l’article est donc une analyse fournie et approfondie du documentaire étudié.
Afin d’élargir quelque peu notre échange, nous aimerions savoir si vous considériez qu’il était possible d’étudier cette œuvre à travers la conception que se font certains philosophes de la notion d’espace public. En effet, on pourrait par exemple s’inspirer d’Arendt, qui pensait que rendre public certaines choses donnait à ces dernières une valeur supplémentaire. Dans le cas de votre article, cette pensée semble s’appliquer car le documentaire, une fois rendu public, permet de continuer dans la voie de la libération de la parole. Pourrait-on, de la même manière, s’intéresser à l’œuvre à la lumière des théories d’Habermas ou de Fraser ?
Merci d’avance de votre réponse !
François, Alice et Leoluca
Chers camarades,
Merci pour votre lecture attentive et votre commentaire que nous avons plaisir à lire. Nous sommes touchés de voir que ce sujet n’intéresse pas que nous et qu’il peut être pris en compte par tous. Nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour le vocabulaire “alambiqué” et le format scolaire de l’article, après relecture, nous reconnaissons que notre style d’écriture peut être compliqué à suivre par moment. Nous avions cependant tout intérêt à retranscrire notre attachement à ce sujet.
En ce qui concerne le lien que vous avez fait entre la notion d’espace public par H. Arendt, il est tout à fait pertinent. Comme vous l’avez suggéré, Arendt estime qu’une problématique devient un “sujet de société” dès lors qu’il émerge du privé pour être discuté publiquement au sein de la démocratie. Cette reconnaissance après une prise de parole publique permet alors une véritable existence du problème, une prise de valeur. Néanmoins, comme nous l’avions mentionné, l’heure de diffusion tardive cloisonne le sujet, lui privant de la plus grande publicité l’empêchant ainsi de devenir une préoccupation commune. Cela peut faire écho à l’étude de Fraser. Cette dernière mentionne l’existence d’arènes discursives parallèles, comme la CIVIISE, où les groupes sociaux subordonnés se réunissent pour s’émanciper et permettre à leur cause de se faire une place dans l’espace public. C’est l’occasion pour saluer une fois de plus les victimes poussées au silence.
D’autre part, il est également possible de s’intéresser à l’œuvre à la lumière de la théorie habermassienne. Habermas soutient que l’espace public naît de l’espace culturel qui lui favorise la démocratie. En ce sens, cet exemple s’applique donc au documentaire qui permet au débat de se propager bien au- delà des médias.
Enfin pour vous tenir au courant de l’actualité autour de l’inceste, nous voulions vous informer du maintien de la Civiise, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Néanmoins, une bonne nouvelle n’arrive jamais seule ! Onze membres ont démissionné de la Commission ce 14 décembre en protestation contre le remplacement du magistrat Edouard Durand. Ils dénoncent l’éviction de ce dernier de la direction de la CIVIISE et leur crainte que le sujet de l’inceste soit de nouveau mis à l’écart pour parler des violences sexuelles envers les mineurs en général.
Merci encore pour votre retour. 🙂
May-Ly et Raphaël