Dans une ère de redoublement des violences policières dans les banlieues en pleine pandémie mondiale, l’année 2020 marque une nouvelle étape dans les tensions qui se jalonnent entre la population et la police concernant les violences perpétrées par certains de ses membres. Le 20 avril 2020, l’émission Ce soir chez Baba – sorte de « version confinement » de Touche pas à mon poste- diffuse en prime time un programme sur une affaire impliquant des policiers et un homme blessé lors d’une interpellation dans la soirée du samedi 18 avril à Villeneuve-La-Garenne. Cette édition se déroule au domicile de Cyril Hanouna qui reçoit via visioconférence quatre invités de statut différent : Noam Anouar, un représentant syndical de la police; Abdel Ait-Omar, l’adjoint au maire de Villeneuve-La-Garenne; Guy, un témoin de la scène et Taha Bouhafs, un journaliste présent au moment des faits.
Deux analyses seront donc menées dans cet article, l’une concernera l’émission puis une seconde à propos des réactions publiées sur Twitter.
Analyse de l’émission
Par Eva.B, Clara H, Louise D
Vrai débat ou prétexte à l’appel au calme ? Le décodage du discours
Confinement oblige, la disposition de l’émission est changée : en visioconférence, les invités n’ont pas la possibilité d’échanger entre eux, et le montage général se veut extrêmement réduit. Après une présentation rapide et colorée de l’évènement, la question principale qui sera débattue pendant les vingt-cinq minutes d’émission est rapidement énoncée : s’agit-il d’une bavure policière ou d’un simple accident ?
Chaque visage est visible, mis en avant parfois pour des commentaires, des réactions non-verbales, et chaque intervention souffre de la contrainte du stream. La mise en scène paraît hasardeuse, moins dynamique, et semble présenter un débat qui n’en est pas un, puisque la résolution est donnée dès le début : l’appel au calme.
Devant un plateau improvisé, Cyril Hanouna anime les échanges entre les protagonistes censés représenter différentes parties. Le premier intervenant, Noam Anouar, policier syndicaliste, émet des arguments fortement canalisés par Cyril Hanouna qui lui pose des questions inductives. Le résultat de l’échange amène à une première information clé pour le spectateur : un portrait négatif de l’individu accidenté. Par ailleurs, on note un problème déontologique dans le discours de Noam Anour, le policier syndicaliste de Vigi Police, en effet, lors de son intervention il révèle des informations sur le casier judiciaire de la victime, qui est confidentiel.
Cyril Hanouna : Mais juste..Noam, Noam, Noam, juste est-ce que le policier a volontairement ouvert la portière pour stopper le motard ou pas ?
Extrait vidéo Ce soir chez Baba – Villeneuve-la-Garenne : Que s’est-il vraiment passé ? à 6:32
Noam Anouar (policier): Je ne pense pas, c’est l’enquête qui le déterminera mais…
Cyril Hanouna : Oui parce que c’est ça le plus important, lui (la victime) dit que non
Gaël Villeneuve explique dans son article Le débat télévisé comme performance collective : « l’exigence […] que le présentateur symbolise en réunissant les parties en présence dans une organisation conviviale, tient à ce que l’émission est une performance collective». Or, dans le cadre de cette émission, les différents intervenants peuvent difficilement communiquer entre eux.
D’une part, les contraintes techniques sont évidentes, et d’autre part, Cyril Hanouna empêche régulièrement la prise de parole des autres invités souhaitant réagir aux propos énoncés par d’autres. De son rôle de médiateur, il peut prétendre à diriger les échanges en faisant « répondre ses invités » puis « les obliger à prendre en compte les faits avancés par la partie adverse [afin] de conduire à une ébauche de discussion délibérative » (Pierre Leroux et Philippe Riutort, 2013). Contrat implicite qu’il ne remplit pas, et profite de son monopole pour diriger l’émission selon le scripte directif émis à l’avance. Ainsi, la performance collective, induite dans la mise en place d’un débat, ne semble pas, ici, être réalisée. On a donc le droit à un « monologue interactif » de chacun des invités (Patrice Flichy, 2008).
Des inégalités entre les intervenants par le choix télévisuel
Lors d’un débat, le temps de parole entre les invités devrait être identique afin de respecter l’impartialité au sein du débat. Retrouvez ci-dessous, un tableau indiquant différentes informations sur les intervenants notamment leur temps de parole en minutes :
Intervenants | Temps de parole* | Temps d’écran** | Écart entre temps de parole et le temps d’écran*** |
Noam Anouar Policier | 4:12 | 5:27 | -1:15 |
Abdel Ait-Omar Adjoint au Maire | 6:05 | 4:05 | 2:00 |
Guy Témoin | 4:19 | 4:04 | 00:16 |
Taha Bouhafs Journaliste engagé | 3:01 | 1:29 | 1:30 |
**Combien de temps l’intervenant apparait à l’écran sans compter les moments où tous les intervenants apparaissent à l’écran
***Le temps de parole moins le temps d’écran
Taha Bouhafs, journaliste engagé et spécialiste du direct en manifestation, est celui qui a le moins de temps de parole comparé à Abdel Aït-Omar, l’adjoint au maire de Villeneuve-La-Garenne. Ce volume faible entre en contradiction avec la popularité de ce dernier sur les réseaux, regroupant 90,4k d’abonnés sur son Twitter. Il est, par ailleurs, un des seuls journalistes à s’être rendu sur place après la soirée du 18. La direction prise par Ce Soir Chez Baba paraît plus claire : il y a une hiérarchisation des paroles évidente. Ainsi, c’est l’adjoint au maire, représentant politique et figure d’apparente neutralité civique, qui possède le temps de parole le plus élevé. Dans la logique d’un débat télévisé, mettre en relation le temps de parole avec le temps d’écran peut révéler un autre aspect du débat. Comme le fait que l’émission TPMP prend partie en faveur de la bavure policière en laissant un temps de parole plus long aux personnes qui défendent la victime.
Noël Nel, enseignant chercheur en communication nous déclare ceci à propos du montage télévisé : « L’image télévisuelle (…) met en œuvre une structure perceptive rappelant celle que l’œil aurait pu construire en présence du phénomène réel. ». Le montage est alors supposé faciliter la compréhension d’échanges entre plusieurs interlocuteurs, en impliquant que celui-ci puisse être neutre. De ce fait, le policier, étant le seul invité ayant un avis en faveur de la police, se retrouve avec un temps d’écran supérieur à son temps de parole. L’émission Ce Soir chez baba cherche volontairement à montrer la réaction du policier, seul invité prenant le parti de la police face à ses détracteurs.
Un débat qui s’éloigne des codes de TPMP
«Les grands débats politiques qui rythment la vie politique des citoyens sont de plus en plus remplacés par des infotainment (un genre de média fournissant à la fois de l’information et du divertissement)»
Patrice Flichy – extrait de La Découverte : Internet et le débat démocratique, 2008
TPMP est une émission qui souhaite allier le divertissement et les sujets d’actualité en s’opposant aux émissions purement d’information : « On en a marre des émissions média sérieuses, on veut s’amuser » affirme Cyril Hanouna. L’émission est, malgré sa popularité, largement critiquée par les professionnels de l’information qui ont tendance à affirmer qu’elle ne correspond pas aux critères déontologiques des médias et qu’elle tend à faire le buzz. Pourtant dans ce débat télévisé, Cyril Hanouna et son équipe ne cherchent pas à faire le buzz en faisant du scandale. En effet le fait qu’il ne laisse les invités intervenir que très peu rend le dialogue impossible et donc sans possibilité d’échanges virulents. Ainsi, l’infotainment n’est plus vraiment présent, puisqu’on se retrouve dans un contexte de débat où les invités n’ont pas la possibilité d’échanger entre eux.
Analyse des échanges sur Twitter
Par Nowlen C, Marie S
Des avis mitigés
Comme la plupart des émissions de télévisions quotidiennes, TPMP a un compte twitter actif qui livetweet pendant l’émission. Les réactions sur Twitter ont été nombreuses avec plus d’une centaine de tweets sur différents hashtags et mots-clés liés à l’évènement.
Le compte twitter de TPMP a fait un sondage qui demandait si l’événement qui s’est produit la nuit du 18 au 19 avril était, selon les twittos, une bavure policière ou non. Les nombreuses réponses à ce sondage étaient réparties plutôt également avec 53,7% de oui contre 46,4% de non. Cela reflète assez bien les 78 tweets publiés ce soir-là que nous avons récupéré : 48,9% des tweets en soutien à la victime et 40% en soutien aux forces de l’ordre, le restant étant des tweets factuels.
Ces tweets, quand ils sont adoptés de manière « argumentée », répondent à un « énoncé logique » par les faits, peu importe que ce soit « du côté » de la police ou de la victime. Par exemple, le rappel du code de la route est utilisé pour expliquer la violence de l’altercation. On rappelle la « bavure policière » en en rappelant d’autres qui ont eu lieu dans le passé, notamment en banlieue. Les clichés et biais géographiques sont très forts. Comme le dit Jean-Claude Kaufmann dans son article de 2003, les prises de positions sont « plus abstraitement dénonciatrices qu’analytiques » .
Certains de ces arguments perçus comme « logiques » ont un sous texte ad hominem, c’est-à-dire, des arguments essentialisant la vie privée de la personne. Ils sont surtout dirigés vers la victime à cause de son casier judiciaire par exemple, de sa localisation (la banlieue). On retrouve le terme « racaille » qui est loin d’être neutre.
On remarque toutefois un apaisement autour du témoignage de Guy, qui apparaît raisonné. « Je suis d’accord avec Guy », « Guy rien à dire à part bravo Monsieur ». Et ce, de la part à la fois de défenseurs de la victime et d’indécis.
Ainsi, les twittos prennent position selon les intervenants et leurs différents points de vue : 32,4% des tweets sont en accord avec les intervenants tandis que 35,1% sont en désaccord. Les avis se répartissent donc assez bien, ce qui semble montrer un choix des intervenants diversifié.
Des tweets variés
Les tweets provenaient de comptes assez variés sans monopole où chacun pouvait s’exprimer. En effet, seulement six comptes ont fait plusieurs tweets mais personne n’a écrit plus de six tweets. Beaucoup des tweets revêtent un aspect « passionnel ». Les adjectifs employés sont partisans, avec une exagération certaine : « la racaille », « les bouchers policiers ». On peut parler d’exagération « Délinquant notoire ». Quatre personnes ont choisi au contraire de mettre des citations des invités de l’émission, dont deux qui ont inséré des vidéos. Cela permettait ainsi de faire un lien entre les twittos qui ne regardaient pas l’émission et celle-ci.
Une critique sur la légitimation du débat dans l’émission
Au-delà des tweets en lien direct avec ce qu’il se passait dans l’émission, les twittos ont très vite réagi quant au sujet de l’émission puisque 13,5% des tweets critiquent le principe-même de faire l’émission sur ce sujet là, et ce de façon plus ou moins virulente. On peut notamment voir le tweet provenant du compte @ LibreDePenserFR :
Plusieurs tweets évoquent d’autres émissions de Cyril Hanouna, notamment celles sur les polémiques à propos du Covid-19. D’après ces tweets, l’émission est censée être de divertissement, mais ce n’est plus le cas depuis quelques temps et elle cherche uniquement à surfer sur des sujets pour faire le « buzz ».
Conclusion : L’opinion figée des tweets et la position que prend l’émission
Il est question d’exprimer son opinion, et les personnes qui suivent l’émission adoptent en grande partie l’ethos « antisystème » qu’a habituellement l’émission. On ne cherche pas à être convaincu mais à être rassuré dans sa propre position. Seuls « les indécis » semblent enclins à se laisser convaincre par un des deux camps.
TPMP se positionne d’ailleurs en choisissant de mettre des citations et des extraits vidéos de chaque personne qui a témoigné ainsi qu’un appel au calme de Cyril Hanouna. Cet appel au calme, qui est assez fréquent à chaque événement de ce type, souligne l’apanage des débats et des échanges en rapport avec l’émission. Dès le début, Cyril Hanouna, ainsi que la réalisation de l’émission, pose les règles d’encadrement de ce qui sera débattu ou non, sans alternative. De ce fait, la violence se réfléchit dans l’acte commis et non dans sa conséquence. Il s’agit de légitimer, ou non, l’acte, afin de mesurer le degré d’empathie qu’il serait judicieux de ressentir.
« Et ce soir c’est important de remettre les choses au clair, et surtout d’appeler au calme »
Cyril Hanouna Ce soir chez Baba – Villeneuve-la-Garenne : Que s’est-il vraiment passé ?
Bibliographie :
- Burger, Marcel, Joanna Thornborrow, et Richard Fitzgerald. « Analyser les espaces interactifs des nouveaux médias et des réseaux sociaux », Marcel Burger éd., Discours des réseaux sociaux : enjeux publics, politiques et médiatiques. De Boeck Supérieur, 2017, pp. 7-24.
- DUMOULIN M, « Les forums électroniques : délibératifs et démocratiques » Monière D. (dir.) Internet et la démocratie : Les usages politiques d’Internet en France, au Canada et aux États-Unis, Québec, 2002, Monière et Wollank éditeurs, p141-157.
- FLICHY Patrice, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008/4 n° 150, p. 159-185. DOI : 10.3166/Réseaux.150.159-185
- JULLIARD Virginie, «#Theoriedugenre : comment débat-on du genre sur Twitter ?», Questions de communication, Février 2016, En ligne : https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2016-2-page-135.htm#
- KAUFMANN Jean-Claude, « Tout dire de soi, tout montrer », Le Débat, 2003/3 n° 125, p. 144-154. DOI : 10.3917/deba.125.0144
- KLEROUX Pierre et RIUTORT Philippe, La politique sur un plateau. Ce que le divertissement fait à la représentation. Presses Universitaires de France, 2013
- NEL Noël, Le débat télévisé : Méthodologie et pédagogie, In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°37, 1983, La télé à l’école, pp. 91-106.
- Villeneuve, Gaël. « Le débat télévisé comme performance collective : l’exemple de Mots Croisés », Mouvements, vol. 64, no. 4, 2010, pp. 165-179
Commentaire de la partie émission
Tout d’abord nous voudrions vous remercier pour la qualité de votre article. L’importance d’analyser la discussion sur les violences policiers dans l’espace public est aujourd’hui plus grande que jamais. Aussi nous aimerions couplé votre analyse avec des points qui nous semblent importants.
En effet, l’aspect physique de ce débat ne facilite pas les échanges entre les différents intervenants. Nous remarquons aussi, une intention de “découvrir” la vérité qui apparaît dès le titre de l’épisode: Que s’est-il vraiment passé?, ce détail approche le débat plus à un procès. Ces deux éléments, donnent un encadré que comme vous avez bien signalé, stérilisent le terrain du débat.
L’appel au calme initial, que vous interprétez comme une résolution du débat prématurée, peut l’être aussi comme une intention de rester neutre ou comme une formule que Cyril Hanouna a utilisé pour “recentrer la discussion”. Néanmoins, la seule personne qui appelle réellement au calme, est le riverain, qui ne cherche pas à incriminer les forces de l’ordre.
Les émissions présentées par Cyril Hanouna sont connues pour produire des débats controversés à travers le scandale ou les échanges virulents. Nous voudrions ajouter, que la polémique qui caractérise l’émission peut se trouver dans les tentatives infructueuses du présentateur d’obtenir des réponses polarisantes de la part du policier. Ce policier est aussi mis en exergue lors des déclarations des autres intervenants afin de construire une dualité et un affrontement de point de vue entre les différentes participant alors qu’aucun n’amorce réellement un dialogue avec une partie adverse. Probablement, l’émission a dû s’adapter aux contraintes du confinement, mais l’intention de créer une polémique afin d’entretenir leurs audiences est toujours présente.
Aussi, l’émission se pense comme libératrice de la parole citoyenne. Nous pouvons le constater par le choix des invités, comme rappelé en début d’émission, qui sont tous issus de l’immigartion et des banlieues. Dans ce sens, Ce soir Chez Baba peut être considéré comme un espace public arendtien, où la participation dans la discussion sur les affaires communes est accessible aux citoyennes; contrairement à certaines émissions, où le débat est réservé aux « spécialistes ».
Néanmoins, cette apparente inclusivité pourrait être questionnée en se demandant quels critères de sélection sont employés afin de choisir les intervenants afin de rendre compte si l’émission se veut réellement inclusive ou bien si une tendance populiste peut s’en dégager afin d’augmenter leur part d’audience.
Pour conclure nous dirons que vous avez relevé avec justesse que cette émission est en réalité un débat sans échanges entre intervenants et donc ne pourrait être considéré comme un débat au sein d’un espace délibératif ( Habermas ). Outre le fait de ne pas engager le dialogue sur le sujet traité, l’objectif de l’émission semble être de découvrir la vérité ne se révèle pas pertinent.
Un dialogue sur le contexte systématique et sur les conséquences que ce type d’incidents violents peuvent avoir pour la citoyenneté et les institutions, comme vous l’avais bien dit, aurait été beaucoup plus productif et aurait sûrement apporté à la sphère publique.
ARENDT Hannah [1958] Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy Pocket, 1983. (chapitre 2 Le domaine public et le domaine privé, extraits)
HABERMAS Jürgen [1961] L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la sphère bourgeoise, Payot, 1978 (extraits).
Réponse à la partie émission :
Merci de votre commentaire et de l’importance que vous avez accordé à notre article. Nous allons reprendre votre commentaire en plusieurs points, en éclairant certaines parties de votre réflexion
Le fait que Cyril Hanouna cherche la polémique dans l’émission lorsqu’il pose ses questions au policier est tout à fait vrai. C’est d’ailleurs ce que les émissions infomainement font. On informe mais en même temps on divertit le public, dans TPMP, on attend que le policier dise un mot de travers pour que les autres intervenants répondent. C’est d’ailleurs ce que fait Tahar, le journaliste militant, qui coupe la parole au policier pour corriger ce qu’il dit à propos des premières enquêtes ouvertes sur l’événement de Villeneuve La Garenne.
On peut aussi remarquer cette volonté polémique avec la scénographie involontaire du débat. Dans Internet et le Débat Démocratique, Patrice Flichy pose le doigt sur le phénomène où la sphère intime se mêle à la sphère publique lors d’un débat public. Le plan utilisé pour montrer les invités sont des plans profonds ayant la particularité de montrer l’émotion des personnes. En faisant des plans d’écrans sur ce policier, nous rentrons dans son intimité en essayant de détecter son langage non verbal.
En ce qui concerne votre critique sur le fait que l’émission se veut réellement inclusive ou populiste, il est important de noter que l’adjoint au maire a fait appel à Cyril Hanouna pour ce débat. Nous voyons d’ailleurs de la proximité entre les deux hommes vu qu’ils utilisent un langage familier et se tutoient. L’adjoint au maire a aussi fait appel à Guy, le témoin. Le populisme désigne le fait d’opposer le “peuple” aux élites. Si nous considérons l’adjoint au maire comme “élite”, nous ne sommes pas là face à du populisme car l’adjoint au maire n’affronte pas Guy le témoin, mais il l’invite à prendre la parole dans un espace public médiatique. Nous pouvons donc dire que l’émission est inclusive. Mais effectivement nous savons que l’audience est un élément primordial dans la diffusion de cette émission. Cyril Hanouna transmet un discours qui est explicitement “dirigé vers quelqu’un. On considère généralement qu’il se doit de convaincre et d’atteindre l’auditoire le plus large possible.” (Delmas, 2012). Il veut conserver son audience afin de préserver la popularité de son émission malgré le sujet choisi. La pluralité des opinions sur cette affaire ne doit pas instaurer un clivage strict mais bien au contraire une dualité qui mène tout de même à un consensus. Ainsi l’animateur utilise son pouvoir d’influence et la construction de son émission afin de toucher une audience bien plus large.
La manière dont est construite l’émission ne laisse pas place à une » confrontation violente des positions antagonistes (…) susceptible d’assurer une coexistence dans le désaccord.” comme l’affirme Ruth Amossy. La polémique qui touche ce sujet sensible ne permet pas concrètement ces échanges argumentatifs enrichissants mais laisse entendre cette « coexistence dans le désaccord”. Bien que, comme vous l’affirmez, un débat comme celui-ci ne peut être considéré comme un débat au sein d’un espace délibératif selon Habermas. Cependant nous pouvons retrouver l’une des caractéristiques que l’auteur promeut dans ce qu’il définit comme l’objectif de l’agir communicationnel. Selon lui, Habermas affirmait que les échanges doivent aboutir à un consensus. En effet, Cyril Hanouna parvient à construire son émission en laissant entendre aux spectateurs que malgré la présence de profils aux avis divergents, la réalisation de cette émission a tout de même permis de communiquer sur ce sujet pour aboutir à un consensus.
Flichy, P. (2008). Internet et le débat démocratique. Réseaux, 150(4), 159-185.
Delmas, V. (2012) « Pour une analyse pluridimensionnelle du discours : le discours politique », La linguistique 2012/1 (Vol. 48), p. 103-122.
Amossy, R. (2014) La coexistence dans le dissensus, La polémique dans les forums de discussion, Apologie de la polémique, 2014.
Habermas, J.(1961) L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la sphère bourgeoise,Payot, 1978 (extraits).
Merci pour cet article très intéressant “Ce soir Chez Baba – Incident à Villeneuve-La-Garenne : Un débat qui n’en est pas un”. Votre équipe a donc choisi de traiter l’absence de débat de l’émission et des tweets qui en découlent.
Nous reviendrons sur l’analyse Twitter de votre article.
Vous relevez tout d’abord des avis très mitigés des internautes puisque le soutien est divisé environ à 50-50 pour la police et pour la victime. Cette analyse réponds à la thèse de l’homophilie (Patrice Flichy, Internet et le débat démocratique, 2008) et montre que contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, Internet et les réseaux sociaux ne regroupent pas nécessairement des personnes d’avis similaires. Le fait que ces commentateurs soient spectateurs de la même émission aurait pu renforcer cette thèse mais c’est le contraire qui se produit les avis sont divers sur la question. Il aurait été intéressant d’essayer de comprendre d’où viennent ces opinions différentes en comprenant qui sont les internautes qui s’expriment : âge, sexe, localisation, milieu social, anonymat, … Cela aurait permis de savoir si les individus qui s’expriment sont représentatifs de la population, ce qui est un gage de qualité pour un débat public.
Vous mentionnez également que certains tweets qui affirment un avis de soutien soit envers les policiers, soit envers la victime, sont argumentés. C’est un point en effet très intéressant d’analyser la qualité argumentative des tweets qui répondent à l’émission. On pourrait également regarder si cela crée du débat sur Twitter, si les tweets se répondent entre eux et créent une réelle chaîne de discussion. En effet, votre article étant centré sur la question d’un réel débat, comprendre s’il existe un débat argumentatif sur Twitter semble important. Les captures d’écrans des tweets montrent des chaînes de discussions importantes entre les internautes et vous mentionnez des rappels factuels et des arguments logiques ce qui supportent la thèse selon laquelle un vrai débat a lieu sur twitter et donc semble aller à l’encontre de votre titre “un débat qui n’en est pas un”.
Vous nuancez la qualité du débat sur Twitter et c’est là qu’on comprends votre titre, ce n’est pas pour vous un débat car les arguments sont biaisés par les clichés sur la banlieue, ou sur la police. La vie privée de la victime devient un argument politique pour justifier l’agissement des policiers. La référence au travail de Jean-Claude Kauffman (Tout de soi, tout montrer, 2003) est pertinente puisqu’il a en effet étudier l’accroissement de la révélation de la vie privée au grand public. Cela aurait été intéressant de mettre en perspective la raison de cette mise en avant de l’intimité selon Kauffman : l’individualisation et comment les internautes se servent de cette vie privée pour construire leur argumentation. Il pourrait sembler que l’individualisation emmène les commentateurs a jugé un fait par le prisme de la vie privée de la victime. Ici, le casier judiciaire de celle-ci joue en sa défaveur pour un fait postérieur qui n’a pas de lien avec sa vie privée.
En revanche, la citation choisie pour illustrer le travail de Kauffman est peu pertinente. En effet, quand celui-ci parle de “prises de position (…) plus abstraitement dénonciatrices qu’analytiques”, il parle des critiques qui ont été faites sur la télé-réalité au moment de la sortie de “Loft Story 1”. Le lien avec le propos de l’article est donc un peu opaque. Il est vrai que le rendez-vous télévisé TPMP en est une très bonne illustration de l’idée de Kauffman selon laquelle “La télévision, qui pourrait être (et qui heureusement est parfois) un extraordinaire instrument d’éveil au savoir, sombre, hélas trop souvent, dans un divertissement régressif, des clowneries d’enfants pour adultes fatigués.” . Comme vous le dites très bien dans le texte, l’émission « surfe » sur les sujets d’actualités, un vrai apprentissage de la passivité. Or, au vu des commentaires Twitter, on peut confirmer la thèse de Kaufmann : si cette émission existe, c’est bien qu’elle vient répondre à une curiosité, qu’elle le simple ventre mou de l’audience qui la suit. Donc en révélant, les faiblesses de l’émission, on révèle finalement les faiblesses de toute une société en perte de réflexivité. En effet, l’idée n’est pas de ressortir convaincu, mais vaincu par l’absorption d’un contenu, un ping-pong verbal d’une placidité totale.
Votre analyse nous a également fait penser au travail sur les insultes et les attaques ad Hominem d’Arnaud Mercier. Dans son livre Twitter, espaces politique, espace polémique, il défend l’idée que la position sociale de l’individu le définit et définit ces actes. Ici, la victime est jugée sur sa localisation et son milieu social qui font de lui “une racaille”. Selon les tweets, la situation sociale de la victime est un argument en faveur de la police.
Dans son étude, l’auteur explique aussi que l’insulteur vise une posture de supériorité avec ces insultes. Dans ce débat, les insulteurs se sentent socialement supérieurs.
Vous mettez ensuite en avant le soutien des tweets pour certains intervenants. C’est en effet très important de voir que les individus se sentent représentés par les intervenants, même si beaucoup de tweets les contestent également. La diversité des points de vue dans l’émission entraîne également cette diversité des opinions sur Twitter.
Vous relevez ensuite une très grandes variétés dans les rédacteurs de tweets. Aucun “Twittos” ne monopolise le débat. Cette constatation va à l’encontre du chercheur Steven Schneider qui constate dans les années 1990 une forte inégalité dans la prise de parole dans les débats sur Internet (Internet et le débat démocratique, Patrice Flichy, 2008). Ici, la parole n’est donc pas confisquée par quelques-un, ce qui est un autre indice d’un réel débat possible sur twitter. En revanche, vous notez des individus très engagés, très partisans et c’est là que le débat peut être biaisé car ceux qui prennent la parole sont ceux qui ont déjà un avis négatif tranché sur les deux acteurs de l’incident à savoir comme mentionné “la racaille” et “les bouchers policiers”. Peut être que les personnes moins politisées, ou partisanes tweetent moins. Il aurait là été intéressant d’essayer de cerner le profil des internautes pour savoir si ils sont très actifs sur twitter et s’ils semblent très politisés.
Enfin, vous indiquez que Twitter est un espace de contestation médiatique. Il permet aux internautes de critiquer l’émission même et ses choix de débats. C’est un contre-pouvoir important à l’information médiatique traditionnelle. Ils contestent la légitimité de l’émission pour traiter les sujets choisis ainsi que le choix des intervenants.
Pour conclure, votre analyse permet de comprendre que Twitter n’est pas un réel espace de débat puisque les thèmes débattus sont encadrés par l’émission, de nombreux clichés sont rencontrés dans les tweets ce qui faussent le débat, et les internautes sont déjà convaincus et ne vont souvent pas changer d’avis après avoir lu les autres commentaires et s’être eux-mêmes exprimés. Pourtant, on pourrait tout de même relever que les internautes se répondent entre eux avec de réels arguments et qu’ils ont un regard critique sur l’émission et sur le traitement médiatique de certains évènements ce qui permet d’enrichir le débat public.
De la Cruz Lili, Godineau Auréline et Picard Pénélope
Réponse au commentaire twitter :
Merci pour votre commentaire.
Même s’il aurait été intéressant de comprendre les profils des internautes qui tweetaient sur l’émission, il nous était malheureusement impossible de savoir autant de données telles que l’âge, le sexe, le milieu social puisque ce n’était pas un questionnaire mais bien des tweets, provenant de comptes twitter où chacun laisse paraître ce qu’il souhaite montrer. C’est ce que précise d’ailleurs Patrice Flichy dans Internet et le débat démocratique : Non seulement les interlocuteurs utilisent des pseudonymes et se créent une identité virtuelle, mais encore ils peuvent changer d’identité, en avoir plusieurs.” De même, la direction choisie concernant l’analyse était essentiellement discourielle : les contraintes de temps et de moyens ont été plus que décisives dans ce choix qui, certes comme vous le suggérer, n’est pas sans faiblesse.
Ensuite, nous n’avons pas traiter toutes les réponses car elles étaient très nombreuses ; parler de seulement quelques réponses n’aurait pas été suffisamment représentatif pour pouvoir affirmer ou avancer des hypothèses. Ajoutons à cela que de nombreuses personnes ont répondu alors qu’elles ne regardaient pas l’émission et qu’il n’était pas évident de les différencier les unes des autres. Or nous souhaitions nous focaliser uniquement sur les tweets qui étaient en lien direct avec l’émission et donc, écarter les réactions aux quelques extraits qui pouvaient être sortis de leur contexte. C’est donc pour cela que nous avons limité notre terrain d’enquête aux tweets sans les réponses. Cependant, nous avons pu voir sur quelques échanges qu’il n’y avait pas réellement de débat, ce qui correspond donc bien à notre titre : même si l’on peut croire que des échanges signifient débats, nous avons pu voir ici que les avis des uns et des autres n’étaient pas réellement pris en compte et que chacun restait sur sa position de départ.
L’individualisation de Kaufmann est ici un élément intéressant que vous relevez, et qui en effet aurait eu sa place dans cet article, merci pour votre précision. Idem pour votre analyse du travail de Arnaud Mercier.
En revanche, même si vous trouvez que notre citation de Kaufmann n’a pas sa place, nous souhaiterions remettre la citation dans son contexte complet. Juste avant de parler des positions plus abstraitement dénonciatrices qu’analytiques, Kaufmann évoque le fait que “ce ne sont pas l’abondance et la violence des propos qui font la qualité d’une controverse, mais les arguments qu’elle contient”. Nous avons donc appliqué cette citation ici à notre analyse des tweets de l’émission puisque même si les sujets sont divers, l’idée de controverse est la même. Il est vrai que nous aurions pu aller plus loin dans la citation, mais compte tenu de notre analyse du discours, qui s’est attaché aux tweets plutôt qu’aux personnes, cela n’a pas été retenu en premier lieu.
Pour répondre à votre citation et analyse de Kaufmann, nous pensons que les faiblesses de l’émission sont, en effet, de plusieurs ordres. Le contenu, la mise en scène, les conclusions à tirer sont fortement critiquables. Nous étions, pareillement, restées sur l’idée que le public d’une telle émission serait tout aussi “en perte de réflexivité ». Toutefois, nous aimerions nuancer votre propos : le débat est certes faible, mais pas amorphe. Il y a un cheminement intellectuel qui s’est formé entre certains internautes qui n’est pas négligeable. La position de » sélection de camps » que l’émission implicite fortement ainsi que les contraintes même de l’architecture de twitter ont en quelque sorte, « forcé » les internautes à s’y conformer. On peut déplorer un manque de réactivité et de « remise en question » d’un tel sujet, mais cela ne signifie pas pour autant que la “société est en perte de réflexivité », puisqu’ici les internautes n’ont pas réellement les moyens de construire des réponses argumentées, d’une part à cause de la limite de caractère de twitter, et d’autre part dû au fait que le but de leurs tweets ne semblaient pas être de convaincre les personnes mais plutôt de donner son avis en live tweetant durant l’émission et donc directement. Cela ne reflète donc en rien le niveau de réflexion des intervenants.
De même, il serait hasardeux de prétendre que la médiocrité d’une émission est le miroir de son public. Sa présence (et sa persistance) est explicable, bien entendu, par une appréciation générale d’une certaine audience, mais ce n’est en aucun cas le seul facteur déterminant. Les choix et contraintes économiques, l’ambivalence générale de la télévision française ainsi que l’ensemble même du complexe industriel que cela transporte sont des éléments clés de compréhensions, que nous ne sommes pas en mesure, en l’état des résultats actuels, d’intégrer à notre analyse.
Il serait incohérent, cependant, de prendre une référence des années 1990 avec Steven Schneider qui évoquait l’utilisation de forums et non de twitter. Ce sont deux espaces bien différents l’un de l’autre avec des écarts de fonctionnement bien distincts. Twitter incite à l’immédiateté du propos, que ce soit de manière exagérée ou non, tandis que les forums semblent avoir un format de discussion plus travaillé, où les réponses peuvent, d’une part, être moins limitées en caractères, et ne d’ autre part, dépendent moins de contraintes temporelles.
Enfin, le lien de cause à effet entre le fait d’être politisé et de tweeter plus ou moins semble bancal puisque, en sociologie, la politisation “varie en fonction […] de la capacité à opérer une construction proprement politique du champ politique et à donner un sens aux évènements en son sein” (D. Gaxie, Le cens caché) Ainsi, le simple fait de s’intéresser à ce sujet et d’y donner un avis relève d’une certaine conscience politique puisque les violences policières sont d’elles-même politiques. Les propos relevés étaient en cela, très peu consciemment avoués comme “apolitiques” ou plus simplement “neutres”.