Des hauts et débats - Master Industries Culturelles - Université Paris 8

Au lendemain du débat Zemmour/Mélenchon et à la veille des élections présidentielles, Zemmour est de toutes les têtes d’affiche. S’il n’est pas invité, les médias en parlent. Loin d’être un simple choix journalistique, le phénomène Zemmour en dit bien plus sur le traitement de l’information par les médias que l’on ne peut le penser. Car ce qui nous a interpellé est bien le fait que Sud Radio (en débattant sur la montée de Zemmour dans les sondages grâce, ou non, aux médias) tente de faire une critique de ce qu’ils font précisément en réalisant ce débat : parler de Zemmour dans les médias. Mais pourquoi ce sujet monopolise-t-il la parole médiatique alors que, contrairement à ce qui a pu être dit dans ce débat, bien d’autres sujets d’actualité pourraient être traités à la place ? Le traitement médiatique d’Eric Zemmour chez Sud Radio n’est-il pas le symptôme d’un phénomène plus profond dans les médias ? 

Création du “cas Zemmour” par les médias

La grande question est de savoir comment le phénomène Zemmour s’est construit. Il est évident que les médias ont contribué à faire parler de lui mais l’approche des élections présidentielles ainsi que ses propos provocateurs ne font qu’accroître cette polémique, au cœur de l’actualité.C’est ce que tente de comprendre les invités du plateau ; Mathieu Souquière, politologue et expert associé à la fondation Jean Jaurès et Patrick Bonin expert en communication.  « C’est un homme de média » comme le rappelle Patrick Bonin, premier invité du débat de Sud Radio. Le politicien saurait comment faire parler de lui en restant vague dans ses propos. Il donnerait l’impression d’un discours simple sans programme, qui pourrait tout à fait correspondre à un discours présidentiel. L’absence de candidats de gauche et de droite laisse encore plus de champ libre à Éric Zemmour. En effet, ce qui permet à Éric Zemmour de multiplier les invitations sur les plateaux télés et radios mais aussi des questionnements constants sur ses propos ; Mathieu Souquière, deuxième invité de ce débat, dit bien « soit Éric Zemmour est invité soit on parle d’Éric Zemmour qui n’est pas invité ». Les journalistes tentent de remettre en question les idées du polémiste et le poussent à dévoiler ses véritables intentions. Toutes ces interrogations nous amènent à se demander en quoi Zemmour serait plus exposé aux médias plutôt qu’un autre ?

C’est sans compter sur son succès également phénoménal dans l’édition. Comme le rappelle Mathieu Souquière « plus de 100 mille exemplaires de l’ouvrage d’Éric Zemmour ont été vendus en moins d’une semaine ». Il pourrait donc s’agir d’une « bulle médiatique » que l’on va de soi comparer à la « bulle de Macron » qui s’est produite en 2017 à l’approche des élections présidentielles. On peut donc supposer que Zemmour entreprend la même démarche de médiatisation qu’avait faite auparavant le phénomène Macron. Ces signaux portent à croire qu’il s’agit bien là d’une préparation à l’élection présidentielle de 2022, mais qui reste encore incertaine à ce jour. Les médias ne seraient-ils pas en train d’aider Zemmour et de lui donner de la publicité ?

Comme le précise Souquière, pour faire parler de soi et devenir un « effet de mode » cela signifie que l’opinion publique doit être favorable à ses propos. L’idée de Zemmour sur la dégradation actuelle de la France est partagée par un bon nombre de Français. Je cite « 80% des Français adhèrent que la France est en déclin » et Zemmour ne se cache pas de le dire haut et fort. Il a très bien compris que l’enjeu primaire dans ses représentations médiatiques sera de mettre en avant la question de la sécurité en lien avec l’immigration ainsi que celle de l’identité. En reliant ses différents points, il remet en cause la pensée individuelle de chacun qui fait écho à une grande partie de la population.

C’est en adoptant cette position que de plus en plus de personnes sont en accord avec ses idées. Pour ce qui est de l’économie, il choisit d’en faire un discours secondaire car il sait que c’est un sujet très délicat qui peut déjouer en sa faveur, n’ayant aucune compétence, c’est pourquoi il évite d’en débattre. Mais est-ce que Zemmour est traité de la même manière dans chaque média ?

Patrick Bonin relève qu’il existe une ressemblance frappante : en effet, Laurent Ruquier a été l’un des premiers défenseurs d’Éric Zemmour, ils ont travaillé ensemble sur France 2 pendant 5 ans. Mais il s’est désengagé à son entrée dans le monde politique.  

Les médias se servent de son nouveau profil en tant qu’homme politique car il fait parler de lui, il est donc un invité qui fait monter les audiences. On l’a bien constaté lors du débat sur BFMTV contre Mélenchon qui s’est déroulé au même moment qu’un autre débat de la droite qui a reçu « une audience famélique » comme le dit le politologue.  

Mais comme le soulève Souquière, certains plateaux tels que Le Figaro et Cnews lui offrent à plusieurs reprises une tribune libre sans le moindre concurrent ou contradiction.

On ne peut donc nier que les médias aient contribué au succès de Zemmour car les médias se servent de ce potentiel candidat comme un moyen de créer une perturbation dans la campagne présidentielle 2022. En effet, il va s’immiscer dans la traditionnelle opposition « Macron/Le Pen » qui elle-même suscite un vrai rejet ; ce qui est un excellent avantage pour lui.


La création d’une opinion publique favorable à Zemmour ? 

Les médias contribuent-ils pour autant à la création d’une opinion publique favorable à Zemmour ? Contrairement à de nombreux débats, celui-ci est marqué par la non prise de position de la part des intervenants. Le dialogue, dans le fond comme dans la forme, survole le sujet et s’en éloigne même parfois. 

Tout d’abord ce débat est très court : 14 minutes et 24 secondes pour sa rediffusion sur YouTube, et il ne compte que deux intervenants : Mathieu Souquière et Patrick Bonin qui parlent respectivement environ 5 et 4 minutes. L’animateur, qui prend la parole environ 4 minutes également, pose des questions à l’un, puis à l’autre, de sorte que les invités ont un temps de parole certes équitable mais qui ne permet pas d’entrer en profondeur dans le sujet. D’un point de vue syntaxique, l’organisation de ce court débat n’aide pas à construire une discussion argumentée : les deux intervenants ne se parlent pas, ils sont à distance (ils ne sont pas présents sur le plateau) et même si l’on comprend qu’ils s’entendent, on se demande s’ils se voient. Ce dispositif ne facilite pas l’interaction qui est la base du dispositif de débat. De plus, Mathieu Souquière et Patrick Bonin sont généralement d’accord l’un avec l’autre sans prendre réellement position sur la question : pour Mathieu Souquière la « bulle médiatique contribue à la promotion de Zemmour » mais dans un même temps « il ne faut pas accabler les médias ». Pour Patrick Bonin, les médias invitent Zemmour parce qu’il fait de l’audience. Mais dans le fond aucun des deux ne questionne les conséquences de l’emballement médiatique autour de Zemmour, qui est encore une fois censé être le sujet du débat, à savoir si les médias font monter Zemmour dans les sondages et donc s’ils créent une opinion publique favorable.

On remarque donc que le débat est davantage centré autour d’une justification de l’utilisation du sujet de Zemmour dans les médias qu’autour des conséquences d’un tel traitement comme le suggère le titre du débat. Il ne s’agit pas tant de savoir si les médias font monter Zemmour mais plutôt de pourquoi les médias parlent de Zemmour comme s’ils essayaient de défendre la visibilité donnée à une parole xénophobe et raciste. Lorsque Patrick Bonin évoque la course à l’audimat dont nous avons parlé plus tôt, les choix sémantiques de l’animateur (qui lui demande « Pour vous c’est uniquement cynique et économique? ») d’utiliser des termes péjoratifs dénigrant les médias poussent Patrick Bonin à nuancer ses propos et à répondre une phrase tout à fait discutable : « C’est aussi parce que c’est l’actualité et qu’il n’y a rien d’autre dans l’actualité ». Ce qui permet à l’animateur de renchérir sur le choix des auditeurs de regarder en masse le débat Zemmour/ Mélenchon plutôt que le débat de la droite qui avait lieu au même moment, comme pour se dédouaner du choix des médias de parler de Zemmour en utilisant l’opinion publique qui ne serait de toute manière intéressée que par ce sujet (et ce même quand elle a le choix). De cette manière, il semblerait que l’animateur amène les intervenants à tourner le débat dans son sens. Matthieu Souquière semble être le seul à évoquer dans ses prises de paroles la tribune médiatique offerte à Zemmour par Cnews ou encore la comparaison avec Emmanuel Macron qui avait à l’époque des élections de 2017 une bonne couverture médiatique et qui a terminé sa course à l’Elysée. Mais ces allusions ne sont pas reprises par l’animateur pour faire rebondir le débat sur ces sujets.

Alors les médias créent-ils une opinion favorable à ce personnage médiatique ? Ce n’est pas ce débat qui apportera des éléments de réponses tant il peine avant tout à justifier de la couverture médiatique de Zemmour. Si elle ne répond pas vraiment à la question posée par ce débat, nous pouvons nous demander quel intérêt trouve Sud Radio à parler de Zemmour et plus encore à l’inviter au lendemain de cette discussion ? 


La spectacularisation des médias télévisés ou la course à l’audimat

Aujourd’hui se posent de nombreuses questions autour de l’usage de la  parole public dans les médias. Depuis plusieurs années, les médias radiophoniques et télévisés sont confrontés à une course à l’audimat qui nécessite de faire des choix dans le traitement des informations. Pierre Bourdieu dans son opuscule Sur La Télévision en parlait en 1996. Le règne de l’audimat a donné une place importante, notamment, aux faits divers, évènements qui n’étaient pas nécessairement traités par les médias par soucis de respectabilité. Aussi, l’espace public a de moins en moins une dimension habermasienne. L’espace public ne fonctionne plus sur la raison. L’espace public devient le lieu où se jouent des affects.
Cependant, à la suite de Pierre Bourdieu, on pourrait rajouter que les discours polémiques (pour ne pas dire souvent xénophobes) prennent une place de plus en plus importante. Eric Zemmour, est aujourd’hui en passe de se présenter aux élections présidentielles. Sud Radio (comme d’autres médias) se posent la question suivante :  Les médias sont-ils en train de faire monter Eric Zemmour dans les sondages ?
De prime abord, les termes du débat sont tout de suite posés par l’animateur de Sud Radio, il avance tout de suite que Zemmour monte et c’est donc pour ça  que les médias le suivent. Il annonce par ailleurs qu’Eric Zemmour sera sur Sud Radio le lendemain matin. Plus loin dans le débat, Patrick Bonin, expert en communication déclare que « Zemmour est un bon client, voilà pourquoi les médias l’interviewent ». Il semble apparaître que l’omniprésence de cette question continue à entretenir ce que les médias appellent le « phénomène Zemmour » en se demandant à longueur d’antenne la chose suivante : est-ce que les médias font monter Zemmour. 

Par ailleurs, tout au long de ce débat, aucun des deux intervenant que cela soit Mathieu Souquière de la fondation Jean Jaurès ou Patrick Bonin prennent position contre Zemmour. Patrick Bonin va même jusqu’à souhaiter un bon audimat demain matin à Sud Radio pour la venue d’Eric Zemmour. La mise en spectacle (au sens debordien) de nombreux médias provoque une omniprésence de la polémique et son commentaire. Ces dernières prennent le pas sur un traitement en profondeur des termes du débat. Cette course à l’audimat fait qu’ils se doivent tous de parler de Zemmour et de commenter chacun de ses faits et ses gestes.

Tout au long de ce débat, l’auditeur de Sud Radio n’est pas une seule fois bousculé ou ayant face à lui à un membre du débat qui tient des convictions fermes vis-à-vis de Zemmour. Au contraire, tout semble fait pour que l’auditeur de Sud Radio se sente confirmé dans ses idées. Cette course à l’audimat et aux propos polémiques qu’on pourra ensuite commenter sans fin provoque une forme de stérilisation du débat politique et sclérose l’espace public qui va se concentrer sur les propos polémiques. Des personnes comme Zemmour ont compris que pour exister médiatiquement, il fallait profiter ce qu’on appelle la fenêtre d’Overton, fenêtre où l’idée est de faire accepter des idées radicales et inacceptables pendant un temps à l’opinion publique,  pour faire accepter leurs idées politiques (et mener une guerre pour l’hégémonie culturelle). Par ailleurs, . Sud Radio a tout intérêt à parler continuellement des thématiques de l’extrême-droite et de celle de Zemmour sachant leurs proximités idéologiques. Alain Létourneau décrit l’espace public ainsi « c’est un ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun ». Cette course à l’audimat et les choix faits dans le traitement de l’information nous éloignent petit à petit de l’espace public tel que pensé par Habermas et Arendt. Le logos dans l’espace public ne peut advenir dans un système médiatique où l’audimat est omniprésent. L’espace public bourgeois a peut-être quitté son idéal d’être une lumière pour s’appesantir sur les affects et ne plus être un espace délibératif. La sphère publique est sans doute devenue au fil des années le lieu de l’expression d’idées d’extrême-droite et une course à la polémique. Tout semble tourner autour des derniers propos polémiques d’un éditorialiste ou politique. Le glissement progressif d’un certain nombre de personnes d’horizons politiques vers ces discours réduit encore plus l’espace public comme démocratique et délibératif. 

Que retenir de ce débat ? 

De courte durée, l’échange n’est pas très vif et ne déborde pas d’idées. Mais alors que nous dit ce débat ? Les médias font-ils monter Zemmour ou parlent-ils de Zemmour parce qu’il se situe déjà haut dans les sondages ? Aucun des deux intervenants ne semble vouloir blesser la fierté du média qui les accueille. En n’évoquant pas ou très peu la possibilité d’une montée de Zemmour grâce au médias, les participants au débat font plutôt pencher la balance vers la deuxième solution.

Nous pouvons donc retenir deux choses de ce débat. La première est que Sud Radio et ses intervenants justifient du traitement médiatique de Zemmour par plusieurs raisons : le succès de son livre, les sujets qu’il évoque et qui intéresseraient les français, et pour finir le contexte politique avec des présidentielles qui arrivent et s’annonçaient plutôt traditionnelles avant l’arrivée de Zemmour. En somme, les médias parlent de Zemmour car Zemmour est un bon client, polémiste et écrivain à succès qui arrive au bon moment.

De cette manière nous n’avons pas d’éléments de réponse sur l’impact de l’omniprésence de Zemmour dans les médias dans l’opinion publique. Mais nous retenons une deuxième chose qui va au-delà du phénomène Zemmour en lui-même. Il s’agit de ce qui nous paraît être une tendance des médias à la spectacularisation : parler des sujets polémiques pour faire de l’audience (Zemmour rentre parfaitement dans cette case). Ce débat, par sa pauvreté, ne fait finalement rien d’autre que participer au phénomène sans même parvenir à le critiquer.  </p>

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