Si l’inscription de l’IVG dans la constitution paraît être un débat d’intérêt public, Public Sénat semble l’avoir oublié, ouvrant un espace de discussion au comité restreint. Ce débat contrôlé tente alors de questionner les tenants de la décision mais les nombreuses absences se montrent limitantes.
Comment parler de la protection de l’IVG dans l’espace public ? C’est ce qu’évoque Public Sénat dans son débat “Faut-il protéger l’IVG dans la Constitution ?” en février 2023 disponible sur la plateforme Youtube. Avec 6 213 vues, ce débat parle de la pérennisation des droits des femmes mais il relève aussi de la place du citoyen dans le débat public. C’est pourquoi, nous nous sommes intéressés à l’élargissement d’un débat privé au sein de l’espace public. Pour reprendre ce que Hannah Arendt disait, l’économie envahit le politique là où chez les grecs la politique exclusivement de ce qui n’était pas géré au sein du foyer, vie privée et vie publique étaient bien séparées. Or aujourd’hui, on constate que la frontière entre espace public et privé est de plus en plus poreuse, c’est-à-dire que ce qui semblait relever du privé est dorénavant traité de manière publique (pour citer Nancy Fraser à propos de la sphère publique chez Habermas).
On peut donc constater que ce débat, à l’origine privé car relevant des droits de la femme à disposer de son corps, est aujourd’hui discuté au sein de l’espace public. Avec un amendement adopté à 14 voix près dans la Constitution (166 pour et 152 contre), les intervenant de Public Sénat débat sur la pérennisation du droit à l’IVG. Public Sénat est une chaîne de télévision politique et parlementaire, regroupant notamment l’émission de débats « Sens public ». Les invités, experts, observateurs et acteurs du monde politique décryptent, échangent et confrontent leurs idées principalement sur les sujets d’actualité.
Un débat contrôlé et mesuré
Pour celui qui nous concerne, on retrouve dans le débat une majorité de femmes : à droite du présentateur la journaliste Mathilde Siraud et Marie-Pierre De La Gontrie, sénatrice socialiste de Paris et membre de la commission des lois au sénat. Et sur sa gauche, Anne Charlène Bezzina, constitutionnaliste et maître de conférence en droit public accompagnée de Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et maître de conférence en droit public à l’université de Lille.
Comme le montre la scénographie, le présentateur est au centre du débat, il le contrôle en étant très procédurier. En effet, chaque intervention survient à la suite d’une question du présentateur à travers des plans serrés. Thomas Hugues rebondit sur les réactions minimes des intervenants et jongle entre eux de manière efficace et équilibrée. Le débat est calme et mesuré à travers un vocabulaire soutenu et une fluidité des intervenants. Il n’y pas trop de controverse : on observe beaucoup d’écoute, de politesse et de calme. En revanche, ceux qui connaissent le vocabulaire du droit possèdent plus de clés de compréhension pour analyser le débat, ce qui rend le débat plus accessible pour des professionnels du droit. Bien qu’il soit contrôlé par Thomas Hugues, le débat reste dynamique à travers les reportages, les interventions extérieures et les schémas informatifs inclus dans la vidéo. Le format en 5 images est utilisé pour voir la réaction de chacun des invités. De plus, la marque de la chaîne est très présente : que ce soit sur les écrans de télévisions, lors des reportages ou des interventions. Un moyen d’orienter le spectateur vers l’acquisition des codes de la chaîne.
Un journal ou un débat ?
Entre un reportage sur le sénat, des retours sur le présentateur et des interventions extérieures, on peut se demander l’issue du débat public et surtout quelles voix se font le plus entendre. C’est pourquoi, nous nous sommes intéressés à la répartition de la parole dans ce débat :
Après une rapide lecture, on constate que les principaux intervenants sont Marie Pierre De La Gontrie, Jean-Philippe Derosier et Anne Charlène Bezzina. Bien que ce soit un débat ouvert à quatre interventions de professionnels, la journaliste Mathilde Siraud semble exclue du débat face aux politiciens auprès d’elle. Nous pouvons ainsi nous interroger sur l’égalité de la parole dans ce débat. Paradoxalement, on constate qu’elle est peu présente dans une émission qui centre son débat sur la liberté et le droit humain. La question du pluralisme apparaît au sein même du fonctionnement du débat car la diversité des opinions et de leurs représentants semble peu respectée.
Une inclusion citoyenne qui manque à l’appel
Que ce soit lorsqu’on découvre le processus de constitutionnalisation de l’IVG ou bien le fonctionnement du débat sur Public Sénat, on fait très rapidement le constat d’un absent pourtant bien concerné : le public lui-même.
Du côté de l’émission tout d’abord, comme nous l’avons vu plus haut, au sein des invités, sont présents uniquement des professionnels du droit, spécialistes de la constitution, politiques et journalistes, aucun espace d’expression donc pour le citoyen lambda et ce même au sein des extraits d’interviews diffusés au cours de l’émission où l’on peut voir apparaître : le Sénateur de la Manche, une Sénatrice écologiste, le Ministre de la Justice et enfin la Présidente du HEC. Pourtant, la sénatrice Marie-Pierre De La Gontrie, essaie à plusieurs reprises d’inclure les citoyens dans son discours. Elle cite régulièrement des chiffres issus d’un sondage de l’IFOP en évoquant à quatre reprises que « 80% des Français sont favorables à la constitutionnalisation » (rapport datant du 29 juin 2022). Elle met en avant la conscience qu’ont les Français de la fragilité du droit à l’IVG « Qu’est ce que traduit ce soutien à la constitutionnalisation : […] que quelque part, ce droit peut être menacé ou remis en question. […] Les françaises se rendent compte que c’[est] fragile » (16:40).
Ces initiatives ne sont pas anodines quand on sait que ce débat, qui prend plutôt la forme d’un résumé informatif, traite quasi exclusivement le sujet d’un point de vue juridique. L’attention des invités est portée sur la procédure, sur les formalités liées au processus de révision constitutionnelle… Les constitutionnalistes J-P Derosier et A-C Bezzina nous livrent alors la différence entre les termes « droit » et « liberté » longtemps discutés lors de cette constitutionnalisation et source de nombreuses frictions. Un peu plus loin dans l’émission c’est la place de ce nouvel article dans la constitution qui occupe une partie du dialogue. A travers des explications détaillées de la part des constitutionnalistes, le public semble être inclus avec l’idée de lui donner des clés de compréhension sur ces processus compliqués : « pour rappeler à nos téléspectateurs » (2:20). Mais en réalité, en sortant de cette vidéo, règne le sentiment d’avoir assisté à une décision politique dans laquelle le peuple n’avait pas sa place : « Faut-il inscrire le droit à l’IVG dans la constitution? Oui ont répondu les sénateurs » (00:03), « une victoire pour toutes les sensibilités politiques de gauche » (00:35). La preuve en est que l’on apprend au cours de l’émission, que la séance d’examen de la proposition de loi de constitutionnalisation fut suspendue quelques minutes suite à l’irruption de militantes féministes au sénat ce jour-là, évacuées sur le champ.
Cette interruption fait l’objet de la miniature de la vidéo Youtube alors même qu’elle n’est évoquée que succinctement. Ce mépris, ou du moins cette non considération, de la voix citoyenne s’illustre jusqu’au sein du débat de Sens public lorsque Marie-Pierre De La Gontrie évoque les sondages amenant Thomas Hugues – présentateur – à remettre en doute la capacité des répondants à comprendre la question qui leur est posée « Est ce qu’ils comprennent ? » (16:10) ils évoquant ici les citoyens Français.
Cette exclusion des auditeurs dans l’émission « Sens public » ne se cantonne pas à ce débat télévisé et semble plus généralement découler d’un fonctionnement institutionnel long, encadré et très rigide. En effet, à l’exception des sondages d’opinion, les français ne sont intervenus à aucun moment dans cette décision. Le débat ainsi que le processus de constitutionnalisation se sont déroulés en interne sans aucune consultation. Et pourtant, comme l’explique Jean-Philippe Derosier (32:20), « il y a quatre acteurs dans le processus de révision constitutionnel : le président de la république, les deux assemblées et le peuple ». L’absence du dernier au sein du débat semble donc poser problème car, in fine, les besoins réels liés à la réalité des situations ne sont pas communiqués. Le texte final est rédigé avant tout avec la ferme volonté de faire consensus auprès des différents bords politiques plutôt que de se baser sur des données de terrain exprimant les nécessités liées à la protection de l’IVG (sans débattre des moyens qui semblent relever des politiques publiques). On assiste alors plus à une bataille entre idéaux politiques (opposant les plus conservateurs aux plus progressistes) qu’à une lutte en vue de protéger le droit à l’avortement.
Quoi qu’il en soit, le texte adopté laisse de grande marge de manoeuvres aux sénateurs dans la façon dont cette liberté pourra être appliquée puisqu’il est inscrit que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », là où la première proposition de loi visait à faire en sorte que « la loi garanti[se] l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Ce texte de substitution, finalement adopté, dit s’appuyer sur celui de la loi Veil faisant consensus au sein de la société depuis sa rédaction en 1975 selon le sénateur Philippe Bas (1:27). Si ce texte fait consensus au sénat, serait-ce le cas lors d’un référendum ?
Référendum, la réunion des grands absents ?
S’agissant d’une inscription dans la Constitution, la procédure est compliquée et implique normalement un passage en référendum. L’autre solution est que le président de la république se saisisse du sujet et qu’une proposition de loi constitutionnelle soit présentée au congrès à Versailles réunissant les deux assemblées pour être adoptée.
Les sondages justifient-ils l’utilisation du référendum ? C’est là la question posée à Marie Pierre De La Gontrie. Si le référendum serait un moyen de réinsérer la population dans cette décision, c’est avant tout un outil qui a fait peur aux gouvernements de la Vème République. La seule réforme constitutionnelle adoptée par référendum depuis 1958 fut le quinquennat et cela non sans un taux d’abstention très élevé et l’apparition de débats publics. C’est notamment là ce qui fait peur. Le référendum implique un coût économique assez conséquent et est avant tout un risque démocratique dangereux pour le pouvoir en place, risquant aussi de donner tribune aux anti-IVG et de faire émerger des débats entre pro-choix et pro-vie alors que le sujet n’est pas la remise en cause de l’IVG mais sa protection.
C’est d’ailleurs là l’enjeu du titre de l’émission, dont on ne comprend la pertinence qu’à la fin du visionnage de la vidéo. La constitution pour la majorité est protectrice car moins modulable que les lois. Par l’acte de la constitutionnalisation il y a là une symbolique forte de protection pour la population. Pour Habermas, en démocratie, c’est par l’espace public que les citoyens se sentent auteurs et destinataires du droit. “L’idée d’auto législation par les citoyens requiert en effet que ceux qui sont soumis au droit en tant que destinataires se pensent aussi comme auteurs du droit.” (Habermas, J. 1997). Si le lien entre constitutionnalisation et citoyen comme destinataire du droit paraît clair, le référendum serait-il alors dans ce cas le moyen de les faire sentir auteurs ? Ce débat pose la place du citoyen dans la politique et notamment la question de sa participation. Comme le souligne Marie Dufrasne lors de ses recherches portant sur la participation citoyenne et comme nous l’avons dit précédemment, les citoyens n’ayant pas de place au sein du débat, ils servent uniquement à légitimer les pouvoirs en place et les discours par l’utilisation des sondages et des chiffres.
Cependant est omis de ce débat un autre acteur de la décision constitutionnelle : le pouvoir exécutif. Le référendum est le seul outil démocratique qui associe participation et décision et est donc le parfait moyen pour introduire dans le débat les deux acteurs majeurs absents de celui-ci : la cause citoyenne et le Président de la République. L’absence de ces deux pôles justifie aussi le caractère très juridique que l’émission « Sens Public » prend lors de ce débat.
Le Président de la République, est lui néanmoins, l’objet de tout un discours par les acteurs présents, désignant son absence par « une démission gouvernementale ». Un bandeau indiquant « Le mutisme de macron face à l’IVG” est présent pendant 3min et 19 secondes (de 23:34 à 26:47) et le discours de la journaliste Mathilde Siraud à cet égard fait émerger une discussion autour de la saisie ou non du congrès, décision plus rapide, moins coûteuse et moins risquée pour le pouvoir en place mais qui a su se faire attendre. En effet, si lors de la diffusion de cette vidéo, le silence planait de la part de l’exécutif, ce n’est plus le cas depuis le 9 mars, date à laquelle Emmanuel Macron a pris la parole concernant le sujet. Lors d’un discours au palais de justice de paris le 8 mars dernier en hommage à Gisèle Halimi, avocate féministe, il affirme sa volonté d’inscrire en reprenant les termes du sénat « la liberté de la femme d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse » à travers un projet de loi porté devant le congrès dans les mois à venir.
Cette saisie du sujet par le gouvernement vient effacer la possibilité d’inclure le public par le référendum et cela probablement car elle intervient dans un climat tendu notamment vis-à-vis de la réforme des retraites monopolisant les médias ces derniers temps. Les termes employés par le président lors de son discours viennent cependant appuyer les débats entre les termes « droit » et « liberté » dont il était question dans la vidéo de Public Sénat. Ce qui est tout à fait frappant dans ce débat est l’absence de commentaire sur les autres termes qui composent cette inscription de l’IVG dans la constitution. Les termes « interruption volontaire de grossesse » n’apparaissent pas dans le texte déposé par le Sénat et celui-ci restreint le « libre et égal accès » dont il était question à l’Assemblée à « la liberté des femmes ». Le projet de loi constitutionnel s’annonce donc au même titre que ce débat concernant la constitutionnalisation de l’IVG ne pas se focaliser sur ce qui devrait être important, discutant plus la forme que des moyens et allant jusqu’à faire disparaître les termes IVG de cette inscription censée la protéger dont on vient à se demander si cela en est vraiment une.
Références bibliographiques
- ARENDT Hannah, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983
- FRASER Nancy, “Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement”, Extrait de Habermas and the Public Sphere, sous la direction de Craig Calhoun, Cambridge, MIT Press, 1992, p. 109-142
- DACHEUX Éric , « Espace public et débat public. Réflexions sur le référendum européen », Mots. Les langages du politique, 81, 2006, 79-91.
- DUFRASNE Marie , « Les dispositifs participatifs dans un monde de communication », Questions de communication, 41, 2022, 87-102.
- MOREL Laurence ; PAOLETTI Marion « Introduction. Référendums, délibération, démocratie. » Participations, 20, 2018 7-28
C’est avec beaucoup d’attention que nous avons pris soin de lire votre article. Nous voudrions souligner la qualité de votre analyse, la grande pertinence de votre sujet et la réflexion que vous en avez faites. La structure de votre analyse est claire et amène très bien vos propos que vous explicitez par la suite. Votre article est richement documenté, grâce aux articles théoriques sur lesquels vous appuyez vos propos et que vous prenez soin de citer clairement. Nous aimerions tout de même approfondir quelques points de votre analyse.
En effet, comme vous le citez dans une partie de votre réflexion, si une partie des intervenants ont une maîtrise du vocabulaire du droit, qui leur permet une meilleure compréhension et expressivité sur le débat en cours, qu’en est-il des autres, ceux qui possèdent un vocabulaire plus restreint ? Sont-ils pénalisés d’une quelconque manière ? Cela impacte-t-il justement le débat ? Il aurait été intéressant de s’attarder sur ce point qui pourrait amener à comprendre quelques détails du débat qui se révèleraient assez importants. En effet, si certains intervenants manquent de certaines connaissances et de maîtrises lexicales face à un sujet qui est précis, cela pourrait entraîner à des incompréhensions, des ruptures d’un dialogue dit « dynamique » comme vous le caractériser. Il aurait été intéressant d’expliquer en détail cette partie du débat.
Plus tard, vous expliquez à travers un graphique circulaire la répartition de la parole sur ce débat. C’est un outil d’analyse très bien choisi qui permet une clarté visuelle sur la répartition du temps de parole de chaque intervenant et qui nous permet d’en tirer des points significatifs. C’est d’ailleurs le sujet de votre paragraphe suivant où vous expliquez que le temps de parole est dominé majoritairement par trois professionnels : Marie Pierre De La Gontrie, Jean-Philippe Derosier et Anne Charlène Bezzina, et nous retrouvons peu d’interventions de la part de la quatrième intervenante : la journaliste Mathilde Siraud. Pourquoi cela ? Auriez-vous pu en tirer une raison à cette constatation ? Car il aurait été très intéressant de comprendre ce manque d’intervention de la journaliste sur un sujet centré sur « la liberté et le droit humain » comme vous le citez. En effet, si son temps de parole est écourté ou mis de côté, comment cela s’articule dans l’intégralité du débat ? Les chroniqueurs ou autres intervenants en sont-ils la cause ? Comment cela se démontre ? Ces points auraient potentiellement fourni votre analyse et nous auraient éclairci sur ce manque de pluralité sur le plateau.
Vous abordez ensuite un point très important dans votre analyse de ce débat et qui est très intéressant : l’absence de public, d’un ou des représentants de la société. Au vu d’un débat sur un sujet existentiel dans ce pays, exclure des personnes qui représentent nos voix est très problématique. En ayant pourtant rappelé des réponses de sondages, notamment celui de l’IFOP sur les 80% des Français favorables à la constitutionnalisation de l’IVG, ou encore l’évocation des militantes féministes au Sénat qui sont tout de même utilisées comme miniature de la vidéo du débat – et qui est donc un point attendu dans ce dernier – l’opinion du public n’est presque pas mentionnée, pour ne pas dire absente. Un tel manque de considération est tout de même scandaleux et il est important de le souligner, ce que vous avez très bien effectué.
En continuant sur ce point, nous remarquons le lien avec ce qui nous semble être votre problématique de départ : « La constitutionnalisation de l’IVG, un débat privé d’intérêt public ? » que nous retrouvons dans le titre. Nous sommes par là introduits au type d’analyse que nous lirons par la suite, et que nous retrouvons justement dans ce paragraphe sur l’absence de la place du public/citoyen. Néanmoins, votre problématique reste peu claire. Si ce n’est que par le titre de votre article, cette dernière n’est pas clairement citée par la suite avec une problématisation concrète dès le début de votre analyse. Vous gagnerez à développer celle-ci en amont, de manière concrète et ainsi nous permettre d’être présentés clairement à la problématisation de votre sujet.
En espérant que ces quelques points vous aideront à approfondir votre analyse et en vous félicitant pour votre travail. Nous attendons avec impatience vos retours.
Charlotte Ghys et Adeela–Banu Shaikh
Nous vous remercions de votre réponse qui semble être aussi bienveillante que constructive dans ses intentions de clarifier certains points de notre analyse.
Dans un premier temps, vous évoquez les conséquences du manque de lexique des intervenants au sein d’un débat très riche en matière juridique. Pour répondre à vos interrogations, il y a au sein de ce débat, une sénatrice et deux constitutionnalistes qui a eux seuls réalisent les ¾ des interventions, leur expertise leur permet donc de comprendre les tenants ainsi que les aboutissants de ce qui est discuté.
Pour ce qui est de Thomas Hugues, le présentateur est, comme son nom l’indique, censé “présenter” le débat et non y participer. Il dirige, contrôle et structure ce dernier quel que soit son bagage culturel et encore moins son positionnement vis -à -vis du débat en cours. Sa position neutre fait qu’il n’est pas amené à discuter voir à donner son avis, il joue le rôle de l’intermédiaire, comme le font les journalistes lors des débats présidentielles. Bien qu’il y ait une nécessité de compréhension du milieu juridique pour poser de bonnes questions et mener le débat avec efficacité, la question de la pénalité des intervenants ne le concerne donc pas.
Quant à Mathilde Siraud, journaliste politique depuis 2014, son capital culturel est soit différent des autres intervenants, mais son vocabulaire n’est pas restreint pour autant. Suite à des études à Sciences Po et une école de journalisme, Mathilde est reporter politique pour Le Point depuis presque 2 ans. Il n’y a donc aucune personne pénalisée, au sein du débat. En revanche, notre discours portait plus sur les conséquences face au public extérieur au débat qu’à son intériorité. Les seuls réels exclus sont les spectateurs qui peuvent ne pas avoir les codes du domaine juridique.
Pour ce qui est de l’exclusion de Mathilde du débat, comme nous venons de le signifier avec ses expériences, ce n’est donc pas son capital culturel qui en est la cause. Comme le suppose notre première analyse, il semblerait que ce soit la position dominante du présentateur – qui lui coupe la parole – et qui oriente le débat vers les trois principaux intervenants. De plus, nos recherches ont pu montré que celle-ci n’intervient pas dans le débat au même titre que les 3 autres invités. Ce débat n’est pas sa première apparition dans cette émission ni la dernière. On peut d’ailleurs noter sa présence récemment dans un débat Sens public concernant la réforme des retraites.
En tant que journaliste politique, elle intervient plus en fonction de chroniqueuse que de participante au débat, ayant même un format dédié au sein de l’émission appelé “l’Oeil de Mathilde Siraud”. C’est d’ailleurs là ce qui concentre l’essentiel de son temps de parole, un mini-reportage qui va lui permettre par la suite de poser de nouvelles questions aux participants. Notre hypothèse rejoint alors nos propos précédents concernant la nature de l’émission fusionnant débat et journal télévisé : la place de Mathilde Siraud est celle d’une intermédiaire au même titre que le présentateur ou l’autre chroniqueur faisant une apparition et sert à casser le rythme du débat et apporter des informations plus précises.
Au-delà de son rôle journalistique, il est possible de supposer que sa présence permet aussi une sorte de pluralité au débat n’ayant alors pas que des ressortissant du droit, ou encore un gage d’égalité, Mathilde étant une journaliste, ses interventions contrebalançant celles du présentateur Thomas Hugues, mais ce ne sont là que des suppositions.
Enfin, concernant la problématique, nous comprenons que vous ayez pu manquer de lisibilité, et nous aurions, en effet, pu rédiger une introduction plus formelle livrant des axes de lecture très clairs. Cependant, si nous regrettons votre mauvaise réception de notre axe de réflexion, nous tenons à vous préciser qu’il s’agissait bel et bien d’une volonté de notre part de ne pas proposer un article trop académique. En effet, afin de nous aligner sur les consignes fournies pour la création de ces articles, nous avons cherché à nous rapprocher d’une écriture journalistique qui, nous semble-t-il, se prêtait à l’exercice. Nous en sommes encore loin, nous en convenons, mais cette tentative, vous ayant déstabilisée, incarnait pour nous un pas vers une proposition moins formelle et plus fluide.
Alice Bohin, Aurore Burr, Manon Sarrailh