La vision utopique de la « sphère publique » de Habermas, désigne un lieu de partage et de discussion politique entre différents « acteurs privés » complètement distincts de l’Etat. Cela se traduit par des relations discursives et non-marchandes, qui ont pour seul but de créer un espace de réflexion et de conscientisation des esprits. La sphère publique voit le jour à travers la communauté bourgeoise pour faire contrebalancer la démocratie représentative, et agir par la communication. Seulement cette théorie est très critiquée, et notamment à cause du phénomène de la massification des flux d’informations par les médias. En effet, la télévision ne cesse de se renouveler à travers une offre croissante d’espaces publics, traitant de tous les sujets sociétaux, du divertissement à la politique. Il serait alors intéressant de se pencher sur la valeur communicationnelle des différents débats, de se demander dans quelle mesure la conception du talk-show « On n’est pas couché” (ONPC) peut-elle influencer l’opinion publique.
L’émission ONPC s’ouvre sur de nouvelles caractéristiques de présentation visuelle et temporelle. Ce talk-show hebdomadaire est connu pour ses dossiers polémiques entre chroniqueurs de l’émission et invités (artistes, personnalités politiques ou publiques) provoqués par de gros clashs. Cependant, l’émission dore son image aux débats controversés, ainsi nous verrons à travers l’émission du 26 Novembre 2015 les différents codes utilisés pour interpeller et captiver son audience sur des sujets d’actualité. Pour cela, nous avons sélectionné un extrait du passage de l’invitée politique Nadine Morano, députée européenne. Cet article donnera d’abord un bref rappel du contexte, de la situation en France, à travers plusieurs grands thèmes : Politique, Terrorisme, Racisme. Puis, à travers une analyse plus technique des codes de l’audiovisuel, l’article tente de souligner une certaine complaisance à l’égard de Nadine Morano, et de chercher des liens entre les insinuations racistes de l’invitée, le contexte français de l’année 2015 et cette complaisance douteuse.
Un contexte qui forge les opinions
L’année 2015 est particulièrement marquée par une succession d’attentats terroristes tragiques. C’est Stéphane Charbonnier, soit Charb, le dessinateur du journal satirique « Charlie Hebdo », qui disait début janvier de cette année-là « Toujours pas d’attentats en France» « Attendez, on a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux». Les voilà exaucés, tout d’abord avec Charlie Hebdo, suivi de l’hyper-casher, du Bataclan mais aussi à travers l’Europe, en Turquie, Tunisie, Danemark et d’autres encore. Ces nombreuses revendications de l’Etat Islamique soulèvent des sujets houleux et touchent à des valeurs symboliques et fondamentales de la démocratie, notamment en France, telle que la liberté d’expression. On assiste alors, dans ce climat de peur et d’incompréhension, à une montée du racisme chez les français. L’exemple de Christine Taubira, ancienne ministre de la Justice (2012-2016) illustre bien ce phénomène, puisqu’elle a fait face à de nombreux propos racistes durant l’occupation de son poste. Ainsi, la population, bouleversée et traumatisée par ces événements, instaure une atmosphère anxiogène et pesante au niveau de la sphère publique. De plus, les espaces d’expressions et de discussions médiatiques sont les porte-paroles de ces bouleversements, et sont l’endroit idéal pour ouvrir le débat public, de surcroît par le prisme des nouvelles plateformes interactionnelles tels que les réseaux sociaux et Twitter particulièrement. ONPC est diffusée vers 23H00 sur la chaîne France 2 du service public tous les samedis soir, en deuxième partie de soirée. L’originalité qui fait son succès (Médiamétrie enregistre plus d’un million de téléspectateurs) vient d’une plage horaire beaucoup plus longue pouvant durer jusqu’à 4 heures, qui donne un temps de parole bien plus considérable aux interviewés. L’émission n’est pas diffusée en prime-time, sa diffusion tardive lui permet de toucher sa cible, à savoir les CSP+ (catégories socio-professionnelles supérieures), qui regardent la télévision plus tard que la plupart des français. De plus, l’organisation du débat public diffère, c’est-à-dire que l’invité prend place sur le fameux « fauteuil bleu » et doit ainsi faire face aux chroniqueurs, et invités de la soirée qui peuvent également participer au dialogue. Cette organisation à l’américaine joue également sur un côté humoristique du présentateur, Laurent Ruquier, afin d’aborder tout type de sujet avec plus de simplicité, et cela semble plaire au public.
Mais la réputation de l’émission tient aussi à ses nombreux clashs entre invités et chroniqueurs. En effet, les chroniqueurs de toutes les saisons confondues ont souvent des avis critiques et peuvent provoquer des polémiques à travers certains débats qui ne rentrent plus dans des relations discursives, mais plutôt conflictuelles. De fait, nous avons choisi d’étudier l’extrait où Nadine Morano aborde le sujet de l’immigration et parle de “race blanche”, car il rentre dans un contexte particulier.
Dans le contexte anxiogène que nous avons cité ci-dessus, les discours sur la question identitaire, le racisme ainsi que sur les idéologies communautaires portent autant de nouvelles réflexions que d’amalgames. Il est important de rappeler que Nadine Morano est alors candidate aux primaires des élections présidentielles 2017, représentant les Républicains, et que son passé a révélé un tempérament acéré et une médiatisation bien rodée autour de son personnage politique. Laurent Ruquier en fait la remarque, spécifiant que ce n’était plus la même, qu’elle connaissait désormais mieux ses sujets et qu’elle agissait de façon plus appropriée que lors de son altercation avec Guy Bedos, humoriste qui tend à faire la satire de la droite. L’émission invite alors le téléspectateur à se pencher sur des sujets politiques et sociétaux, tels que la gestion des flux migratoires mais aussi sur l’identité culturelle du territoire.
Une complaisance douteuse
Le format de l’émission s’apparente à une démocratie délibérative, qui permet la participation de tous les acteurs de l’émission mais aussi de pouvoir élargir le débat public vers les réseaux sociaux très actifs. Cette démarche permet d’encourager chaque partie prenante à participer et exprimer son opinion face aux sujets évoqués. Mais nous verrons qu’elle trouve également ses limites. Dès le début de la séquence sélectionnée, la députée européenne parle d’établir une cohésion nationale à travers « un pays de race blanche, judéo-chrétien dans sa majorité » qu’elle répétera à plusieurs reprises et qui fera naître deux réactions simultanées. La première, celle de Yann Moix, disant que la France est celle qu’elle est « momentanément » et qu’elle changera sûrement, faisant l’hypothèse qu’elle sera peut-être musulmane un jour. Ce à quoi Nadine Morano répond « j’ai pas envie que la France devienne musulmane ». Puis la seconde, de la part d’un invité qui rétorque que l’on a du mal à accepter que « la France soit pluriculturelle ». Dès ces premiers échanges nous pouvons déjà constater la mainmise de chaque partie. Les modalités d’échanges sont représentées par des temps de paroles bien définis qui suivent la politique de l’émission. En effet, nous avons mesuré le temps de parole de chaque acteur, puis nous avons mis en évidence les différents plans de l’émission pour cibler l’importance du cadrage dans l’intention d’interpeller le téléspectateur et de mettre en évidence chaque personnalité.
A travers cette analyse technique, nous constatons très clairement que la députée européenne occupe 64% du temps de parole (soit 5,45 minutes sur les 8,5 minutes sélectionnées). Or, ce large temps de parole contient des propos plutôt redondants. L’émission tient à laisser la parole à l’invitée pour qu’elle puisse exprimer son opinion et respecte sa politique malgré un désaccord explicite. Par la suite, le présentateur Laurent Ruquier représente 17,6% et Yann Moix 14,5% du temps de parole.
La complaisance des chroniqueurs se traduit surtout par leurs réactions qui visent à éclaircir et non contredire les propos de Nadine Morano. Malgré le clair désaccord avec sa vision, ils la poussent à définir, développer et expliquer ses idées. C’est par le biais de questions ciblées sur la définition des mots et de concepts avancés par la députée que va se baser l’échange : « ça veut dire quoi la France ? » « ça veut dire quoi de race blanche ? » « les Antilles sont comment au niveau de la race blanche ? » « qu’est ce que vous entendez par laïcité ? ça m’intéresse beaucoup votre définition de laïcité. » Le but étant bien évidemment de déstabiliser et démonter les opinions de Nadine Morano. On pourrait penser que cette méthode, qui pousse la politique à aller plus loin dans ses propos, vise à créer des réactions de la part des spectateurs. Car plus ce qui est dit est polémique plus les réactions seront affluentes. D’ailleurs, une invitation à réagir (« Réagissez sur #ONPC ») apparaît sur l’écran trois fois pendant ce débat. Coïncidence ?
Laurent Ruquier souligne le caractère conciliant de l’échange en expliquant clairement la différence des points de vue. Il formule implicitement la position de l’émission. Il avance ouvertement qu’il comprend ce que Nadine Morano dit, même s’il n’est pas d’accord, et qu’il « ne voudrai[t] pas que [Nadine Morano] pense qu’[ils] caricatur[ent] ce qu’[elle] dit ». Son monologue n’est donc pas en contestation des idées de la députée, il n’est pas vraiment là pour enrichir le débat mais plutôt pour s’assurer que ces propos ne soient pas amplifiés et placés hors de leur contexte.
De fait, les chroniqueurs blâment Morano en lui rappelant maintes fois qu’elle affirme que “les Français sont de race blanche” alors qu’elle a au départ défini la France comme un pays aux racines judéo-chrétiennes et de race blanche. Ce qu’essaie de faire Ruquier, lorsqu’il prend la parole, est donc de replacer les propos de Nadine Morano dans leur contexte. L’animateur ne prend pas un ton exaspéré, comme les autres chroniqueurs, mais plutôt un ton moralisateur, comme s’il tentait de la raisonner. Son rôle de modérateur, de médiateur y est pour beaucoup, mais on remarque qu’il ne se moque pas d’elle comme il a déjà pu le faire en présence de personnalités tenant des propos choquants ou violents. Il fait au contraire preuve de complaisance, voire de compassion : « je comprends que…mais ». Par conséquent, son discours relève plus de l’indulgence que de l’argumentation. D’ailleurs, le discours de Ruquier est marqué par de nombreuses négations, qui tendent à euphémiser la violence de ses paroles.
« Je ne laisse pas entendre dans le fait que vous disiez que les français sont majoritairement de race blanche, je ne dis pas que ça veut dire pour vous dans votre tête que les gens qui sont métisses, noirs ou jaunes ne seraient pas français s’ils sont nés en France, je sais bien que vous ne dites pas ça… »
Des applaudissements de la salle font suite à l’intervention du présentateur, comme à la suite de la brève remarque de Léa Salamé, qui n’a occupé que 1,4% du temps de parole, portée sur la question de la laïcité. Brève mais remplie de message, elle indique que l’on ne peut pas associer un pays judéo-chrétien à un pays laïque, comme le sous entend la députée. On se rend bien compte des sujets de discordes entre les différents acteurs, mais aussi une prise de partie de la part du public qui soutient les critiques des chroniqueurs. Cela donne une influence sur le téléspectateur, et intervient alors la première limite à la “démocratie délibérative”, qui ne peut pas éradiquer le conflit d’après son inspiration¹. En effet, le dialogue ne s’ouvre pas entièrement car finalement, les deux parties ne s’écoutent pas. La fin du passage en témoigne à travers l’intervention de Yann Moix qui dit “si vous voulez être présidente de la République un jour, je vous donne juste un tout petit conseil, n’utilisez surtout plus jamais le mot race” à quoi elle répond “non, je ne vois pas pourquoi, c’est un mot qui est dans le dictionnaire, je vois pas en quoi il est choquant”. Rappelons que le mot “race” a été supprimé de la législation française en 2013 et que dans sa dernière définition ce terme est qualifié “au fondement des divers racismes et de leurs pratiques”.
En ce qui concerne le montage, nous avons comptabilisé 123 plans différents pendant l’extrait. On peut constater que la présence à l’écran est pratiquement proportionnelle au temps de parole: Nadine Morano est présente en tout 55% du temps du débat à l’écran.
Contrairement aux montages habituels, ces plans n’incluent aucun close-up (plan très serré) sur des parties du corps comme les mains, qui sont de parfaits indicateurs de stress. Serait-ce une intention de la production de ne pas montrer les faiblesses de la députée pour ne pas la décrédibiliser ? On pourrait en venir à se demander s’il s’agit ou non d’une stratégie visant à créer chez les internautes une indignation plus grande, et par conséquent le besoin de commenter l’émission sur les réseaux sociaux.
Comme on peut le voir avec le tableau ci-dessous, le programme a été visionné par 25% de spectateurs télévisuels, soit le deuxième meilleur résultat d’audience depuis le retour du programme à l’antenne².
A travers ces diverses analyses, nous pouvons constater que les relations ne relèvent plus d’un échange discursif mais s’attachent plutôt à chercher une réaction de l’invitée afin de la déstabiliser à travers une supposée complaisance. En effet, les échanges accentuent le positionnement de chaque acteur, à travers des propos acérés qui tendent à dégrader le fond du débat en s’attardant sur la forme. Les chroniqueurs introduisent des pointes sarcastiques envers la députée européenne, se positionnant en tant qu’acteurs dominants du dialogue et insinuant, malgré des propos conventionnels, une opinion maîtresse, qui induit le téléspectateur à être inéluctablement influencé par le débat en cours.
A l’image du tout-monde et de la poétique de la relation d’Édouard Glissant, il est fondamental “d’accepter les mutations, les échanges, les mélanges dans les imaginaires, la volonté de ne plus revenir en arrière et la détermination à trouver d’autres solutions.” Il faut s’ouvrir à la créolisation comme l’entend Monsieur Glissant, et évoluer avec le temps.
L’article analysant les réactions Twitter de l’émission est à lire ici.
Pierrick Macia, Sandrine Morillas et Patrycja Toczek.
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NOTES
- « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique. » Loïc Blondiaux
- Source
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BIBLIOGRAPHIE
- Loïc BLONDIAUX (2007) « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique ». Mouvements 2 (n°50). p.118-129
- Edouard GLISSANT et Patrick CHAMOISEAU (2009) L’intraitable beauté du monde: adresse à Barack Obama. Galaade Editions.
- Vincent MAUD (2007) « La dégradation du débat public: le forum de l’émission « on ne peut pas plaire à tout le monde ». Hermès 47. p.99-106
1/ Vous aimez les débats, les tribunaux et le théâtre ?! Vous êtes invités à ONPC
(Ce commentaire est une réponse du groupe 3 Twitter (Zacharie, Martin et Baptiste) à l’article du groupe 7 concernant un extrait du passage de l’eurodéputée Nadine Morano à l’émission On n’est pas couché du 26 novembre 2015. )
Comme les auteurs l’ont signalé, il est important de rappeler le contexte de l’émission, qui a été diffusée deux semaines après la terrible tuerie du bataclan le 13 novembre 2015. La France est à la fois endeuillée et terrifiée par ces attaques qui ne cessent de se produire à travers le monde. Ces attaques expliquent également la montée de l’islamophobie et de mouvement populistes et xénophobes en France qui sont des phénomènes toujours d’actualité. C’est donc dans ce contexte que l’équipe de ONPC, menée par Laurent Ruquier recevra Nadine Morano sur son plateau afin de discuter de ses opinions, notamment au sujet de l’islam et de la laïcité.
Même si l’émission en question se présente comme un débat ouvert où chaque protagoniste est libre d’exprimer ses opinions, il est souvent question de démonter les arguments de la personnalité invitée. Comme précisé par les auteurs de l’article, ONPC est effectivement « connu pour ses dossiers polémiques entre chroniqueurs de l’émission et invités provoqués par de gros clashs. » C’est donc ici que réside le paradoxe de cette émission qui s’apparente à la fois à un terrain de débat et à un tribunal. La notion d’espace public habermassienne est ici totalement mise à mal pour laisser place à une succession d’interventions visant plus à déstabiliser Nadine Morano plutôt que de tenter de comprendre ses motivations et ainsi lui proposer des solutions ou des alternatives
De cette manière, une certaine réserve aurait pu être adoptée avec la phrase « la télévision ne cesse de se renouveler à travers une offre croissante d’espaces publics, traitant de tous les sujets sociétaux, du divertissement à la politique. ». En effet, les programmes proposant un débat équilibré, construit et à vocation consensuelle sont aujourd’hui de plus en plus rares. De plus, la forme divertissante souvent difficilement conciliable avec des sujets sociétaux ou politiques. Même si certaines de ces thématiques sont effectivement abordées, le fond du débat demeure absent, dominé par la forme. De la même manière, les interventions de Ruquier et des autres chroniqueurs se focalisent souvent sur les mots employés par Nadine Morano (ici « race »), occultant d’une certaine manière le fond de sa pensée et ce qui l’a poussé à penser ainsi. Nadine Morano est également l’auteure de nombreux propos xénophobes et ou islamophobes qui constituent une bonne partie de son actualité médiatique. Elle est par conséquent, associée à ces propos par les spectateurs et donc à l’inverse des tendances politiques actuelles. Cela s’inscrit dans une certaine volonté de ONPC de cantonner des spectateurs dans leurs idées, sans essayer de valoriser les idées qui ne sont pas les leurs (même si l’exemple de Nadine Morano est loin d’être le meilleur). Cela n’est d’ailleurs pas sans nous rappeler le principe de bulle de filtres cher à Eli Pariser. En effet, si nous ne sommes pas dans un contexte Web, cette volonté évoquée va pourtant tout à fait dans le sens de Pariser. Peut-être qu’en procédant à un filtrage, délibérément ou non, l’émission dirige la pensée de l’audience. De par sa nature de foule, au sens que lui donne Gustave Le Bon, et dont le propre serait d’être irréfléchie, cette audience pourrait ne pas user de la réflexion perdue de ses individualités au profit de l’entité foule pour juger et prendre position dans le débat par elle-même. On peut donc supposer que l’audience ne construit pas elle-même son opinion, ou du moins partiellement, mais plutôt que celle-ci lui est insufflée par les chroniqueurs en position de force par rapport à l’invité. Ce constat nous amène à nous interroger sur le rôle de ces chroniqueurs, dont une position de relais d’opinion semble sous-jacente. En réalité, lorsque vous soulignez la « prise de partie de la part du public qui soutient les critiques des chroniqueurs, [ce qui] donne une influence sur le téléspectateur, » force est de contester que nous rentrons dans le propre du sujet de Jürgen Habermas et Elihu Katz. Est mise en exergue une certaine horizontalité de la relation « chroniqueurs/invité- public -téléspectateur », où chaque maillon de la chaîne influe le suivant.
Le plateau de ONPC prend ainsi la forme d’une semi-démocratie représentative où Ruquier et son équipe incarnent les leaders d’opinions de la diversité et du multiculturalisme tandis que Nadine Morano joue le rôle du leader d’opinion des « racistes ». On peut illustrer cela avec une citation tirée d’Un Ennemi Du Peuple du dramaturge Henrik Ibsen, expliquant que « le public n’a pas besoin de nouvelles pensées. Ce qui vaut mieux pour le public, ce sont les bonnes vieilles pensées reconnues qu’il a déjà ».
2/ Votre approche critique en guise de conclusion
Dernièrement, il faut noter que votre article conclut sur une citation intéressante et un auteur tout aussi intéressant, Édouard Glissant :
“A l’image du tout-monde et de la poétique de la relation, « il est fondamental d’accepter les mutations, les échanges, les mélanges dans les imaginaires, la volonté de ne plus revenir en arrière et la détermination à trouver d’autres solutions. » Il faut s’ouvrir à la créolisation comme, et évoluer avec le temps.”
Cette référence semble bien trouvée, car elle reflète en quelque sorte les propos de Nadine Morano dans l’émission ONPC. En effet, l’auteur étant d’origine antillaise et représentant l’un des fers de lance de la lutte anti-coloniale, il apparaît comme opposé à Nadine Morano et à la notion de « Race blanche », qu’elle dit avoir emprunté au Général De Gaulle, chose qui selon un article de France Info daté du 25.09.15 s’avère être fausse, car cette notion n’aurait été écrite ni dans ses mémoires ni ses discours. Selon Ines Moatamri, « Le concept de la Poétique de la Relation de Glissant est à relier avec celle du « lieu commun »- quand « une pensée du monde rencontre une autre pensée du monde » ; et l’on se rend bien compte la encore de l’opposition avec Nadine Morano qui émet le projet, en cas d’élection, d’un « vote annuel de quota immigration(…) en fonction du continent de provenance ». Ceci aurait donc une conséquence sur la nature des rencontres entre les pensées selon la définition de l’auteur.
De surcroît, Glissant dans « Le Traité du Tout-monde définit ce concept comme « notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la « vision » que nous en avons » et nous pouvons sûrement faire un rapprochement avec un des propos du chroniqueur d’ONPC Yann Moix qui émet la chose suivante à Nadine Morano : « il n’y a pas une France éternelle ». En ce sens, l’opinion d’ONPC et celle de Glissant font consensus.
Il semble enfin intéressant de préciser que Morano en tant que politique et Glissant en tant qu’écrivain poète et philosophe n’ont pas les mêmes styles d’élocution ni d’écriture, mais c’est assez juste de les comparer sur le plan des idées.
Cependant, malgré ça, la présence de cette citation en guise de conclusion semble critiquable pour différentes raisons. Vous apportez là un regard critique à travers l’emprunt à Édouard Glissant, or ce regard n’apparaît à aucun autre endroit de votre article. Il aurait été peut être judicieux de développer plus en détail cet aspect critique – qui est très vraisemblablement un écho à vos avis personnels respectifs – à travers un auteur. En effet, et le style de l’article veut cela, votre écrit est basé sur de l’observation puis de l’analyse, mais des références théoriques tirées d’ouvrages scientifiques tout au long de votre article pour apporter un complément de « critique » auraient été les bienvenues. D’autant plus que votre paragraphe de conclusion, comme évoqué plus haut, nous sembles bien trouvé et la présence de plus de références scientifiques et critiques aurait apporté un supplément de crédibilité à votre propos.
En réponse au commentaire rédigé par nos camarades, nous souhaitons revenir sur certaines remarques et émettre quelques précisions à notre analyse de base. Ainsi, après avoir étudié la critique constructive de notre article nous voudrions éclaircir certains points et développer quelques concepts trop peu étoffés.
Afin d’apporter quelques précisions, les commentateurs ont émis une remarque sur une des phrases de l’article : « la télévision ne cesse de se renouveler à travers une offre croissante d’espaces publics, traitant de tous les sujets sociétaux, du divertissement à la politique ». En effet, ce médium ne cesse de s’inventer dans la production d’émissions politiques telle que la création, l’année précédente, de « L’émission politique » pilotée par Léa Salamé et anciennement David Pujadas, ou bien des émissions déjà ancrées dans l’espace public télévisuel telles que Le Quotidien, C dans l’air, Le petit Journal ou encore On N’est Pas Couché, qui en fait partie. En reprenant l’idée de l’article expliquant que « le fond du débat demeure absent, dominé par la forme », la particularité de cette phrase prend tout son sens dans la mesure où la programmation des chaînes télévisées ne cesse de se renouveler, et la dégradation de la sphère publique d’Habermas exclue, selon Nancy Fraser, les sphères parallèles. Ainsi, cette phrase a été placée après avoir mentionné le « phénomène de massification des flux d’informations par les médias » qui sous-entend la multiplication de la quantité des programmes médiatiques au détriment de la qualité de ces derniers. Ainsi, nous aurions pu étoffer notre argumentation en nous appuyant sur la théorie des industries culturelles et créatives qui développe le paradigme de l’hégémonie culturelle via la détérioration de sa production.
Par conséquent, la critique de Nancy Fraser face à l’espace public habermassien montre qu’il ne s’agit pas simplement de prendre l’espace public en compte mais également de s’attarder sur les publics subalternes. En effet, ces « contre-discours » font partie d’une sphère publique parallèle à celle énoncée par Habermas, qui met en exergue des espaces de discussions en opposition à la sphère bourgeoise de l’époque et ouvre de nouvelles « arènes discursives » tel que le mouvement des féministes. « Les contre-publics subalternes » selon Fraser, sont des regroupements d’individus qui expriment leurs revendications et contestations « marginales » envers la démocratie représentative et donc vers un plus large auditoire. Dans ce cas, nous pouvons considérer que l’élargissement de l’espace public, via le web et les réseaux sociaux reliés eux-mêmes aux émissions télévisées, ouvre de nouvelles perspectives à un public subalterne autrefois trop exclu. Cet accroissement de l’espace public influence par conséquent la sphère publique plus globalement. Ainsi, notre raisonnement cherchait à établir des liens et relations de dépendance entre ces nouveaux débats publics et leurs arènes discursives, qui se sont proportionnellement élargies.
Dans le cadre de l’émission, nous avons voulu mettre en relation l’idée d’Habermas à travers le talk-show, considéré alors comme espace public, et la critique d’une « démocratie participative », relevant du pléonasme d’après l’analyse de Loïc Blondiaux . De fait, selon ce dernier, le principe même de la démocratie se base sur la participation de tous citoyens à pouvoir user de leurs droits leur permettant de prendre part à la vie politique : cette notion se fonde alors uniquement sur une « conception minimaliste de la démocratie ». Il ne s’agit pas d’imaginer que la « démocratie participative » serait une solution absolue pour résoudre les conflits mais une alternative qui tendrait vers la résolution. Par conséquent, la mise en perspective de ce débat entre Nadine Morano et les chroniqueurs suggère une volonté du talk-show d’inscrire leur débat dans un espace public relevant d’une démocratie participative. D’une part, la politique de l’émission donne la possibilité à chaque protagoniste (chroniqueurs, invités, et l’interviewé) de pouvoir dialoguer, échanger et s’exprimer sur leurs opinions à travers les divers sujets du jours. D’autre part, les internautes peuvent également participer au débat avec le hashtag « #ONPC » pour le nourrir (ou non) et ainsi élargir la sphère publique et permettre la participation de celles et ceux qui le voudront.
Partant de ce point de vue, nous avons tenu à nous focaliser sur le format du talk-show et sur la complaisance dont ont fait preuve l’animateur et ses chroniqueurs pour Nadine Morano, notamment dans un contexte anxiogène que nous avons mentionné au début de l’article. Ainsi, nous avons mis en valeur les temps de paroles, le montage vidéo mais également l’euphémisation des propos de l’invité par Laurent Ruquier, faisant office de médiateur. Ces caractéristiques nous ont permis d’analyser avec précision l’impact et l’influence que l’émission pouvait occasionner sur l’audience. Il nous a paru intéressant de comprendre comment ce genre de talk-show peut influencer l’opinion publique. Cependant, la critique de nos camarades sur l’idée de « supposer que l’audience ne construit pas elle-même son opinion, ou du moins partiellement, mais plutôt que celle-ci lui est insufflée par les chroniqueurs en position de force par rapport à l’invité » nous semble trop tranchée. Devons-nous rappeler les Cultural Studies et comment Richard Hoggart a montré la richesse du milieu ouvrier duquel il était issu, alors que les ouvriers étaient appelés les « influençables ». En rapport à ces recherches, il a démontré à travers le schéma de Lasswell (Emetteur – Message – Effet) que le récepteur n’est plus passif, mais bien actif face à la réception des différents médias. Ainsi, il a prouvé que l’auditoire est aussi capable d’interpréter un message sans se laisser manipuler systématiquement par son émetteur, et de surcroît capable d’émettre une opinion, un avis. Stuart Hall affirme également que le codage et le décodage d’un message se fait de différentes manières selon les individus. Il explique que le message a une intention et qu’il doit ainsi être codé pour être décodé. Par conséquent, cette remarque serait pour nous trop réductrice, malgré une influence manifestement présente dans l’émission. De plus, nous voudrions revenir sur votre évocation du principe de bulle de filtres d’Eli Pariser. Cette théorie qui s’applique au monde Internet, comme vous l’avez justement rappelé, ne convient pas, à notre avis, au domaine télévisuel. En effet, les données ne sont pas vraiment “filtrées”, surtout dans une émission de la télévision publique qui se veut politiquement neutre. Bien sûr, les opinions politiques sont présentes, mais c’est leur pluralité qui engendre un débat et exclue de ce fait un filtrage de l’information. Surtout, la présence de ces opinions n’est certainement pas due à une collection des convictions des téléspectateurs pour leur présenter du contenu ciblé et homogène à l’écran.
Quoique vos remarques sur notre citation d’Edward Glissant et le lien entre ses positions et celles de Moix soient aussi intéressantes que pertinentes, nous voulions noter que l’utilisation du philosophe antillais faisait guise d’ouverture. Comme vous le notez, le regard critique que nous apportons avec ce théoricien n’est pas présent le long de notre article car nous ne voulions pas prendre position dans un article scientifique qui analysait principalement l’effet qu’ont eu les propos de Morano et pas les propos en eux-mêmes.